Tous orphelins…

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 17 minutes.

Le « mécréant céleste »
– Je l’appelais Samarak (« petit frère » en wolof), et lui m’appelait « grand », avec cette politesse exquise qui le caractérisait. Élégant, Elimane l’était dans l’âme et dans la vie. Et tous ceux qui l’ont connu et côtoyé ont été conquis par la douceur, l’onctuosité qui se dégageait de cet échalas au port princier.
De sa voix douce et presque fluette il savait se faire écouter. Il y avait du bonze, du zen, chez ce grand garçon qui possédait des réserves de patience inépuisables. Tout au long de nos trente années de compagnonnage je n’ai jamais vu Elimane hausser le ton devant quelqu’un ou s’emporter ! Il pouvait même, parfois, être d’un calme désespérant face à une agression verbale ! Il ne manquait pourtant pas de caractère et pouvait même dire son fait à quelqu’un. Mais toujours de façon courtoise. Elimane était un aristocrate dans le pur sens du terme. Par ses origines princières d’abord, dont il ne faisait pas étalage, et ensuite par sa grande culture. Combien de fois à Paris, Dakar, Abidjan, Bamako ou Ouagadougou, où nos chemins se croisaient souvent, au détour d’un reportage, ne l’ai-je pas entendu moquer gentiment un ami, un chauffeur de taxi, une serveuse de « maquis » ou tout simplement un jeune confrère qui, à ses yeux, s’était rendu « coupable » d’une grosse faute de français ! Elimane aimait beaucoup le français. Cette belle langue qu’il savait manier avec une rare dextérité.
Cet amoureux des belles lettres n’avait pas son pareil pour disséquer le texte le plus hermétique.
Bien que né musulman, Elimane n’était pas un pilier de mosquée. Mais il avait du cÂur. Pour le « mécréant céleste », comme il m’arrivait de l’appeler, la meilleure religion est celle du cÂur. Et dans ce domaine précis, il ne se montra jamais avare.
Mon frangin Elimane savait cultiver l’amitié au plus haut point. Nos retrouvailles à Abidjan avec notre ami commun Koffi Sié Marc, étaient d’une rare intensité. Nous avons vécu des moments inoubliables. Ils resteront à jamais gravés dans le marbre de ma mémoire.
En rendant l’âme, mon frère Elimane, « Samarak », ou « Papa » pour beaucoup de ses confrères, dont certains étaient pourtant plus âgés que lui, n’a pas rendu l’esprit. Il lui survivra. De son Diourbel natal, où il repose désormais, il continuera à nous éclairer, à nous illuminer, à nous inspirer.
Adieu jeune homme, ou plutôt : salut l’artiste, car tu avais de la classe.
Moriba Magassouba, journaliste-écrivain, Abidjan, Côte d’Ivoire

Vanitas vanitatum !
– Une page s’est déchirée à Jeune Afrique et dans la presse africaine. Le roseau a plié pour ne plus se relever ! Elimane Fall s’est ainsi éclipsé. Doucement Tendrement Sur la pointe des pieds « La vie, disait Oscar Wilde, est un mauvais quart d’heure composé de moments délicieux ! » Je souhaite que l’éternité qui t’a englouti soit composée d’infinis moments délicieux ! « Vanitas vanitatum et omnia vanitas ! » (« Vanité des vanités, et tout est vanité ! »)
Diomansi Bomboté, journaliste malien, ancien collaborateur de J.A.

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Rien n’est tout blanc ni tout noir !
– « Je vais te parler dans notre langue. Le linge sale se lave en famille. » À chaque fois qu’il me convoquait dans son bureau pour me prodiguer ses conseils – ou me faire des remontrances – Elimane démarrait ainsi. Puis il enchaînait avec des proverbes wolofs dans une langue châtiée, du meilleur cru du Baol, cette région arachidière du Sénégal où il est né. Et, ensuite seulement, il en venait au fait : souvent, j’avais rendu un papier en retard ; d’autres fois, j’avais eu une réaction maladroite en réunion de rédaction – ou émis une critique inappropriée sur un article de sa sectionÂ
Dans un mélange de paternalisme et d’autoritarisme, Elimane ne se lassait jamais de me « recadrer ». Franchement. En compatriote. Un jour, je m’étais élevé contre « cette façon de me traiter comme un gamin », et il m’avait désarçonné par sa réplique : « Fâche-toi si tu veux. Je te dirai toujours ce que je pense. Si tout le monde dans cette rédaction devait rentrer au bercail, c’est avec toi seul que je partirais. Comme dit un dicton de chez nous, Âseul ton frère de lait peut te signaler ta mauvaise haleineÂ. »
Si je n’ai pas toujours été d’accord avec ses mises en garde, je reconnais à Elimane cette répugnance des relations conflictuelles, qui fait de lui un exemple de calme et de pacifisme. Et si je n’ai pas toujours accepté ses remarques visant à assouplir quelques passages de mes papiers, il m’a appris, à force d’insister, le sens de la nuance. « Rien n’est tout blanc ni tout noir », me répétait-il. Si je suis incapable, comme lui, de ne pas répondre aux critiques, je me rends à l’évidence : c’est lui qui avait raison quand il me martelait : « J.A. n’est pas le champ de notre père. Ayons le dos large. Nous avons besoin de le labourer pour gagner le prix de la dépense quotidienne. »
Elimane était mon professeur. Plus encore, il a toujours complété et précisé mes informations. Et n’a jamais cessé d’essayer de me protéger contre moi-même et contre les autres.
Cheikh Yérim Seck, journaliste à J.A.

