Un fléau congolais

Après avoir longtemps fermé les yeux sur le phénomène, les autorités de Kinshasa ne cachent plus leur crainte de voir le viol devenir une pratique de plus en plus répandue.

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

Que ce soit en lingala, en swahili ou en français, à la radio ou à la télévision, le message est le même : « En République démocratique du Congo (RD Congo), le viol est devenu un véritable fléau. Mettons fin au silence coupable ! » La RD Congo semble enfin se préoccuper des violences sexuelles faites à ses femmes. Après avoir longtemps prêché dans le désert, les ONG et les agences onusiennes voient leur travail récompensé.
De fait, durant des années, les autorités congolaises ont fermé les yeux sur un phénomène qu’elles ne jugeaient pas particulièrement inquiétant. Et pourtant Chaque jour, dans le pays (qui compte plus de 60 millions d’habitants), 36 femmes sont victimes de brutalités sexuelles, selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), maitre d’oeuvre de l’Initiative conjointe de lutte contre les violences sexuelles lancée en 2004, et regroupant des organismes de coopération étrangers ainsi que plusieurs ONG opérant sur le terrain. Bien qu’il soit difficile d’établir des statistiques précises, l’UNFPA a pu recenser, entre 2004 et 2006, 43 000 victimes de violences sexuelles sur près de la moitié du territoire. Il n’y a guère qu’en Afrique du Sud (près de 48 millions d’habitants) que les chiffres sont plus élevés : 136 femmes y sont violées chaque jour. Et seulement 7 % des cas ont fait l’objet d’une procédure judiciaire. À peine plus qu’en RD Congo (6,8 %).
Théâtres de conflits armés récurrents, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et la Province orientale totalisent 72 % des cas de viols enregistrés dans tout le pays. Selon les dernières études, dans ces provinces, 65 % des agresseurs sont des hommes en uniforme (des soldats des Forces armées de RD Congo – FARDC – et des agents de la police nationale, notamment) censés assurer la sécurité des populations. Fini le temps où seuls les rebelles s’en prenaient aux femmes Aujourd’hui, les violences sexuelles sont devenues un véritable fait de société.
À Kinshasa, dans le Bas-Congo (Ouest), le Bandundu (Ouest), l’Équateur (Nord-Ouest) et le Katanga (Sud), 63 % des viols sont commis par des civils. Selon le ministère du Genre, de la Famille et de l’Enfant, il arrive que les auteurs d’agressions sexuelles agissent au nom d’anciennes croyances. Dans le Katanga par exemple, plus jeune est la fille déflorée, plus grande sera la richesse de son bourreau. Bien souvent, les violences sont commises par des militaires, des religieux ou des chefs de communauté. Craignant de subir des représailles ou d’être rejetées par leur famille, les victimes n’osent pas parler. Nelly, 14 ans, violée en 2006 par des soldats des FARDC, puis en 2007 par des miliciens dans une forêt près de Goma (Nord-Kivu), appréhende les jours qui suivront sa sortie du centre de Kyeshero, où elle a été recueillie. « Comment vais-je nourrir mon enfant ? Je n’ai plus personne, confie-t-elle. J’ai peur de ce qui m’attend une fois que j’aurai quitté cet endroit. Je voulais continuer l’école, devenir institutrice. Maintenant, je ne sais plus. »

« Tolérance zéro » ?
C’est pour briser la loi du silence que l’UNFPA et ses partenaires, dont le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), ont lancé, à la mi-mars, une campagne de sensibilisation dans l’ensemble du territoire. Du 8 au 18 avril, une caravane a sillonné l’est du pays pour recueillir des témoignages et délivrer des messages sur le respect des droits des femmes et des enfants. Depuis le 6 avril, une « ligne verte » est mise à la disposition des victimes souhaitant porter plainte. À Kinshasa, on conseille aux parents de ne plus laisser leurs filles se faire prendre en stop par n’importe qui ou s’habiller de manière trop légère. À la télévision et à la radio, journalistes vedettes et musiciens en vogue dénoncent les violences sexuelles en lingala et en swahili, les deux principales langues du pays.
Au début de l’année, le chef de l’État Joseph Kabila avait, lui-même, parlé de « tolérance zéro ». Non sans s’être heurté au scepticisme de certains. Dans un pays qui ne compte que 2 053 magistrats et où la corruption gangrène le système judiciaire, est-il réellement possible de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les agresseurs sexuels ?

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