Pierre Fakhoury : « Oui, j’ai conçu un projet pharaonique »

Publié le 6 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Comment un pays qui peine à sortir de la guerre peut-il se lancer dans un projet aussi démesuré ?
Pierre Fakhoury : On nous dit : vous n’avez pas les moyens, ce n’est pas le moment. C’est vrai qu’il faut de l’argent pour désarmer, pour fournir de l’eau à la population, assurer son éducation. Oui, j’ai conçu un projet pharaonique. Mais on se situe dans un autre univers. Notre projet est hors du temps. Il date de vingt ans, il s’étalera sur cent ans. Houphouët voyait la grandeur de la Côte d’Ivoire à travers la nation, Gbagbo la voit à travers son peuple. Malgré la crise, il y a une continuité. Yamoussoukro dépasse les contingences de l’heure.

Peut-on dire que le transfert est désormais irréversible ?
La volonté politique n’a pas varié depuis 1983. Le projet est bouclé sur le plan politique et il est physiquement entré dans sa phase de réalisation. Une fois le palais construit et l’autorité suprême installée, l’essentiel sera fait. Les députés suivront, les Conseils des ministres se tiendront à Yamoussoukro et le reste viendra, naturellement, au fil du temps.

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À quelle échéance ?
En 2009, l’avancement des travaux aura rendu le processus irréversible. Mais il faut des décennies pour fabriquer une ville. Ce ne sera pas fait pour Yamoussoukro avant une trentaine d’années.

Quel modèle aviez-vous en tête en dressant le plan de la nouvelle capitale ? Brasília ? Abuja ?
Les villes que vous citez constituent des références de qualité. Mais aucune ville n’est pareille à une autre, et la vision de notre projet est unique et spécifiquement ivoirienne. Il veut porter la trace d’une civilisation. Nous avons inventé le concept du « musée de la nature » pour inscrire l’autorité politique dans l’espace. Le paysage de Yamoussoukro sera celui d’une ville africaine, à l’horizontale, où il fera bon vivre.

Votre parti pris architectural est résolument moderniste. On vous a connu plus classique à l’époque de la basilique.
Chacun se souvient que le président Houphouët-Boigny avait un goût prononcé pour le classique, goût auquel j’ai répondu en son temps lorsque nous avons édifié la basilique. Je suis quant à moi fasciné par l’art contemporain. Le président Gbagbo, qui est tourné vers le moderne, m’a laissé la liberté de m’exprimer selon mon propre imaginaire. J’ai pu ainsi proposer une nouvelle lecture des monuments publics, qui, tout en marquant les temps modernes, porteront la trace tenace d’une vieille civilisation.

Comment traitez-vous les problèmes de maintenance et d’entretien ?
Un architecte ne peut pas ignorer cette question. Comment s’assurer que les installations techniques fonctionneront efficacement et qu’il ne sera pas nécessaire de les remplacer tous les dix ou quinze ans ? Pourra-t-on conserver les immeubles en sachant que les vitrages ne se fabriqueront plus dans les mêmes coloris, que les carrelages d’origine ne seront plus disponibles ? Au palais présidentiel de Libreville, où je travaille actuellement, les matériaux d’origine n’ont pas résisté au sel véhiculé par les embruns. À Yamoussoukro, le facteur corrosif est essentiellement l’harmattan, chargé du sable du désert. J’ai écarté plusieurs choix architecturaux très intéressants parce que j’étais sûr que le temps aurait le dessus. J’ai adopté des matériaux de très haute qualité mais dont je suis certain qu’ils permettront un entretien aisé et un renouvellement facile.

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Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur le patrimoine immobilier ?
La question qui se pose est en effet d’acquérir une véritable culture du patrimoine, de considérer qu’il s’agit d’un capital économique mais aussi d’un capital culturel que nous devons transmettre en héritage à nos enfants. Ce patrimoine ne peut être sauvegardé que si les États – et nous n’y sommes pas habitués en Afrique – ont la sagesse de doter chaque projet d’un budget autonome permettant d’en assurer l’entretien sur le long terme.

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