Prends soin de toi…
– « Prends soin de toi, fifille. » Cinq mots, qu’il répétait à chaque fois qu’on quittait son bureau avant de s’envoler pour le continent chaud, vers la terre qui l’a vu naître et qui recueille sa dépouille. Cinq mots qu’on n’entendra plus, mais qu’on n’oubliera jamais. Elimane est parti et avec lui toute l’affection et la rigueur d’un grand chef. Plusieurs générations de journalistes passés par Jeune Afrique pleurent aujourd’hui celui qui les a fait grandir dans l’amour de l’écriture et la passion du continent. Il nous appelait les « ouvriers agricoles » et s’incluait avec modestie dans cette famille de travailleurs qui sèment les questions et labourent les mots. Elimane n’était pas un ouvrier ; il était le contremaître de nos écrits et le propriétaire de nos découvertes. Exigeant sans être sévère, attentif sans être curieux, aimant sans être envahissant, il protégeait les petits. Il était discret au-delà du nécessaire et emporte avec lui les secrets de sa longue – et pourtant trop courte – vie. Mais personne n’avait besoin de connaître les détours de son histoire pour voir sur son visage les traits de la générosité et de l’humanité.
Il n’est pas là pour relire ces lignes. Il y aurait trouvé – forcément – le mot qui n’est pas juste, celui de trop ou celui qui manque. Nous allons devoir maintenant apprendre, si brusquement, à nous passer de son jugement.
Puisqu’il est trop tard pour que tu puisses encore t’occuper de nous, alors, là-haut, « prends enfin soin de toi, Papa ».
Élise Colette, rédactrice en chef adjointe à J.A.

« Nous, les Nègres… »
– Le décès d’Elimane Fall m’a bouleversé. J’ai eu le plaisir de le côtoyer dès son arrivée à J.A., de travailler avec lui et de discuter avec lui sur de nombreux sujets, notamment sur les soubresauts politiques qui survenaient souvent en Afrique. À ce propos, il m’a dit un jour, à la suite des troubles répétés en Côte d’Ivoire, d’un air désolé : « Cela fait plus de quarante ans que nous sommes indépendants et, nous, les Nègres (dixit – sans connotation particulière) nous n’avons encore rien compris. » Je lui ai fait remarquer la sévérité de son jugement. Il répliqua sans appel sur un ton persuasif : tu sais Papa, il faut voir la réalité en face…
Il était fidèle en amitié, intègre, d’une affection sincère, loin du cliché galvaudé de « frère », et il était surtout d’une modestie remarquable. Sans oublier son humour léger. Nous avons toujours eu, lui et moi, affection et respect réciproques.
Taïeb Brahim, ancien collaborateur de J.A.

