Hugo Chávez
Visionnaire ou fou dangereux, populiste ou authentique homme de gauche, le président vénézuélien aura en tout cas réussi à bouleverser le paysage politique de l’Amérique latine et à bousculer les vieux équilibres.
« On n’a pas de pétrole, mais on a des idées ! » claironnaient les Français en 1973, comme pour se donner du courage après le premier choc pétrolier. Du pétrole et des idées, Hugo Chávez, lui, en a à revendre. Sa dernière idée en date, il l’a formulée quelques jours seulement avant d’accueillir, le 1er juin, à Caracas, la réunion extraordinaire de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Elle est simple. Il propose au cartel d’adopter, comme nouvelle norme internationale, un prix plancher du baril à 50 dollars. C’est tout Chávez ça, une bonne dose de dirigisme, au cur même du marché mondial.
« Le pétrole évolue déjà dans une tranche située entre 50 dollars et l’infini », a-t-il expliqué à la presse, avant de préciser qu’il ne souhaitait pas, évidemment, que le prix du brut « atteigne l’infini ». L’idée est lancée. Fera-t-elle son chemin ? Pour l’heure, en tout cas, point n’est besoin de prix plancher. La guerre en Irak et les craintes suscitées par le dossier nucléaire iranien (l’Iran est le deuxième exportateur de brut de l’Opep) suffisent amplement à soutenir les cours. C’est pourquoi Rafael Ramírez, le ministre vénézuélien de l’Énergie, a pu se montrer compréhensif en laissant entendre que, cette fois, son pays s’abstiendrait de réclamer une baisse de la production.
C’est donc le statu quo qui prévaudra à Caracas entre les pays désireux d’augmenter les quotas pour ménager l’Occident consommateur et les partisans, Chávez en tête, d’un pétrole plus cher. Mais cela n’empêchera pas le leader bolivarien (du nom de son héros, Simón Bolívar, qui libéra une grande partie de l’Amérique latine du joug colonial espagnol) de délivrer son message politique, que le Financial Times se plaît à résumer en ces termes : « Le pétrole cher, c’est bon ; le président Bush, c’est mauvais. » Un raccourci pour le moins simpliste, certes, mais qui souligne à quel point Chávez parvient à faire du cartel à la fois un instrument de sa politique internationale et une tribune. Rappelons que c’est lui qui a réveillé l’Opep d’un long sommeil en réunissant, en 2000, à Caracas, un sommet de chefs d’État, alors qu’ils ne s’étaient plus rencontrés depuis le sommet d’Alger en 1975. Du coup, l’Opep a retrouvé cohésion et discipline, et les quotas fixés à chaque pays sont globalement respectés.
Paradoxalement, c’est Chávez qui détonne aujourd’hui. Non pas parce qu’il a dépensé 5 millions de dollars – un record ! – pour accueillir ses hôtes, mais parce que sa rhétorique est souvent jugée provocante. Elle tranche, en tout cas, avec le style d’une organisation soucieuse d’apparaître comme apolitique. Même l’Iran adopte en son sein un style plus feutré. Si bien que la posture éminemment politique du président vénézuélien est de plus en plus mal perçue. Selon certains observateurs, elle aurait même fini par entamer l’influence de Caracas dans l’Opep, d’autant que la production vénézuélienne a baissé. Après la grève générale de 2002-2003, qui avait pour but de le renverser, le Comandante bolivarien a repris en main l’industrie pétrolière, à commencer par la gigantesque entreprise nationale, Petroleos de Venezuela SA (PDVSA), dont il fit licencier la direction, les cadres, les ingénieurs et tous ceux qui avaient répondu à l’appel du syndicat patronal. « Aujourd’hui, souligne Ramírez, elle est au service de l’État, et non plus un État dans l’État. » Reste qu’après plus de deux ans d’efforts, le pays n’a toujours pas retrouvé son niveau de production d’avant la grève. Selon l’Opep, il ne produirait que 2,6 millions de barils par jour (mb/j), alors que son quota est de 3,2 mb/j. Et cela nuit au Venezuela. Car son influence au sein du cartel est avant tout proportionnelle à sa capacité de production, et à sa capacité non utilisée. On s’attend donc à ce que Chávez, pour compenser la mise en veilleuse de son projet de baisse des quotas, se livre à un baroud d’honneur. En particulier, en faisant une série de propositions très bolivariennes – un fonds de développement Opep, une université Opep, une banque Opep – destinées à signifier à tous que l’argent du pétrole doit servir avant tout au développement. Autant d’idées auxquelles les conférenciers ne prêteront probablement qu’une oreille polie, mais qui s’inscrivent dans le droit fil de l’action de Chávez en Amérique latine.
