Le juge et le dictateur

Réapparition de Saddam et de onze de ses acolytes à l’occasion du début de l’instruction d’un procès qui promet d’être retentissant.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Jeudi 1er juillet, palais de Radouaniya, dans la banlieue de Bagdad. Ce luxueux complexe résidentiel que Saddam Hussein s’était offert, en 1988, au lendemain de la libération de Fao de l’occupation iranienne avait une tout autre vocation. C’est là que le raïs déchu recevait ses amis pour des parties de chasse et de pêche. Aujourd’hui, une aile de ce palais sert de siège au Tribunal spécial irakien (TSI), une instance créée par le défunt Conseil de gouvernement transitoire (CGT). À la tête du TSI, Salem Chalabi, cousin de l’autre.
Jeudi 1er juillet, donc. Il est 14 h 30. Un convoi, composé d’un bus blindé, de quatre véhicules tout-terrain et d’une ambulance, pénètre dans l’enceinte du complexe et s’arrête sur le parvis. Saddam Hussein, barbe plus sel que poivre, costume sombre et chemise blanche, menotté et pieds enchaînés, descend du bus. Le visage est amaigri, mais l’oeil toujours vif. Pressé d’en découdre – la veille il avait demandé au greffier venu lui signifier sa comparution devant un tribunal irakien : « Quand allez-vous enfin m’interroger ? » -, Saddam Hussein ne sait pas encore qu’il aura à affronter un petit juge irakien, Raed Djouhi.
La quarantaine à peine entamée, Djouhi est déjà une vedette du monde judiciaire national post-Saddam. En effet, il est en charge d’une autre affaire importante, celle de l’assassinat, à Nadjaf, le 21 avril 2003, de l’ayatollah Abdelaziz el-Khouï. C’est donc lui qui a officiellement mis en cause Moqtada Sadr, chef de l’armée du Mahdi, cauchemar des troupes de la coalition en pays chiite, principalement à Kerbala et à Nadjaf.
Quand Saddam pénètre dans la salle d’audience, il n’est plus menotté. Le magistrat veut vérifier la filiation du prévenu et s’entend répondre : « Je suis Saddam Hussein, fils de Sobha, président de la République d’Irak. » L’échange entre les deux hommes commence (voir encadré). Le juge Djouhi ne se laisse guère impressionner par l’arrogance de l’ancien dictateur. La courtoisie est de mise, mais le magistrat ne tolère aucune dérive. Durant les trente minutes d’audience, il interrompra à plusieurs reprises le prévenu, notamment quand celui-ci traite les Koweïtiens de « chiens ». L’attitude et les réponses de Saddam Hussein esquissent les contours de sa stratégie de défense. Recours à un juridisme pointilleux, transformation du box des accusés en une tribune politique à partir de laquelle il s’adressera à « son » opinion et à la communauté internationale. Halabja et le massacre au gaz de 5 000 Kurdes ? « J’en ai entendu parler, mais je n’ai aucune information à ce sujet. » La guerre Irak-Iran entre 1980 et 1988 ? « C’était dans l’ordre naturel des choses. » L’invasion du Koweït le 2 août 1990 ? « Il ne s’agit pas d’invasion puisque le Koweït est irakien. »
Inconscience, cynisme ou suffisance, Saddam conclura par ces mots : « Permettez-moi de ne pas signer l’acte d’accusation en l’absence d’un avocat. »
Plus tard dans la journée, onze collaborateurs de l’ancien président irakien défilent devant le petit juge. Hormis Tarek Aziz, ex-vice Premier ministre et chef de la diplomatie irakienne, qui se montre un peu combatif en qualifiant le procès de politique, les dix autres dignitaires de l’ancien régime signent sans sourciller le document que leur présente Raed Djouhi. Le plus prompt ? Hamza Zoubeidi, ancien vice-président du Conseil de commandement de la révolution (CCR), organe suprême dans les institutions de l’ancien régime. Zoubeidi signe sans le lire l’acte d’accusation. Le plus zen ? Taha Yassine Ramadan, autre adjoint de Saddam à la présidence. Durant l’audience, le fils de Mossoul ne se départira jamais de son calme légendaire. Le plus hilare ? Sultan Hachem Ahmed, dernier ministre de la Défense en date et signataire de l’accord de cessez-le-feu avec la coalition en mars 1991. Le plus abasourdi ? Barzan Ibrahim el-Hassan, cousin de Saddam et ex-grand argentier du clan de Tikrit. Le plus affecté ? Abdelhamid Mahmoud, secrétaire particulier de Saddam, qui ne cessera de clamer son innocence. Le plus pressé de retourner dans sa cellule ? Watban Ibrahim el-Hassan, demi-frère de Saddam et ex-ministre de l’Intérieur. Le plus accablé ? Ali Hassan el-Madjid, alias « Ali le Chimique », homme des basses oeuvres du régime. Quant aux autres, Abdelaziz el-Douri, ancien gouverneur de Bagdad, Mustapha Kamal Abdallah, adjoint de Qoussaï Hussein à la tête de la Garde républicaine, et Aziz Salah el-Nu’man, commandant régional du Baas à Bagdad, ils n’ont pas montré plus de combativité que leurs codétenus.
Le président américain George W. Bush a regardé à la télévision les images de l’audience et s’est félicité que l’ex-dictateur soit enfin déféré devant la justice de son pays. Le porte-parole de la Maison Blanche n’a fait aucun commentaire à propos des accusations lancées par Saddam (il a affirmé que le TSI n’est qu’une mise en scène théâtrale devant servir à faire réélire Bush en novembre prochain). Scott Mac Clellan s’est borné à avertir que le raïs déchu « dira toutes sortes de choses durant ce procès ». Si à Tikrit, ville natale de Saddam, on a beaucoup pleuré, ailleurs en Irak, il n’y eut ni manifestations de joie ni marches de protestation. Uniquement cette violence qui se fait quotidienne, et qui accapare l’esprit de tous les Irakiens.

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