Papa et ses fifilles
– Elimane, même si personne n’est indispensable, à Jeune Afrique, il était indispensable. Il tenait sa section à bout de bras. Et c’était un grand journaliste. Mais Elimane, il était bien plus que ça. C’était l’âme du journal. Il lui donnait du sens. Dit comme ça, ça ne veut à peu près rien dire, et pourtant, je vous jure que c’est ce qu’on ressent tous aujourd’hui. On l’appelait « Papa ». Lui, il aimait bien. Surtout quand ça venait de celles qu’il appelait ses « fifilles ». Oui, il aimait bien, parce que c’était la vérité. Et il aimait la vérité.
Il mangeait pas beaucoup, Elimane. Par contre, il fumait. Et il aimait le ballon. Souvent nous avons refait le match entre deux bouffées de tabac. Comme la cigarette, le ballon est un mal très répandu à J.A Dire qu’il ne ratait pas un match serait exagéré, mais il pouvait en regarder trois d’affilée par week-end. Et même dans le foot, il arrivait à conserver distance et objectivité Même dans le foot, il se trompait rarement, Elimane ! Il n’était pas supporter, mais aficionado : il aimait le beau geste. Le geste juste. Et la sobriété. Il était sévère avec les « faiseurs », les tricoteurs, tous ces gens qui veulent épater la galerie. Il en côtoyait trop dans la vie, alors il n’aimait pas les voir sur un terrain. Mais il avait un faible pour les jeunes talents, les Messi, les Karim Benzema. Il prenait toujours plaisir à suivre la progression des petitsÂ
De lui, de sa vie, de ses amours, de ses amis, de ses engagements, de ses idéaux de jeunesse, on ne savait presque rien. Ou alors juste des bribes. Mais on ne voulait pas forcément en savoir plus que ce qu’il voulait bien nous dire. Des fois, je lui parlais de ma Tunisie. Et lui, il me parlait de son Pays basque. Ça, c’était Elimane tout craché. De lui, de son histoire, de ses ressorts intimes, de sa vie d’avant, on ne savait au fond pas grand-chose. Mais en réalité cela n’avait aucune espèce d’importance parce que l’essentiel, on le voyait, on le sentait. Oui, on avait cerné la vérité de cet homme, qui vivait avec nous et qui nous faisait partager son humanité. Sa disparition n’est pas seulement une catastrophe. C’est un cataclysme. Il laisse un vide immense qui ne sera jamais comblé.
Samy Ghorbal, journaliste à J.A.

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« Tes amis sénégalais »
– « Il ne me reste plus qu’à aller cultiver l’arachide. » Quand les articles attendus n’arrivaient pas, quand il ne trouvait pas de journaliste pour traiter un sujet d’actualité, quand les demandes de la direction lui semblaient aberrantes, bref, quand ça n’allait pas, Elimane exprimait ainsi son dépit.
Formulait-il un désir secret lorsqu’il évoquait son champ au Sénégal ? Il était trop lucide pour oublier que sa place était ici, à Paris, où il vivait depuis plus de trente ans. Il aurait eu assurément le plus grand mal à se réadapter à son pays natal. La faconde de ses compatriotes, leur goût pour les beaux discours, leur côté flambeur, tout ce qui fait leur charme, l’agaçaient. « Tes amis sénégalais », disait-il quand nous étions entre nous.
Si Elimane maniait la litote avec un rare talent, ce n’était pas par pure plaisanterie. Les coups d’État, la corruption, la médiocrité de certains dirigeants du continent l’affligeaient. Afro-pessimiste ? En tout cas, il ne croyait guère à une renaissance à court terme.
Souvent, au détour d’une conversation, la nostalgie de l’Afrique qu’il avait connue dans son enfance le ramenait au village du Saloum, où il a grandi. Il se rappelait les remontrances de l’instituteur si sévère mais si juste. Lui revenait le goût du couscous de mil et du lait tout chaud tiré du pis des vaches. Toutes choses simples mais authentiques, devenues si rares. Pour imaginer le terroir qu’il évoquait, j’avais en tête les contes de Birago Diop et certains poèmes de Senghor.
Car, justement, il était un rêve qui l’habitait : la littérature. Elle manquait terriblement à l’ancien khâgneux dont l’information politique absorbait toute l’énergie. Quand il prenait des vacances, il faisait provision de romans et d’essais et se promettait de rattraper le temps perdu. Cruelle coïncidence, il s’est effondré, ici, au travail, et a été hospitalisé le jour même où décédait Aimé Césaire.
Dominique Mataillet, rédacteur en chef délégué à J.A.

Inséparables
– J’ai appris avec une douleur indicible la mort prématurée d’Elimane Fall. C’est une perte cruelle et irremplaçable pour Jeune Afrique et pour toute la presse panafricaine.
Lorsque je l’ai vu arriver à Jeune Afrique, où je l’ai précédé d’un mois exactement, je ne me doutais pas que nous allions être inséparables, moi, lui et un autre grand du journalisme, Sennen Andriamirado – paix à son âme -, pendant près d’une décennie. En peu de temps, Elimane était devenu l’une des meilleures plumes de la rédaction. Ce qui n’est pas étonnant, car il était l’un des rares à avoir fait khâgne et hypo-khâgne au lycée Henri-IV, avant de fréquenter le prestigieux CFJ (Centre de formation des journalistes), à Paris.
Journaliste chevronné, il avait le métier chevillé au corps. Il avait lié son destin à celui de Jeune Afrique et n’envisageait pas une autre vie après J.A.
Mon cher Elimane, que la terre te soit légère. Repose en paix. Amen.
Mamadou Alpha Barry, ancien collaborateur de J.A.

