Naissance d’une (belle) capitale

Publié le 6 juin 2006 Lecture : 5 minutes.

En ce début juin 2006, toute la Côte d’Ivoire va retrouver son unité pour soutenir son équipe de football, les Éléphants, qui participe pour la première fois de son histoire à une phase finale de Coupe du monde.
Samedi prochain, le 10 juin, oubliant leurs divisions, les Ivoiriens du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest regarderont leurs joueurs affronter la redoutable équipe d’Argentine, à Hambourg ; du haut au bas de l’échelle, à l’unisson, ils vibreront tous aux exploits de leurs footballeurs.
Ce consensus-là, on le verra et on l’entendra, car il sera fortement, et même bruyamment, exprimé.

Nous avons choisi d’attirer votre attention sur un autre, beaucoup moins connu, qui transcende lui aussi les clivages ivoiriens nés de la crise que vit le pays depuis 1999 : c’est la décision prise par Félix Houphouët-Boigny, il y a plus de vingt ans, de doter la Côte d’Ivoire d’une nouvelle capitale, et son choix de la faire surgir du néant (ou presque) sur le site de son village natal, Yamoussoukro, situé au centre du pays.
Très subjectif, ce choix n’a jamais enthousiasmé d’autres que lui ; il a même été critiqué et son successeur immédiat, Henri Konan Bédié, a été tenté de choisir, lui aussi, son village natal pour l’offrir au pays en guise de nouvelle capitale

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Cet historique rappelé, il est important de souligner ceci, que peu de gens savent : les dirigeants politiques de Côte d’Ivoire, dont les divisions sont connues, ont eu la sagesse de maintenir hors de leurs querelles la décision et le choix d’Houphouët. Alassane Ouattara, Premier ministre en décembre 1993, Henri Konan Bédié, président-successeur d’Houphouët, Robert Gueï, président de transition en 1999, Laurent Gbagbo, président élu en octobre 2000, Seydou Diarra, Premier ministre (du 25 janvier 2003 au 4 décembre 2005) et son successeur depuis décembre 2005, Charles Konan Banny, ont, l’un après l’autre, utilisé les moyens et/ou la légitimité dont ils ont disposé (ou disposent) pour que Yamoussoukro devienne de facto (elle l’est de jure depuis mars 1983) la capitale du pays.
L’un après l’autre, dans les limites des possibilités de l’État, ils ont permis aux urbanistes et à l’architecte en chef, Pierre Fakhoury, aux bureaux d’études, aux ingénieurs qu’il a rassemblés, de travailler à la conception et à la mise en place d’une capitale moderne sur le site affecté, il y a déjà plus de vingt ans, à cette métropole qu’on a décidé de construire.

C’est le résultat de ce travail, qui se poursuit donc depuis plusieurs années, que nous avons le grand plaisir de vous présenter, en exclusivité mondiale, sur 24 pages, au centre de ce numéro : vous découvrirez une capitale en train de naître et ce qu’elle sera dans la prochaine décennie.
Mais, avant de regarder l’ensemble, lisez le « Pourquoi Yamoussoukro », rédigé à votre intention, à ma demande, par Laurent Gbagbo en sa double qualité d’historien et de président : Yamoussoukro sera, apprend-il à ceux qui ne le savaient pas, la quatrième capitale de la Côte d’Ivoire. Président, il explique aussi dans ce texte qu’il a entériné, par sens de l’État, un choix qu’il avait critiqué en tant qu’opposant.
Il pense qu’il l’a rendu irréversible.
À mon avis, cela restera durablement à son crédit.

En se dotant d’une nouvelle capitale située au centre du pays, pour remplacer Abidjan, qui est un grand port tourné vers le large, la Côte d’Ivoire suit l’exemple prestigieux du Brésil, qui a édifié Brasília à partir de 1960 et y a transféré peu à peu sa capitale, en lieu et place de Rio de Janeiro, au bord de l’Atlantique.
Déjà, dans les années 1980, le Nigeria s’était inspiré de l’exemple brésilien en créant, en pleine forêt, une ville nouvelle, Abuja, dont il a fait, à partir de 1991, sa capitale (en remplacement de Lagos, devenue invivable).
Y débarquant pour la première fois le 29 juillet 2002, un de nos envoyés spéciaux dit l’excellente impression que lui a faite la ville nouvelle : « Vue d’avion, la capitale fédérale offre le spectacle d’un véritable tapis de verdure, seulement taché par des villages posés au pied d’une multitude de collines et de blocs de granit arrondis par les siècles. Une fois au sol, on déambule dans de larges avenues bordées d’immeubles ultramodernes, entre deux quartiers luxueux aux villas décorées de marbre et aux toits de briques rouges, vertes ou bleues
Abuja séduit à la première visite. C’est l’une des rares villes nigérianes où la sécurité est relativement assurée. Même les Nigérians, qui ne peuvent se permettre le luxe d’y habiter, sont subjugués : Je l’aime, les voies de circulation sont très belles, ils les gardent propres, s’exclame Manuel, chauffeur de taxi et Ibo du Sud, monté à Abuja gagner le pain. »
Après la Tanzanie, qui a fait de Dodoma sa capitale officielle en 1990, un autre pays africain, le Burundi, annonce son intention de suivre l’exemple du Nigeria et de la Côte d’Ivoire

Pour la Côte d’Ivoire, consacrer des milliards de francs CFA à la seule conception-préparation de sa future nouvelle capitale, alors que le pays est en crise et que sa population souffre, est-ce opportun ? Est-ce sage ?
Envisager d’investir plusieurs dizaines de milliards de francs CFA chaque année pendant au moins deux décennies pour édifier une grande ville moderne sur quelque 50 km², est-ce dans les moyens de la Côte d’Ivoire lorsqu’elle aura retrouvé la paix et l’unité ?
Je crois que oui et même que c’est le bon choix, car, pour un jeune pays en phase de construire son unité nationale, rien n’est plus important que de se donner des raisons d’être fier de lui-même et de ce qu’il a réalisé.

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Un mot pour finir : les 24 pages que nous vous donnons à lire au centre de ce numéro sont le cadeau de Jeune Afrique à ses lecteurs ivoiriens d’abord, à ses autres lecteurs ensuite.
Et à la Côte d’Ivoire tout entière.
Aucune personne physique ou morale ivoirienne, ou non ivoirienne, n’a mis 1 franc CFA ou 1 euro dans ce supplément, que j’ai proposé moi-même à Laurent Gbagbo et à Pierre Fakhoury en leur précisant que Jeune Afrique financerait seul la réalisation des pages consacrées à ce magnifique projet.
C’est exactement ce qui s’est fait et je n’ai à remercier que :
– Laurent Gbagbo pour l’excellent texte de présentation qu’il a accepté de nous donner ;
– Pierre Fakhoury pour nous avoir ouvert les portes de ses ateliers, de nous avoir tout montré, tout expliqué.
Lui et ses collaborateurs compétents ont permis à Marwane Ben Yahmed, Dominique Mataillet et Aldo de Silva de vous proposer ce spécial Yamoussoukro que je vous invite à regarder et à lire.

Faites-nous la faveur de nous écrire ce que vous en pensez.
J’espère que, comme nous, la grande majorité d’entre vous souhaite à tous les Ivoiriens et à leurs dirigeants politiques que l’édification de cette nouvelle – et belle – capitale accompagne, à partir de 2007, le retour à l’unité et à la paix.

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