L’Afrique vue du ciel

Réunis à Tunis à l’initiative de l’Union africaine et de la BAD, les différents acteurs du secteur se sont penchés sur les carences structurelles du continent et sur les moyens de les corriger.

Publié le 6 juin 2006 Lecture : 4 minutes.

Selon l’Association internationale du transport aérien (Iata) et l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa), le transport aérien africain a généré, en 2004, 470 000 emplois et réalisé un chiffre d’affaires de 11,3 milliards de dollars, soit 1,7 % du PIB du continent. Toujours selon l’Iata, l’Afrique a enregistré, en 2005, une croissance du trafic aérien plus élevée que la moyenne mondiale : 11 % (contre 8,3 %) pour les passagers et 8 % (contre 3 %) pour le fret.
Une tendance confirmée par le constructeur américain Boeing, qui prévoit, pour la période 2000-2019, une croissance annuelle du trafic aérien africain de 4,8 % pour les passagers et de 6,4 % pour le fret. Son homologue européen Airbus table, de son côté, sur une hausse de 6,3 % entre 2004 et 2013 pour le trafic passager et de 7 % entre 2005 et 2023 pour le fret. Lors de la « réunion de haut niveau des compagnies aériennes africaines », organisée à Tunis, les 29 et 30 mai, par l’UA et la Banque africaine de développement (BAD), en collaboration avec la Commission économique africaine (CEA), le gouvernement tunisien et l’Afraa, Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine (UA), a déclaré que « l’Afrique comptera, dans une trentaine d’années, quelque 1,2 milliard d’âmes. Avec une croissance annuelle du transport aérien de 12 % et un développement soutenu du tourisme, elle constitue le plus gros marché de demain. » La médaille a cependant son revers. Car si le secteur est porteur, il n’en présente pas moins des carences structurelles que les quelque deux cents participants à la réunion de Tunis ont essayé d’identifier, avant d’envisager les correctifs nécessaires.
Aujourd’hui, la part de l’Afrique dans le trafic aérien mondial ne dépasse guère 4,5 % pour les passagers (108 millions en 2005) et 1,6 % du fret (1,334 million de tonnes). Les investissements font cruellement défaut, surtout au niveau des réseaux domestique et régional. Le continent compte une dizaine de compagnies dignes de ce nom. La plupart sont de petite taille, contrôlées par des gouvernements, endettées et peu rentables. L’interventionnisme de l’État, la gestion erratique et les coûts d’exploitation élevés entravent leur potentiel de croissance et réduit leur compétitivité.
Autres carences relevées : le déficit de liaisons intra-africaines et les tarifs élevés qui pénalisent les usagers, les obligeant parfois à transiter par l’Europe pour aller d’un pays africain à un autre. En outre, la libéralisation du ciel africain a provoqué la disparition de plusieurs compagnies. Et la plupart de celles qui ont été créées après 2002 ont mis la clé sous la porte. Conséquence : le ciel africain reste dominé par les transporteurs étrangers. Ainsi, en 2004, les 42 compagnies membres de l’Afraa ont transporté 36 millions de passagers, contre 72 millions pour les compagnies européennes. « Cette domination étrangère, prévient Christian Folly-Kossi, secrétaire général de l’Afraa, risque de s’aggraver avec la révision des accords aériens telle que demandée par l’Union européenne [UE] – et qui consiste à remplacer la clause de désignation nationale par une clause communautaire – et la pénétration agressive du marché par les transporteurs des pays du Golfe. »
Le 15 mars, la Commission européenne a enfoncé le clou en publiant une liste noire de 95 compagnies dont 85 sont africaines. Cette liste est « inappropriée », car la quasi-totalité des compagnies citées ne volent pas dans l’UE, s’est insurgé Folly-Kossi. « Avec cette liste, a-t-il ajouté, le message est : Vous prenez des risques à chaque fois que vous voyagez avec une compagnie africaine. Mieux : Vous n’êtes en sécurité que si vous voyagez avec des compagnies occidentales. C’est une campagne de concurrence déloyale. »
Il n’en demeure pas moins que la flotte des compagnies africaines est vieillissante : les avions ont en moyenne plus de 20 ans d’âge (contre 10 ans de moyenne mondiale). Ils coûtent cher en carburant, réparation et maintenance, et leurs pièces de rechange sont devenues rares. Résultat : en 2004, l’année la moins meurtrière de toute l’histoire du transport aérien, l’Afrique a enregistré six fois plus d’accidents que partout ailleurs ; 37 % des accidents ont eu lieu sur le continent. Autre talon d’Achille, les infrastructures aéroportuaires, qui ne répondent pas toujours aux normes mondiales de sécurité. Ce qui a poussé les compagnies européennes à assurer elles-mêmes, dans certains aéroports, un service de sûreté au pied de l’avion. Les États ne sont pas étrangers à cette gabegie. Parfois, ils imposent aux compagnies l’achat de tel ou tel appareil, sans tenir compte des exigences de rentabilité. Ou les obligent à ouvrir des lignes de prestige, au mépris du bon sens économique. Sans parler des billets gratuits qu’ils s’octroient à l’envi, empêchant les compagnies d’atteindre leur seuil de rentabilité.
L’état des lieux est donc plutôt inquiétant. Comment redresser la situation ? Depuis la « Décision de Yamoussoukro » (Côte d’Ivoire), en octobre 1988, de créer un « espace aérien unique » [africain], les réunions se sont multipliées. Elles ont permis d’élaborer une stratégie de relance du secteur en Afrique, qui ne demande qu’à être traduite en actions concrètes et projets bancables.
Dans leur communiqué final, les participants à la réunion de Tunis ont appelé à la multiplication des accords commerciaux et des alliances bilatérales et multilatérales entre compagnies africaines pour permettre « le maillage du réseau africain » ; au développement d’une « stratégie commune pour les négociations avec les pays tiers, incluant l’UE » ; à la mise en place, d’ici à la fin de l’année, de « l’Agence d’exécution » de la Décision de Yamoussoukro ; et à la création d’un fonds alimenté par les redevances aéronautiques pour financer des infrastructures. Ils ont aussi demandé aux pays africains producteurs du pétrole d’accorder des tarifs préférentiels aux compagnies des pays de l’UA et proposé aux gouvernements des pays n’ayant pas de compagnie aérienne de prendre des participations dans des compagnies régionales afin d’éviter la multiplication des opérateurs sur le continent. Ils ont enfin appelé la BAD à augmenter ses financements du transport aérien africain. Lors de la conférence de presse finale, le représentant de la Banque, André Rakotobe, s’est contenté d’affirmer que son établissement « a pris note des besoins exprimés » et qu’« une grande réorganisation est en train de s’opérer à la BAD pour essayer de rattraper l’énorme retard dans l’infrastructure ».

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