Enfin, des vaccins pour tous ?

Grâce au Vaccine Fund, un partenariat public-privé lancé en 1999, plus de 60 millions d’enfants ont pu être immunisés. Le secret de cet organisme à vocation financière ? Des plans quinquennaux qui permettent aux pays de s’organiser.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 6 minutes.

On parle énormément du sida et des ravages qu’il cause dans les pays en développement. Il est vrai qu’il tue, chaque jour, 8 500 personnes. Un autre fléau fait cependant presque autant de dégâts, avec le triste score de 8 000 décès quotidiens : les maladies infectieuses – contre lesquelles, pourtant, il existe un vaccin. Mais personne ne parle de ces victimes-là, pour la plupart des enfants. Au Nord, où les nouveau-nés peuvent consulter un pédiatre à la moindre alerte, qui imagine que, dans le Sud, 500 000 à 800 000 enfants meurent chaque année de diarrhées ? Que la rougeole tue 750 000 personnes, en grande partie des moins de 5 ans, alors que le vaccin coûte 15 centimes d’euro ? Tout cela parce que les vaccins primaires ne sont pas disponibles, parce qu’ils sont trop chers ou parce que les centres sont trop éloignés. Ainsi 8 000 personnes meurent-elles chaque jour alors qu’elles devraient être protégées de maux que l’on maîtrise depuis parfois plus d’un demi-siècle.
Qu’attend-on donc pour rendre les vaccin disponibles ? Ce n’est pas si facile. On connaît les difficultés d’une vaccination de masse. Ce n’est pas seulement une question de disponibilité et de prix des produits. Il faut des infrastructures, du personnel, et, surtout, il faut pouvoir toucher toute la population, ou à tout le moins entre 80 % et 90 % d’entre elle. Sinon, aucune épidémie ne peut être endiguée. Le récent exemple de la poliomyélite l’a prouvé. Alors qu’on espérait pouvoir annoncer son éradication, grâce à des campagnes d’immunisation en masse organisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Fonds des nations unies pour l’enfance (Unicef), le refus opposé par quelques États de la Fédération du Nigeria a redonné de la vigueur au virus. Il se moque des frontières et a recommencé à infiltrer l’Afrique de l’Ouest.
C’est donc une lutte coordonnée et sans relâche qu’il faut entreprendre. C’est la mission que s’est donnée le Vaccine Fund. Lancé en 1999, ce partenariat public-privé travaille de concert avec l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (Gavi), dont il est « l’organe financier ». Au nombre des partenaires de cette initiative on compte la Fondation Bill & Melinda Gates, qui a fourni les fonds nécessaires au démarrage (750 millions de dollars), l’OMS, l’Unicef, la Banque mondiale, des gouvernements, l’industrie pharmaceutique, des institutions de santé publique et des organisations non gouvernementales (ONG).
Le Vaccine Fund, s’il ne fait pas grand bruit, avance. Très innovante, sa méthodologie donne de très bons résultats. Fin 2003, 60 millions d’enfants avaient été vaccinés grâce à son programme. Mais au prix d’un énorme travail. Car, comme le souligne Jacques-François Martin, président du Fonds, « la vaccination est tellement banalisée que l’on n’en entend parler que lorsque les choses se passent mal ». D’où la difficulté de convaincre les financeurs potentiels.
De l’autre côté de la barrière, dans les pays en développement, il faut également convaincre les autorités que vacciner des enfants est une assurance sur l’avenir. Non seulement parce que la charge morbide et mortelle qu’ils représentent diminue, mais aussi parce que « investir dans des infrastructures et du personnel sanitaires pour vacciner permet de faire passer d’autres messages sanitaires ». Ainsi, au Mozambique, l’argent du Vaccine Fund a-t-il servi, entre autres, à l’achat de mobylettes pour transporter les vaccins jusqu’aux villages les plus isolés. Dès le deuxième voyage, les deux-roues, outre la glacière contenant les sérums, transportaient également des moustiquaires imprégnées pour protéger du paludisme, du matériel d’information sur le sida, etc.
Quel est donc le secret de cette structure qui fonctionne ? Des plans quinquennaux. Comme le souligne Jacques-François Martin, « le Vaccine Fund s’engage sur cinq ans, ce qui permet au pays de connaître la somme dont il disposera s’il remplit ses engagements. Alors qu’en règle générale les budgets d’aide au développement sont annuels et que les autorités des pays bénéficiaires doivent attendre le dernier trimestre d’une année pour connaître la somme dont ils disposeront l’année suivante. » Pour ces pays, qui dépendent énormément des ressources extérieures, pouvoir planifier est un luxe. Ils sont 75, dont la quasi-totalité des pays africains, à avoir été désignés comme bénéficiaires potentiels de ce programme, suivant un critère unique : avoir un PNB par habitant ne dépassant pas 1 000 dollars. Mais c’est à eux de faire savoir qu’ils souhaitent l’appui du Fonds.
