Escale à Khartoum

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Khartoum, midi GMT. Malgré la chaleur mordante, la vie tranquille de la capitale soudanaise ne s’interrompt pas, elle se ralentit. De toute façon, les gens semblent n’être jamais pressés, comme si tout venait toujours à point à qui sait rester maître de lui-même. Rien ne peut se faire si Allah ne l’a pas décidé, affirment les fatalistes. Écrasées de soleil, les rues charrient posément leur lot de voitures. Sur les trottoirs, des hommes en djellaba et turban blancs et de rares femmes, voilées comme il se doit, déambulent calmement mais avec la détermination de celui ou celle qui n’accomplit que son devoir. Le visiteur d’un jour a la sensation que pas un chien, pas un chat, pas un oiseau n’est là par hasard.
Khartoum, curieuse ville, mi-arabe mi-africaine, aime l’ordre et la méthode. Vue d’avion, elle ressemble à un gros quadrilatère posé au bord du Nil. Les rues, même les plus modestes, se coupent à angle droit avec une régularité géométrique. Les bidonvilles sont aussi dignes et rectangulaires que les quartiers chic. Quelques boulevards en mal d’indépendance osent s’incurver vers le fleuve, mais ils font exception. Les quartiers sont alignés comme des cubes dans une grande boîte. Jusqu’aux hangars industriels, méticuleusement posés les uns à côté des autres. Et si quelque camion est garé de guingois, c’est qu’un chauffeur pressé a manqué à sa tâche. L’alignement des maisons n’est rompu que par les mosquées posées de biais pour mieux regarder La Mecque. La plupart d’entre elles, taches vertes dans un océan de poussière brune héritée du désert proche, tendent un minaret unique et désespéré vers un ciel qui n’est pas toujours clément.
Au loin, le Nil étire des bras dégingandés et rutilants. Il gorge d’eau et de limon fertile la plaine soudanaise. La cité s’est d’ailleurs installée à distance respectable, laissant pousser légumes et céréales sur les terres irrigables. Nul étonnement à constater que les champs sont alignés, parfaits quadrilatères eux aussi, leur monotonie à peine rompue par l’alternance des verts et des ocres. J’en viens à regretter Lagos, ma bien-aimée nigériane, si bruyante, si agitée, mais si chaleureuse.
La nuit est à peine moins chaude que le jour. Elle fait sortir les petites grenouilles des plates-bandes de menthe poivrée où elles s’étaient réfugiées. Même sans mare à proximité, elles jouissent à satiété de l’arrosoir du jardinier qui, à l’aube, vient abreuver les massifs pour les préparer à la cuisante épreuve du jour. Les rues sont vides. On ne voit pas le petit peuple de la nuit, les mendiants et les enfants en haillons qui hantent l’obscurité des villes africaines. Les échoppes déglinguées ont refermé leur porte de tôle, le vent du désert soulève quelques papiers rebelles et solitaires, on cherche en vain un papillon de nuit voletant auprès des réverbères. Seules quelques tours spectrales en construction viennent rappeler au visiteur que le pays travaille à son développement, bâtit des immeubles et des centres d’affaires.
La vie nocturne se réfugie dans les restaurants étrangers et les grands hôtels. Les rares établissements soudanais ferment leurs portes si tôt que l’étranger de passage s’interroge sur les heures des repas dans ce pays. Heureusement, quelques Indiens et Chinois sont parvenus à maintenir leur table ouverte et accueillent chaleureusement les affamés que rebute l’ordinaire des fast-food. Dans les palaces, les employés travaillent toute la nuit. Ils n’ont qu’un regard compatissant pour les malheureux sans bagages qui ont manqué leur avion et croisent les Syriens ou les Saoudiens fatigués, arrivés par les vols de nuit. Aujourd’hui, les distractions sont plutôt rares pour les voyageurs qui ne font qu’une escale éclair à Khartoum. Il faut décidément du temps pour briser la glace de cette ville mystérieuse.

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