Houphouët-Boigny en a rêvé

Publié le 6 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Rêve insensé. Utopie ruineuse. Quelles formules n’a-t-on utilisées pour railler l’idée de créer une nouvelle capitale ivoirienne en pleine forêt, à quelque 240 km d’Abidjan ? Le projet, il est vrai, portait trop l’empreinte de son géniteur, Félix Houphouët-Boigny, pour que ses adversaires n’en fassent un cheval de bataille afin de dénoncer le pouvoir personnel du premier président de la Côte d’Ivoire. C’est à Yamoussoukro, en effet, que celui-ci a vu le jour en octobre 1905.
Dès son accession à la tête du pays, Houphouët laisse percer son désir de transformer en métropole son fief familial. Pour que ses ambitions puissent se traduire sur le terrain, en 1977, il fait don à l’État de ses plantations. Peu de temps après, en octobre 1979, une étape symbolique est franchie avec le transfert de l’École nationale des travaux publics créée à Abidjan en 1963.
Personne n’est donc surpris lorsque, le 9 mars 1983, le Conseil des ministres adopte un projet de loi faisant de Yamoussoukro la quatrième capitale administrative et politique de la Côte d’Ivoire après Grand-Bassam (1893), Bingerville (1900) et Abidjan (1933). Dès le lendemain, le projet est transmis à l’Assemblée nationale pour approbation. Ce que les députés feront le 21 mars 1983.
Hélas ! le début des années 1980 marque aussi la fin d’un quart de siècle de prospérité qui a fait de la Côte d’Ivoire la « vitrine de l’Afrique de l’Ouest ». En 1981, la Côte d’Ivoire s’avoue dans l’incapacité de rembourser ses dettes et doit se résigner à subir un plan d’ajustement structurel. Tous les budgets sont révisés à la baisse. Conséquence, le projet de transfert est mis en sourdine.
Entre-temps, cependant, Houphouët a consacré beaucoup d’efforts et d’argent à l’aménagement et à l’embellissement de son « village ». Dès 1968, il s’était attaché les services de l’architecte tunisien Olivier-Clément Cacoub, celui-là même qui a édifié le palais de Carthage pour Habib Bourguiba. Ensemble, ils dressent le plan de la nouvelle ville, s’employant à l’équiper de moyens de communication dignes de l’avenir grandiose qui lui est promis. Un aéroport international est construit de même que de larges avenues bitumées encadrées de milliers de lampadaires.
Les grands bâtiments sortent de terre les uns après les autres, notamment l’Hôtel de ville, la Maison du parti (le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, seule formation autorisée jusqu’en 1990), la gigantesque Fondation Houphouët-Boigny ainsi que de nombreux établissements d’enseignement supérieur. Sans oublier le somptueux hôtel Président, qui, du haut de ses quatorze étages, domine superbement un paysage encore largement marqué par la forêt et les plantations de café, d’ananas ou d’hévéas. Pour ce qui est du domaine présidentiel, le visiteur ne peut en voir que l’entrée et le lac où somnolent de magnifiques crocodiles au pied d’un mur d’enceinte cachant des regards la Maison d’hôte et un ensemble de quatre-vingts villas.
Catholique convaincu, le « Vieux », comme l’appellent affectueusement ses concitoyens, veut aussi imprimer une marque spirituelle à son entreprise. En 1984, il demande à l’architecte italien Alberto Spirito, qui a déjà édifié la cathédrale d’Abidjan, de lui proposer un projet de basilique. D’autres professionnels se mettent sur les rangs, et c’est finalement Pierre Fakhoury, architecte ivoirien d’origine libanaise, qui arrive à séduire le chef de l’État avec un projet de style néoclassique inspiré par la plus pure tradition catholique.
Lancés en février 1986, les travaux s’achèveront en septembre 1989. Stupéfait, le monde entier découvre Notre-Dame-de-la-Paix et son dôme de 90 m de diamètre à 160 m du sol, ses 8 000 m2 de vitraux, son esplanade délimitée par cent vingt-huit colonnes de 20 mètres de hauteur. Rien de moins que le plus grand édifice religieux de la chrétienté. Coût de la réalisation ? Quarante milliards de F CFA de l’époque (122 millions d’euros), intégralement pris sur les fonds personnels du chef de l’État.
Mais, une fois encore, Houphouët va devoir composer avec les événements. S’il a le bonheur de voir sa basilique consacrée par Jean-Paul II le 10 septembre 1990, la Côte d’Ivoire entre dans une période de turbulence politique et sociale. Les partis d’opposition sont légalisés, tandis qu’un poste de Premier ministre est créé pour Alassane Dramane Ouattara, dont la mission est d’assainir les finances de l’État. Yamoussoukro peut attendre. Le 7 décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny s’éteint, emportant avec lui son rêve de capitale.

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