C’est ainsi qu’une véritable transnationale sud-américaine des hydrocarbures a vu le jour en 2005, qui projette de construire une raffinerie au Brésil, un oléoduc vers l’Argentine et de prospecter le bassin de l’Orénoque. Et si certains pays des Caraïbes peuvent désormais acheter du pétrole à bas prix et à très faible taux de crédit, c’est parce que Chávez a créé, en 2005, en coopération avec neuf petits pays de la région, une société, Petrocaribe, qui supprime les intermédiaires entre pays producteurs et pays consommateurs. Une manière efficace d’aider les plus pauvres à ne pas alourdir leur dette quand les prix flambent. Comme il a aidé l’Argentine et l’Équateur en achetant des bons sur leur dette, au moment où ces derniers négociaient avec le FMI. Toutes ces initiatives, et bien d’autres, n’ont d’autre but que de promouvoir une intégration régionale débarrassée des recettes ultralibérales. Avec l’arme du pétrole, Chávez tisse sa toile en Amérique latine, et combat l’hégémonie américaine. Après avoir sauvé du désastre une économie cubaine mise à mal par quatre décennies de bureaucratie castriste et d’embargo américain, en lui fournissant du pétrole à prix discount, le Comandante au béret rouge élargit son influence dans les Caraïbes. C’est ainsi que René Préval, le nouveau président haïtien, a signé, en mai, un accord lui permettant de faire partie de Petrocaribe, et qu’une convention du même type a été signée entre PDVSA et les mairies sandinistes du Nicaragua. Pour Daniel Ortega, le vieil ennemi des Américains, c’est un sérieux coup de pouce à six mois de la présidentielle.
Même plus au Sud, Chávez avance ses pions. On sait aujourd’hui, puisque Celso Amorim, le ministre brésilien des Affaires étrangères, s’en est plaint ouvertement, le rôle important qu’ont joué les fonctionnaires de PDVSA dans la décision du président bolivien Evo Morales de nationaliser le gaz. Deux jours plus tôt, à La Havane, il avait signé avec Caracas un accord portant sur les hydrocarbures, dans le cadre de l’Alternative bolivarienne des Amériques (Alba). L’Alba, « aube » en espagnol, c’est le projet concurrent de celui de George W. Bush, l’Alca, qui vise à faire de toutes les Amériques une vaste zone de libre-échange. Mais l’Alba ne comprend à ce jour que le Venezuela et Cuba. Du coup, Chávez a fait entrer la Bolivie dans son mégaprojet de gazoduc reliant le Venezuela au Brésil et à l’Argentine. Même les autorités équatoriennes, pourtant peu suspectes de sympathies pour l’homme fort de Caracas, se tournent maintenant vers PDVSA pour un éventuel partenariat avec Petroecuador, après avoir annulé celui de l’américaine Oxy.
Résolu à créer autour de lui un bloc de résistance à l’hégémonisme américain, Chávez n’hésite plus à intervenir dans la vie politique de ses voisins. Pour adouber ses candidats, ou pour vilipender les autres. Si Morales était son homme en Bolivie, Manuel Lopez Obrador est le sien au Mexique, face au président sortant libéral Vicente Fox, qu’il a traité de « petit toutou de l’impérialisme ». Au Nicaragua, Chávez vote pour le sandiniste Daniel Ortega, et au Pérou, qui doit élire son président le 4 juin, il soutient l’ancien militaire nationaliste Ollanta Humala, traitant son rival social-démocrate, Alan García, d’« irresponsable », de « bandit » et de « menteur ». Il a même promis de rompre toute relation diplomatique avec le Pérou « si, par la main du démon, García parvenait à être président ». Une tension qui s’ajoute à celle créée, fin avril, par le retrait du Venezuela de la Communauté andine des nations (CAN) après que le Pérou eut signé un accord de libre-échange avec les États-Unis. On viendrait presque à se demander si Alejandro Toledo, l’actuel président péruvien, ne se trompe pas quand il déclare que « Chávez a été élu à la tête du Venezuela, pas de l’Amérique latine ».
Visionnaire ou fou dangereux, populiste avide de pouvoir ou authentique homme de gauche, force est de constater que plus personne ne voit en lui un clown tropical. En quelques années, il a bouleversé le paysage politique du sous-continent et bousculé les vieux équilibres. Jamais, en tout cas, les États-Unis n’avaient subi de tels revers dans leur arrière-cour depuis la fin de la guerre froide. Comme le souligne un hebdomadaire colombien, il reste à savoir si Chávez, grisé par ses succès et porté par son excès d’assurance, se gardera de « franchir une ligne qu’il n’a pour l’instant fait que mordre, et qui marque le passage sur le terrain de l’autoritarisme pur et simple ».
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