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Il me blaguait sur mes cousins ivoiriens…
– Je suis abasourdie, extrêmement triste et désolée. Tous les souvenirs des moments passés avec Elimane, à Abidjan surtout, ainsi que les échanges téléphoniques, où il me blaguait souvent sur mes cousins baoulés, bétés et consorts, jusqu’à ce dernier déjeuner en novembre dernier, me reviennent à l’esprit et me font venir les larmes aux yeux. Je m’associe à la peine, qui doit être immense, de toute sa famille et de la rédaction de J.A.
Catherine Morand, collaboratrice de J.A., Lausanne, Suisse

Remettre l’évidence en chantier
– Les hommages posthumes en font généralement un peu trop. Ici, nous nous efforcerons de garder la mesure, pour éviter de heurter l’humilité unanimement saluée du défunt. Car Elimane avait élevé l’humilité au rang d’une doctrine. Le redoutable orfèvre du mot qu’il fut aurait pu passer inaperçu s’il n’avait cette sorte de charisme dépouillé que dégagent les authentiques gens de savoir.
Sans le connaître profondément, on pouvait deviner que son plus grand pari était celui quotidiennement renouvelé de l’excellence. Avec ce que ceci suppose de prédispositions à apprendre, à sans cesse se remettre en cause pour mieux être à la hauteur de sa mission, à privilégier l’écoute de l’autre et des autres, sans jamais se barricader dans les certitudes imprenables.
Et chez Elimane, le crayon à papier, son écritoire préférée m’avait-il dit à plusieurs reprises, symbolisait sa prudente sagesse. Comme Aragon, il savait que l’on pouvait « remettre l’évidence en chantier et refuser midi quand il sonne à l’horloge ». Quel autre garde-fou peut-il tenir dans ce métier de journaliste où l’erreur coûte autant à la signature qu’au public ? Du commerce le plus agréable possible, toujours prêt à aider, capable de compromis mais résolument opposé aux compromissions, l’ami parti sans crier gare avait su résister à l’ivresse du renom et à la tentation de l’argent facile.
Contrairement à bien d’entre nous, sa carte de visite à lui, ce n’était pas les costars griffés et le trafic d’influence, mais la satisfaction du travail bien fait. En somme, du devoir accompli. Et qu’il a accompli jusqu’au bout : ce jeudi fatidique, où à la rédaction du journal, il est tombé pratiquement la plume à la main.
Sa mort nous endeuille lourdement au Mali, un pays qu’il aima tant qu’il revendiqua avec insistance la citoyenneté du Banconi, un quartier peu flatteur de Bamako où grouille le petit peuple besogneux. C’était, pour Elimane, sa manière d’aborder ses amis maliens, mais aussi de signifier son indifférence aux lambris dorés des palais. Il avait une portion de territoire dans chaque pays qu’il couvrait. Yopougon, Poto-Poto, New Bell, Rebeus. Partout où se trouve le pays réel, en un mot. Il nous fait très mal en partant ainsi. Ses collègues de Jeune Afrique et sa famille, nous les comprenons, doivent avoir encore plus mal.
Adam Thiam
Kiosque paru dans Le Républicain, Bamako, Mali

Un prince doublé d’un sage
– Elimane était un prince, un sage et un pur journaliste. Il était prince, par son regard toujours altier sur les phénomènes sociaux ou politiques et les hommes qui les provoquent. Il était sage, par ses silences où il mettait en ordre les désordres du monde. Il était journaliste jusqu’au bout des ongles pour donner au lecteur de Jeune Afrique l’intelligence du tumulte où nous baignons tous. Je l’admirais et j’admirais sa prose.
Alain Faujas, collaborateur de J.A., Paris, France

