Avraham Burg, la colombe déchirée

Quand un homme de paix quitte la politique.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

En annonçant abruptement, le 28 juin, qu’il renonçait à la vie politique, Avraham Burg, 49 ans, député travailliste, ancien président de la Knesset et signataire de l’Accord de Genève, a provoqué un choc qui dépasse la simple anecdote. En témoigne une procédure inhabituelle. Au reçu de la lettre de démission de Burg, le likoudnik Reuven Rivlin, président de la Knesset, en disant ses regrets, décida de consacrer une discussion spéciale au départ de son ex-président, qui y prononcera un discours d’adieu. Dans l’immédiat, celui-ci s’est borné à dire qu’il s’était résolu à son geste le coeur lourd, au motif que la Knesset « n’était pas aujourd’hui à son plus haut niveau ». Soit un écho volontairement atténué de propos antérieurs où il avait fait scandale en ne proclamant rien de moins que « la fin de la révolution sioniste ».
En août 2003, dans Yediot Aharonot, le plus grand quotidien d’Israël, sous le titre « La société israélienne s’effondre et ses leaders gardent le silence », il n’hésitait pas à écrire : « La révolution sioniste a toujours reposé sur deux piliers : une voie juste et une direction éthique. Ils ont tous les deux disparus. Aujourd’hui, la nation israélienne s’appuie sur un échafaudage de corruption. Lui-même posé sur des fondations d’oppression et d’injustice. En tant que telle, la fin de l’entreprise sioniste est déjà à notre porte. Il existe une vraie possibilité que notre génération soit la dernière du sionisme. Il se peut qu’il y ait un État juif, mais il sera d’un autre genre, étrange et affreux. […] Le peuple juif n’a pas survécu deux mille ans pour créer de nouvelles armes, des programmes de sécurité informatique ou des missiles antimissiles. Nous devions être la Lumière des Nations. En cela, nous avons échoué, de façon tonitruante. Ces deux mille ans de lutte du peuple juif pour sa survie n’ont conduit qu’à un État de colonies, dirigé par une clique sans morale de hors-la-loi corrompus sourds à la fois à leurs concitoyens et à leurs ennemis. […]
« Israël, qui a cessé de se soucier des enfants des Palestiniens, ne doit pas être surpris quand ceux-ci viennent, baignés de haine, se faire exploser sur les lieux où les Israéliens fuient la réalité. Ils font couler notre sang dans les restaurants pour nous couper l’appétit car, chez eux, leurs enfants et leurs parents connaissent la faim et l’humiliation. » Et de conclure par un réquisitoire contre Ariel Sharon et une trop silencieuse opposition.
Avraham Burg n’est pourtant pas une « colombe professionnelle » ou un critique habituel du sionisme. Tout au contraire. Juif religieux portant kippa, il s’affirme fidèle au message biblique promettant aux Juifs la Terre d’Israël et notamment la cité disputée d’Hébron. Mais il incarne en même temps dans sa biographie l’un des déchirements majeurs de la société israélienne. Dans une « Lettre à mes amis palestiniens », publiée le 17 septembre 2003 dans le quotidien de Jérusalem Al-Qods, il s’en explique franchement : « Ma mère est née à Hébron en 1921, de la septième génération de Juifs d’Hébron. Je suis de la huitième génération. Le lien affectif qui nous attacha à cette cité des Patriarches a été sauvagement tranché au cours de l’été 1929, quand des émeutiers qui hurlaient « Mort aux Juifs ! » sont passés à l’acte. La moitié des membres de ma famille ont été égorgés par les pogromistes. L’autre moitié, dont mon grand-père, des oncles, des tantes et ma mère, ont été sauvés par le propriétaire arabe de leur résidence. Depuis, ma famille s’est divisée en deux. Une moitié ne fera plus jamais confiance aux Arabes, surtout à ceux d’Hébron. L’autre moitié, où je me range, ne renoncera jamais à rechercher des voisins avides de paix, afin de sauver avec eux le monde qui nous est commun. J’ai le droit au retour, dans la ville où est née ma mère et d’où elle a été chassée. Je ne renoncerai jamais à ce droit, mais je n’ai aucune intention de l’exercer : car le droit à la vie de mes enfants et de tous les enfants d’Hébron prend le pas sur le droit de se massacrer mutuellement sur l’autel de la terre. »
C’est dire le douloureux chemin qu’il lui fallut accomplir pour cosigner, après trois semaines de réflexion, l’Accord de Genève. Et appeler ses amis arabes à l’imiter : « Je dois consentir à un compromis avec mon rêve, renoncer à revenir à Hébron, pour vivre libre et affranchi dans le nouvel Israël. Mon frère arabe doit pareillement renoncer à revenir à Jaffa ou à Ashkelon, mais vivre en toute dignité à Naplouse ou à Beit Anane. »

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