Face-à-face épistolaire

Premier dialogue public entre Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, les camarades devenus ennemis. Confrontation polie, dialogue de sourds.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 2 minutes.

C’est une première. Depuis l’éclatement, le 19 septembre 2002, de la crise politico-militaire, les deux hommes ne s’étaient pas parlé. Et là, non seulement ils s’échangent un courrier, mais ils se tutoient ! Comme au bon vieux temps de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire). Voilà un dialogue entre Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, les deux faces d’une même médaille, comme le pense un de leurs compatriotes Yacouba Konaté, philosophe et critique d’art.
Parlant du conflit, ce dernier écrit : « Avec le choc du 19 septembre, la Côte d’Ivoire semble avoir troqué sa réputation d’oasis et de havre de paix contre de longs mois de guerre. Ce changement de décor ne va pas sans quelques changements de rôles… Dans les replis de la confrontation entre le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire [MPCI] et le régime de Laurent Gbagbo s’opposent deux condisciples du département d’anglais, deux compagnons de route, deux camarades qui ont souvent partagé la même chambre, les mêmes pratiques de la violence. Parce que Charles Blé Goudé a été le secrétaire de la Fesci au moment où Guillaume Soro en était le secrétaire général, parce que la notion de patriotisme apparaît dans les noms des mouvements animés par les deux protagonistes, on peut dire qu’il y a « match dans match » ». Du moins à première vue.
Mais les deux anciens camarades de campus ne jouent pas la même partition. Dans sa lettre du 22 juin publiée par le quotidien Le Temps, Charles Blé Goudé use de la corde sensible. Deux jours plus tôt, Guillaume Soro a failli être tué dans un attentat contre son cortège entre Korhogo et Bouaké. Le chef des patriotes d’Abidjan s’inquiète pour la vie de son ancien condisciple. Il le met en garde contre ses compagnons d’armes. Fraternellement, il l’appelle « mon ami Bogota », en référence aux années Bédié quand Soro, leader étudiant clandestin, portait un nom de guerre. Déjà dans ces colonnes, en janvier dernier, il avait lâché : « Soro demeure mon ami. Il a joué dans une équipe qui n’est pas la sienne. Il doit revenir à sa famille naturelle : la jeunesse de gauche » (J.A.I. n° 2246).
Dans sa réponse du 23 juin parue dans L’Intelligent d’Abidjan, le secrétaire général des Forces nouvelles se place sur un tout autre registre. Un peu d’émotion au début : « Cher Charles, voilà une lettre [qui] me touche particulièrement. » Puis, très vite, les choses sérieuses. L’important, dit Guillaume Soro, c’est de faire « des élections libres, transparentes et ouvertes à tous ». Alors la famille pourra se réunir à nouveau. Soro ne renie pas son passé, mais il réagit en homme politique. Son regard reste fixé sur les accords de Marcoussis. Entre le « ministre de la rue » d’Abidjan et le « Robin des Bois » de Bouaké, ce premier échange de lettres ressemble donc à un dialogue de sourds. Mais il a le mérite d’exister. Les deux hommes sont jeunes. 32 ans l’un et l’autre. Sans doute pressentent-ils qu’un jour ou l’autre, inévitablement, leurs chemins se croiseront à nouveau.

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