L’organisation ne signe pas pour autant de chèques en blanc. Chaque année, les ministères de la Santé des pays cibles doivent publier leurs résultats. S’ils ont atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés et qui s’expriment en nombre d’enfants additionnels vaccinés par rapport à l’exercice précédent, alors les fonds sont débloqués. S’ils parviennent à immuniser plus que prévu, 20 dollars par enfant sont ajoutés à la somme initiale. S’ils ne parviennent pas à tenir leurs objectifs, alors la subvention est réduite, en général de moitié pour éviter une rupture de fourniture dans le pays.
Les équipes du Vaccine Fund ne prennent pas pour argent comptant les chiffres avancés par les gouvernements. Des équipes indépendantes mènent des audits afin de les vérifier. « Au début, la majorité des pays fournissait des chiffres erronés. Pas toujours pour tricher, mais aussi parce que le système de recueil et de centralisation des informations n’était pas efficient. Aujourd’hui, la proportion de « bons » pays augmente. » Ce qui témoigne d’un autre mérite de cette initiative. En donnant aux pays suffisamment de moyens pour mettre en place des programmes à long terme et en leur laissant définir leurs besoins, avec l’aide d’un comité de coordination interagences (CCI) qui regroupe les partenaires du Vaccine Fund au niveau local, l’organisation a permis de renforcer les compétences locales.
Que se passera-t-il lorsque les plans quinquennaux seront arrivés à leur terme ? À première vue, si les infrastructures existent et si le personnel dûment formé reste en place, les choses pourraient continuer. Restera un problème, et de taille : où trouver l’argent pour financer les vaccins, les nouvelles formations ou les nouveaux bâtiments ? Or, insiste Martin, « nous voulons être incitatifs et ne pas devenir un simple instrument de financement de vaccins pour toutes les campagnes d’immunisation de base ». Alors, là aussi, l’équipe a pris les devants. Chaque État doit, dans la troisième année de réalisation du programme, établir un plan de viabilité financière. Il s’agit de calculer ce que l’État peut fournir en ressources propres, et de trouver le moyen de financer le complément. S’il leur est vraiment impossible de boucler le budget, le Vaccine Fund les aidera.
Plusieurs solutions existent, notamment l’étalement des versements sur dix ans plutôt que sur cinq ou l’utilisation des remises de dettes. Jacques-François Martin envisage également d’organiser un partenariat structuré avec l’Union africaine. Ce qui, selon lui, serait « un succès pour l’Afrique, qui en a vraiment besoin. Elle pourrait montrer à la communauté internationale des résultats positifs, et aussi développer le système sanitaire, les infrastructures pouvant servir à beaucoup d’autres actions ». Les discussions en sont à leur début, mais l’équipe a confiance.
Pour poursuivre sa route, toutefois, le Vaccine Fund a lui aussi besoin de donateurs réguliers. Avec 300 millions de dollars par an, l’équipe estime qu’il lui manque environ 100 millions pour effectuer son travail comme elle le souhaite : « Avec 100 millions de plus chaque année, nous sauverions un million d’enfants supplémentaires. » Mais où trouver ces sommes, notamment pour utiliser les nouveaux vaccins, comme celui qui immunisera contre le rotavirus, responsable de diarrhées mortelles ? À ce moment-là, si l’on veut que les pays en développement y aient accès, le Vaccine Fund aura besoin d’un total de 1 milliard de dollars par an. Jacques-François Martin a placé l’organisation qu’il dirige dans la liste des prétendants à l’International Finance Stability, le mécanisme financier imaginé par Gordon Brown, le ministre britannique des Finances, et qui permettrait de débloquer rapidement une grosse somme d’argent. Même avec la version test, le Fonds pourra encore une fois prouver que la vaccination n’est pas une dépense inutile mais un investissement durable, et que l’innovation paie. D’ailleurs, certains en sont déjà convaincus, puisque que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose a été créé, en 2001, sur des bases identiques.

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