Baroud de déshonneur

En riposte à l’élimination de leurs chefs, le 18 juin, les salafistes s’attaquent à la production et au transport de l’électricité.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

Vingt-quatre heures après la publication, le 20 juin, d’un communiqué de l’armée annonçant la mort de Nabil Sahraoui, alias Mustapha Abou Ibrahim, émir autoproclamé du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, affilié à la nébuleuse el-Qaïda), une forte explosion a secoué le quartier d’el-Hamma, à Alger. L’attentat visait une centrale électrique couplée à une usine de dessalement de l’eau de mer. Les dégâts sont minimes et l’on ne déplore qu’une dizaine de blessés légèrement touchés.
Immense cratère creusé sur la chaussée, mur d’enceinte soufflé en direction de l’intérieur de l’usine… Les premiers indices semblent étayer la thèse d’un attentat à la voiture piégée. Pourtant, le gouvernement privilégie celle de l’accident et promet une enquête interne. Contemplant les dégâts, un agent de sécurité de la centrale ne cache pas son écoeurement : « Dans un complexe résidentiel où vivent de nombreux dirigeants de l’État, se lamente-t-il, des centaines de gendarmes sont mobilisés pour protéger des nuits de beuverie. Alors que ce site industriel stratégique qui a coûté des centaines de millions de dollars est loin de bénéficier de la même protection… »
Une semaine plus tard, le 27 juin, le GSPC a revendiqué l’opération sur un site Internet islamiste et annoncé la diffusion prochaine d’images vidéo tournées pendant sa préparation. La revendication porte la signature de la cellule de communication du GSPC, qui promet une série d’attaques contre des installations énergétiques. Indiscutablement, cette nouvelle stratégie porte la marque de Sahraoui. Dans sa dernière fatwa datée du 6 juin, « l’émir » recommandait en effet à ses hommes d’imiter « les frères saoudiens, qui, sous la direction d’Abdelaziz el-Moukrine, s’en prennent aux étrangers et au secteur pétrolier ». Vieil ami du chef du GSPC, avec qui il fit naguère le coup de feu dans les maquis algériens, ledit Moukrine a été abattu par les services saoudiens, à Riyad, le 18 juin (J.A.I. n° 2268).
Problème : les sites d’exploration et d’exploitation pétrolières, dans le Grand Sud, sont placés sous très haute surveillance. Un périmètre de sécurité de plusieurs centaines de kilomètres a été établi autour d’eux : impossible pour un élément extérieur d’y pénétrer sans autorisation. Le GSPC a donc été contraint de se rabattre sur les centrales et le réseau de transport électriques. Dans la foulée de l’attentat d’el-Hamma, un pylône à haute tension a d’ailleurs été saboté près de Boudouaou (à 30 km à l’est d’Alger), provoquant des perturbations dans la distribution. Quelques jours auparavant, la Sonelgaz, la société nationale, avait annoncé que, contrairement aux années précédentes, aucun délestage n’était prévu pendant les grandes chaleurs de l’été… Dans ces conditions, le pari risque d’être difficile à tenir.
De même, certaines inquiétudes se font jour concernant l’alimentation en eau potable. La capitale et sa périphérie sont alimentées grâce à de puissantes pompes reliant les dix barrages du centre du pays. Les réserves accumulées après les fortes pluies des derniers mois sont suffisantes pour satisfaire les besoins, mais qu’arrivera-t-il si les actes de sabotage se multiplient ? Le GSPC a-t-il les moyens de mettre à exécution la fatwa de Sahraoui ?
Après la revendication de l’attaque d’el-Hamma, certains observateurs se sont empressés de mettre en cause la responsabilité d’Abbi Abdelaziz, alias Okacha el-Para, dans la préparation de l’attentat. Le lieutenant de Sahraoui avait été abattu en même temps que lui, le 18 juin, mais ses hommes auraient fort bien pu passer à l’action après sa mort, conformément à ses instructions. Okacha el-Para passait en effet pour le meilleur artificier du GSPC. Et la nature de l’explosif, un mélange d’acétylène, de soufre et de propane, semble porter sa « signature ». Le véhicule piégé aurait en outre été volé quelques jours plutôt en Grande Kabylie, fief de Sahraoui et d’Okacha. Mais cette thèse a fait long feu.
Chéraga, 28 juin. À 19 heures, dans ce paisible quartier des hauteurs d’Alger, les forces de sécurité se lancent à l’assaut d’une villa. Les deux occupants, Abdelhalim Defaïri (31 ans) et Mohamed Azizi (34 ans), sont filés depuis plusieurs semaines. Armés de pistolets à quinze coups, ils ouvrent le feu sur les policiers et résistent jusqu’à 2 heures du matin avant d’être abattus.
Defaïri, alias Abou Abdallah, est considéré comme l’émir de la cellule algéroise du GSPC, la Seriya el-Houra (phalange libre), qui dépend de l’autorité d’Abdelhamid Saadaoui, alias Abou el-Heythem, le possible successeur de Sahraoui à la tête de l’organisation salafiste. Quant à Azizi, il serait l’artificier de la « phalange » et impliqué, à ce titre, dans la plupart des attentats terroristes perpétrés à Alger au cours des douze derniers mois : assassinats de policiers et de repentis de l’Armée islamique du salut (la branche militaire de l’ex-FIS), exécution d’un imam de la mosquée de Mohammadia, en septembre 2003… Les deux hommes sont-ils également derrière l’attentat d’el-Hamma ? Impossible de l’exclure.
Quoi qu’il en soit, le reste du groupe – une demi-douzaine d’éléments, semble-t-il – est toujours dans la nature. De quelles capacités de nuisance dispose-t-il encore ? Personne n’en sait rien, ce qui n’empêche pas un officier de police cité par le quotidien algérois L’Expression de se montrer très optimiste : « Le maillage sécuritaire autour de la capitale et dans les centres urbains est tel qu’il est pratiquement impossible qu’un autre attentat ait lieu », estime-t-il.
Il en faudra davantage pour rassurer les chancelleries étrangères. En fait, celles-ci se montrent moins troublées par la fatwa de Sahraoui elle-même que par son traitement médiatique. « Au moment où nous essayons de convaincre nos gouvernements de l’amélioration des conditions sécuritaires dans le pays, déplore un diplomate occidental, voilà qu’un quotidien privé réputé proche des services de sécurité donne à la fatwa de Sahraoui une importance qu’elle n’a pas. Qui cherche à nous faire peur ? »
Du côté de la hiérarchie militaire, on reste serein. « Les étrangers ne sont pas plus menacés qu’avant le 6 juin [date de la fatwa de Sahraoui], assure un officier supérieur. Chaque jour qui passe voit les capacités de nuisance du GSPC se réduire. » Reste qu’après l’attentat d’el-Hamma le dispositif sécuritaire mis en place autour des sites stratégiques va être sensiblement renforcé. Dans les prochains jours, les onze mille policiers affectés au « maillage » des centres urbains et les quinze mille gendarmes de l’opération Dolphine (déclenchée chaque été, depuis plusieurs années) devraient recevoir des renforts, surtout dans le domaine de l’encadrement. Des spécialistes de la lutte antiterroriste vont de nouveau être dépêchés sur le terrain.

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