Ingvar Kamprad : milliardaire, tout simplement

Selon un magazine financier suédois, le roi du « prêt-à-meubler » serait l’homme le plus riche du monde. Sa règle d’or : dépenser le moins d’argent possible.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

Quand il ne roule pas dans sa vieille Volvo achetée il y a plus de dix ans, il emprunte les transports en commun pour se déplacer. Et lorsqu’il se rend à l’étranger, c’est sur les sites discount d’Internet qu’il achète ses billets d’avion. Train de vie d’un homme prudent ? Non, celui d’Ingvar Kamprad, fondateur d’Ikea et première fortune du monde. Selon le magazine financier suédois Veckans Affaerer, Kamprad a délogé Bill Gates de la première place du classement planétaire. Avec une fortune personnelle estimée à 18,5 milliards de dollars, ajoutée à la valeur d’Ikea qui s’élève à 52,6 milliards de dollars, le roi du meuble en kit devance largement le créateur de Microsoft, qui ne totalise « que » 46,6 milliards de dollars.
Avec une telle richesse, Kamprad aurait largement les moyens de s’offrir plusieurs dizaines de jets privés ou de limousines avec chauffeur. Mais l’homme, aujourd’hui âgé de 78 ans, cultive la simplicité. S’il réside en Suisse, où il s’est établi avec sa famille dès 1976, c’est dans une discrète maison d’Epalinges, un village situé sur les hauteurs de Lausanne, qu’il habite. Le seul luxe qu’il se soit permis est l’achat d’un vignoble en Provence. « Un hobby qui me revient très cher », précise cependant celui qui s’est réfugié en terre helvète pour fuir le fisc suédois. L’homme, réputé pour ses goûts simples, est d’une parcimonie qui frise la ladrerie. Pour Kamprad, en effet, il n’y a pas de petites économies. Pas question, par exemple, de prendre l’autobus sans sa carte de réduction pour personnes âgées. Les commerçants du marché d’Epalinges se sont habitués à le voir faire ses courses en fin de journée, le moment idéal pour négocier le prix des tomates et bénéficier des meilleures offres. N’espérez pas le voir dans ces restaurants prisés des gens fortunés, il ne fréquente que les tables bon marché. Et lorsqu’on l’interroge sur les raisons pour lesquelles il voyage systématiquement en classe économique, l’entrepreneur répond : « Comment voulez-vous que je persuade les gens qui travaillent pour moi de voyager en classe économique si moi-même je voyage en première ? C’est une question de bon leadership ! »
Marié avec la fille d’un dentiste suédois, Margaretha, Kamprad est père de trois enfants. Trois fils qui occupent chacun un poste exécutif au sein du groupe que contrôle toujours leur père. Si ce dernier a démissionné de son fauteuil de PDG en 1986, il ne semble néanmoins pas prêt à se retirer des affaires. Ni à confier la direction de l’entreprise à ses enfants. En 2000, il déclarait : « Je ne crois pas qu’un seul de mes fils soit capable de diriger la compagnie. En tout cas pas dans l’immédiat. »
Aussi l’empereur du « prêt-à-meubler » continue-t-il à garder le contrôle de sa société par l’intermédiaire de diverses fondations familiales, tout en jouant de son sceptre comme d’une carotte. Tel le roi vieillissant d’un conte de Perrault, il promet de confier les rênes de son empire à celui de ses trois fils qui se montrera en quelque sorte le plus vaillant, donc le plus méritant. Le dragon auquel ils doivent se mesurer se nomme « rendement ». Et pour ramener sa tête sur un plateau, il faudra qu’ils travaillent d’arrache-pied. Derrière ce défi d’un autre temps se dissimule la foi d’un homme nourri au calvinisme pur et dur dès sa plus tendre enfance. Car chez les Kamprad tout se gagne au mérite et à la sueur de son front, et ce depuis des générations.
En 1897, parce qu’il ne pouvait pas rembourser l’hypothèque de sa ferme, le grand-père d’Ingvar se suicide d’un coup de revolver, laissant sa famille sans ressources. C’est sa veuve, la grand-mère du futur magnat du meuble, qui sauve la ferme du désastre à force de volonté et de travail. Kamprad a de qui tenir.
Né en 1926 dans le Smaland, une région située dans le sud de la Suède, Ingvar grandit dans la modeste ferme familiale, Elmtaryd, près du village d’Agunnaryd. Le jeune Kamprad n’a pas la fibre paysanne. Les travaux des champs ? Très peu pour lui. Soigner les bêtes ? Il s’en passe volontiers. D’ailleurs, il se fait sans cesse houspiller par son père parce qu’il refuse de traire les vaches. Au pis des bovins il préfère le nombre « pi », car le jeune garçon a développé très tôt le sens des affaires. Ne faisait-il pas du porte-à-porte avec son vélo pour vendre des allumettes au voisinage ? Le gamin avait rapidement compris qu’en en achetant à un grossiste de Stockholm et en les revendant au détail à bas prix, il pouvait réaliser une bonne marge. Le succès aidant, il inclut dans son commerce ambulant des décorations de Noël et des graines de semence. Ce sera la première société du futur entrepreneur de génie. La seconde, il la crée en 1943, à 17 ans tout juste. Elle se nommera Ikea et rencontrera le succès que l’on connaît (voir encadré).
Une success story qui n’est pas tout à fait sans taches. Dans les années 1980, Kamprad est accusé de faire travailler les enfants dans les pays pauvres. En 1998, un livre paru en Suède exhume ses activités pronazies pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Pour expliquer ce qu’il appelle « le plus grand fiasco de [sa] vie », le magnat suédois prétexte l’admiration qu’il éprouvait à 16 ans pour le leader local de l’organisation et l’influence de sa grand-mère, membre de la minorité allemande des Sudètes, alors sous domination tchèque. Il demande néanmoins pardon aux 25 000 employés de l’époque, dans une lettre manuscrite personnalisée. « J’ai cru stupidement, jeune, à trop de jolis mots diffusés généreusement par la propagande », écrit-il dans son courrier. Un ton contrit inhabituel chez un entrepreneur réputé pour son paternalisme et son management rigoureux. Le roi du meuble en kit exige beaucoup de ses employés, qu’il rémunère au lance-pierres, mais prend la peine de serrer la main de chacun des mille salariés présents à la réunion annuelle. Pétri de paradoxes, il offre aux 53 000 employés de la société le chiffre d’affaires d’un samedi, en octobre 1999, pour les remercier de leur contribution à la réussite du groupe au cours du dernier millénaire. Un geste auquel personne ne se serait attendu de la part d’un homme connu pour sa parcimonie. Mais qui peut vraiment cerner Kamprad ? N’a-t-il pas caché soigneusement plus de trente années de penchant prononcé pour la vodka ? En août 1998, il confirmait son alcoolisme : « Mes problèmes ont commencé dans les années 1960, en Pologne. Nous travaillions énormément et buvions tout le temps, le recours à la vodka était compulsif. » Depuis, Kamprad n’a pas gagné son combat contre la vodka, mais il s’astreint à cinq semaines d’eau claire trois fois par an.
Mais s’il y a bien un vice qu’il n’est pas près de perdre, c’est l’avarice. À trop contrôler ses moindres dépenses, on finit par se voler soi-même. Alors qu’il était en déplacement aux États-Unis, l’entrepreneur se rend dans un hôtel à New York où il avait réservé une chambre. À la direction qui met à sa disposition la plus belle suite de l’établissement, Kamprad oppose un refus poli mais ferme et insiste pour garder le petit single sans prétention qu’il avait réservé. Sans savoir que l’hôtel lui appartenait.

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