Au Palais de Skhirat, l’horreur

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

C’est l’été. Les pelouses du palais de Skhirat, plantées de mimosas et d’eucalyptus, sont envahies par une foule imposante. Plus de mille personnes, presque uniquement des hommes en tenue décontractée, comme le stipulaient les cartons d’invitation. Ce joli monde se rapproche de l’imposant buffet préparé sur des dessertes entourant la piscine. Tout près, le golf royal. En contrebas, une longue plage séparée des jardins par d’immenses baies vitrées. Le gratin du royaume est convié par Sa Majesté Hassan II à fêter son quarante-deuxième anniversaire. Avec le faste de rigueur.
Parmi les personnalités, outre la famille royale au complet et une bonne partie du gouvernement entourant Ahmad Laraki, le Premier ministre, on reconnaît des généraux en civil, des ambassadeurs en pantalon de toile et des hôtes de marque étrangers en chemisette : Bourguiba Jr, Louis Joxe, Jacques Benoist-Méchin, le danseur Jacques Chazot, les professeurs Touraine et de Gennes, le joaillier Chaumet, l’octogénaire Dr Dubois-Roquebert, et bien d’autres. Tous se congratulent au soleil dans un joyeux désordre.
Seul, attablé sous sa tente, Hassan II attaque sa langouste. Il est 14 h 08. Des détonations retentissent, l’orchestre se tait. Un Français s’effondre, bientôt suivi par l’ambassadeur de Belgique. Des grenades volent. Ce n’est pas le crépitement d’un feu d’artifice insolite, mais le début d’un massacre. Déjà, les corps de nombreux caddies, ces gamins chargés d’assister les golfeurs, s’entassent, sans vie, sur le green où des militaires en treillis viennent de prendre position. Le roi se lève : « Qu’est-ce que c’est ? Qui a donné l’ordre ? » Très vite, on l’entraîne à l’écart, dans les toilettes d’un bungalow proche de la salle du Trône, où il se réfugie en compagnie d’un petit groupe passablement désemparé. Avec eux, le général Oufkir qui peste de se trouver désarmé. Trois heures de confusion sanglante s’ensuivent. Les mille quatre cents élèves sous-officiers de l’école militaire d’Ahermoumou, débarqués des soixante camions qui les ont transportés – pour de prétendues manoeuvres à tir réel – depuis les montagnes berbères de Taza avec tout leur armement, déferlent sur l’esplanade après avoir balayé la Garde royale. À leur tête, le colonel M’Hamed Ababou, flanqué de son garde du corps, le géant Akka, qui l’exécutera, à sa demande, après l’échec du putsch.
À la surprise générale, le général Medbouh, directeur de la Maison militaire royale, fait son apparition en grand uniforme. C’est lui qu’on créditera de la direction des opérations, pour autant qu’on puisse utiliser ce terme s’agissant d’une boucherie dans laquelle les hommes semblent ne devoir qu’au hasard d’être assassinés ou d’avoir la vie sauve. Ceux qui croient s’échapper par les brèches des vitres donnant sur la plage se vident de leur sang sur le sable, fauchés par les rafales de soldats enivrés par le massacre. Le frère de Hassan II, le prince Moulay Abdallah, est grièvement blessé. Pour avoir sans doute été drogués, les cadets n’en sont pas moins parfaitement entraînés : les deux compagnies mobiles d’intervention, loyales celles-là, qu’on a dépêchées à la première alarme sont anéanties.
Vers 17 heures, le feu s’apaise. Medbouh est mort dans des circonstances mal élucidées, sans doute éliminé par Akka sur ordre de son ancien complice Ababou. Le gros de la troupe des mutins s’est replié sur Rabat pour attaquer d’autres objectifs, ne laissant sur place qu’un rideau d’isolés. On voit soudain passer le roi, conduit à l’abri des regards par un cadet. Est-ce la fin de la monarchie alaouite ?
Quelques minutes plus tard, Hassan II réapparaît, tout sourires. Il déclare devant les invités parqués face contre terre, les mains sur la tête, à l’adresse d’Oufkir : « Je te confie tous les pouvoirs civils et militaires. » Fin de la tuerie. La répression peut commencer, et, avec elle, l’impossible analyse d’une mutinerie absurde qui déclencha l’enfer en épargnant celui qui, à l’évidence, était au coeur de la cible : le roi du Maroc.

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