Reprise en main

Le bras droit du chef de l’État, Fodé Bangoura, sort de l’ombre, prend la tête du nouveau gouvernement et y fait entrer les ultras pour sauver le régime.

Publié le 6 juin 2006 Lecture : 5 minutes.

Fodé Bangoura a accepté de sortir de l’ombre. Le secrétaire général de la présidence de la République qui, de son bureau du quatrième étage du « Petit Palais », tirait les ficelles du pouvoir, occupe depuis le 29 mai les fonctions de ministre d’État aux Affaires présidentielles, chargé de la coordination de l’activité gouvernementale. Un Premier ministre de facto, en lieu et place de Cellou Dalein Diallo, arrivé à la primature le 9 décembre 2004 et limogé le 5 avril 2006 pour « faute lourde ».
La nomination de Bangoura n’est pas la moindre des surprises de ce remaniement ministériel. L’homme fort du régime ne s’est pas limité à prendre la tête de la nouvelle équipe : il y a appelé un escadron d’ultras que tout le monde croyait finis, des historiques sur lesquels il compte pour davantage raffermir son emprise sur le pays. Moussa Solano retrouve ainsi, avec rang de ministre d’État, le portefeuille de l’Administration du territoire et de la Décentralisation qu’il a détenu de mars 1999 à février 2004. Limogé par l’éphémère Premier ministre (de février à avril 2004) François Lonsény Fall, Solano est lié à Bangoura par une longue et vieille collaboration : tous deux ont négocié pour le compte du régime Conté les virages des législatives de juin 2002 et de la présidentielle de décembre 2003.
Alsény René Gomez, un autre dinosaure, hérite du maroquin de la Justice, après une traversée du désert qui durait depuis juillet 1996. Cet ancien ministre de l’Intérieur a réussi le tour de force de faire passer Conté au premier tour de la présidentielle de décembre 1993, après l’annulation des votes à Siguiri et à Kankan, les deux fiefs de l’opposant Alpha Condé.
Veut-on par ce retour des purs et durs formés dans la culture du parti unique sous l’ère Sékou Touré récompenser les bons et loyaux services rendus par le passé ? Cherche-t-on à resserrer les rangs autour de fidèles au moment où le régime craquelle de toutes parts ? N’est-on pas tenté de penser que Solano (pour gérer un processus électoral lourd d’incertitudes) et Gomez (pour faire un sort aux recours de vainqueurs privés de leur victoire) forment un duo de choc pour verrouiller des élections anticipées ?
Une seule certitude : le cocktail servi aux Guinéens le 29 mai n’a rien d’ordinaire. Il consolide l’emprise des Soussous (l’ethnie du chef de l’État) sur les leviers de l’État. Bangoura est renforcé dans son rôle de gardien du palais. Solano est à l’Intérieur. Gomez, à la Justice. Le patron de presse Aboubacar Sylla, fondateur des hebdomadaires L’Indépendant et Le Démocrate, arrive à la tête de l’Information. Les Mines, première source de devises du pays, sont aux mains d’Ousmane Sylla.
D’autres personnalités – proches de Bangoura – originaires de la Guinée maritime (le pays soussou), sont au cur du pouvoir : le chef d’état-major de l’armée, Kerfalla Camara ; le président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé ; le patron des patrons, Elhadji Mamadou Sylla, première fortune du pays Dans ce contexte d’incertitude politique, où la maladie du chef de l’État peut mettre fin au régime à tout instant, le pouvoir est plus encadré pour tomber dans des « mains sûres » au cas où.
Désormais arrimé aux commandes, Fodé Bangoura va coordonner un gouvernement composé pour l’essentiel de ses affidés. Si les ministres proches de l’ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo ont été limogés (Aïssatou Bella Diallo) ou « dégradés » (Fatoumata Kaba Sidibé), tous les poulains de Bangoura ont été maintenus, comme Jean-Claude Sultan aux Postes et Télécommunications, Charles Kémo Zogbélémou au Contrôle économique et financier, ou promus : rang de ministre d’État pour Mady Kaba Camara à l’Économie et aux Finances, et pour Bana Sidibé aux Travaux publics.
Alpha Ibrahima Keira, lui, quitte la Fonction publique pour le « juteux » département des Transports. Tandis que Kiridi Bangoura, qui tentait de jouer la carte de la neutralité, paie sans nul doute le prix de son indécision. Le désormais ex-ministre de l’Intérieur se retrouve à l’Enseignement technique et Formation professionnelle, une coquille vide dans un pays où le système éducatif est déliquescent.
Bangoura a tissé sa toile. Ce Soussou bon teint né il y a 58 ans à Koba, un village de la préfecture de Boffa, a plus que jamais entre les mains la réalité du pouvoir. Rien ne disposait à pareil destin cet homme fin et longiligne, professeur de géographie à l’université Gamal-Abdel-Nasser de Conakry, entré dans le cercle du pouvoir par la grâce d’une collègue, Nanténin Camara, devenue secrétaire d’État au Tourisme et à l’Hôtellerie, qui en a fait son chef de cabinet en 1991. Il n’en sortira plus. Sans doute favorisé par son appartenance ethnique et sa capacité à se faire des amis dans l’entourage de Conté, il s’est retrouvé secrétaire général (SG) de la présidence en 1997, avec rang de ministre, après avoir été chef de cabinet du ministère du Commerce, des Transports et du Tourisme (1992-1994), puis directeur du protocole d’État à la présidence, de 1994 ?à 1997. Une ascension fulgurante, ?qui ne serait pas seulement due à ?ses performances professionnelles.
Tous les membres des gouvernements qui l’ont côtoyé gardent de lui l’image d’un SG peu disert, qui n’intervient jamais en Conseil des ministres et se limite tout juste à remettre des documents au chef de l’État. Sauf au lendemain du départ de Sidya Touré, en mars 1999, lorsqu’il a senti qu’il y avait un vide à combler. Il s’est imposé depuis comme l’interface entre Conté et le gouvernement. Prompt à asséner « le président m’a dit », il gouverne de facto depuis décembre 2002, quand la maladie a commencé à éloigner le chef de l’État du pouvoir. Seul François Lonsény Fall a pu limiter son influence, l’espace d’un bail de deux mois à la primature.
Cellou Dalein Diallo n’a pas eu ce privilège : il a été combattu de bout en bout par « le gardien du palais », qui a fini par avoir raison de lui. Après avoir « organisé » le limogeage de ce dernier, le 5 avril, Bangoura a lui-même porté le décret au siège de la Radiotélévision guinéenne (RTG) pour lecture. Non sans avoir au préalable laissé la consigne au Bataillon autonome de la sécurité présidentielle de ne pas autoriser le débarqué à accéder au palais. Histoire d’éviter à tout prix qu’il parvienne à s’expliquer et à faire changer d’avis le chef de l’État.
Manuvrier, Bangoura finit par obtenir tout ce qu’il veut de Conté : il se prosterne devant lui, ne le contredit pas, mais sait passer par les épouses, les marabouts et les amis du président pour arriver à ses fins.
Aujourd’hui seul aux commandes, il a, le 30 mai, accordé sa première interview de tous les temps à Radio France internationale (RFI). N’est-ce pas là une façon de se signaler ? Une manière de faire remarquer, à ceux qui peuvent encore en douter, qu’il a les choses bien en main ?

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