Elimane, la sauce gombo et moi
– « Comment va mon père ? » D’une voix posée, à peine audible, Elimane usait de cette question, en lieu et place des éternelles salutations d’usage, pour s’enquérir de la situation d’Eyi Mba Simon, mon père, devenu le sien depuis qu’il m’avait adopté à Paris, en 1988. Il m’avait ensuite présenté à ses parents, à Nioro du Rip, et j’avais fait la même chose en l’introduisant dans ma famille, à Yeffa (Oyem) dans le nord du Gabon, en 1993. Depuis six mois, « son » père étant malade, Elimane m’appelait au moins deux fois par semaine. Il m’a parlé pour la dernière fois le 17 avril dernier. Il se lamentait d’avoir un « trou » dans une page et me demandait de trouver quelqu’un pour venir présider, avec le Pr Emmanuel Derieux et Robert Ménard, le comité scientifique d’un atelier de formation des journalistes du Gabon.
Elimane est resté africain : il appelait ma femme Georgina « ma femme » et mes enfants étaient « ses » enfants. Le 4 avril, je lui ai annoncé que je l’avais choisi pour être témoin de mon mariage. Il me posait une seule condition : « Pense à une marmite de sauce gombo à la table d’honneur. » Hélas ! Elimane s’est éteint. Avant « son » père.
Je n’ai plus assez de place pour témoigner du reste. Tout le reste. Qu’Assita, sa veuve, « ma femme », ainsi que ses quatre enfants et la rédaction de J.A. sachent que leur peine est également la mienne. Adieu grand frère !
Jean de Dieu Ndoutoum-Eyi, journaliste, Libreville, Gabon

Un homme profondément bon
– Elimane Fall était un grand monsieur, ce qu’on appelle un « pro ». Il était un homme de culture. Il avait fait les grands lycées : Gaston-Berger à Kaolack, Henri-IV à Paris, puis des études de journalisme.
Son écriture était sûre et son coup d’Âil exceptionnel, notamment sur les hommes politiques africains. Il les connaissait tous. Avec son humour plein de tendresse, il disait : « Tu vas voir, celui-là il va faire ça. » Ça ne loupait pas, il le faisait.
Surtout, Elimane avait cette intelligence rare de ne jamais attraper la grosse tête. Il fuyait les honneurs, sa fierté, c’était le travail bien fait. À la rédaction de Jeune Afrique, rien ne lui échappait. Combien de petites bêtises de ses confrères il a rattrapées à la dernière minute avant le bouclage du vendredi soir, et il n’en tirait aucune vanitéÂ
Elimane Fall était un homme profondément bon. Aujourd’hui, beaucoup le pleurent à Dakar et à Ouagadougou, mais aussi à Bamako, à Abidjan, à Libreville, sans parler de Paris. Il avait des amis partout parce qu’avec lui, la vie était simple. D’ailleurs, on l’appelait tous « Papa », il va sacrément nous manquer.
Christophe Boisbouvier, journaliste à RFI

L’existence, cette drôle de ruche
– C’est une bien cruelle nouvelle que d’apprendre la mort d’Elimane Fall. Je ne le savais pas malade et, comme les accidents, on ne les imagine que pour son rival ou son percepteur ! Rien, mais vraiment rien, ne me préparait à ce choc. D’ailleurs, je m’apprêtais à lui adresser un exemplaire de mon dernier roman. Je savais que cela lui aurait fait plaisir : il avait toujours manifesté un vif intérêt aussi bien pour ma personne que pour mes livres. Nous nous sommes peu fréquentés, à vrai dire. Mais chacune de nos rencontres fut l’occasion d’une discussion riche, intense, impossible à oublier. C’est une drôle de ruche, l’existence : certaines personnes vrombissent des milliers de fois autour de vous sans jamais réussir à se fixer dans vos souvenirs ; d’autres vous effleurent à peine et vous marquent toute une vie.
Elimane Fall était ce genre d’homme auquel on s’attache dès la première fois : quelqu’un de profond, de généreux et de cultivé, bref, quelqu’un de rassurant (c’est pas courant de nos jours). Il laisse en chacun de nous un vide difficile à combler.
Encore un ami de perdu, encore un espoir de moins en cette période de ténèbres et de démons, où c’est le continent tout entier qui a l’air de vouloir quitter ce monde !
Requiescat in pace !
Tierno Monénembo, écrivain guinéen

À son tour…
– Ainsi Elimane nous aura quittés, à son tour. J’en ai été d’autant plus bouleversé que je le revois (ma femme même le revoit) dans le bureau de Dominique Mataillet quand je leur ai apporté en 2005 mon livre Pourquoi, diable, ai-je voulu devenir journaliste ? et, peu après, à la porte donnant sur le couloir au moment où nous allions nous quitter… Je ne parle même pas de nos nombreux entretiens dans son bureau, moi, stagiaire, en 1993, dans la « piscine »… Ma douleur est grande.
Cheick Oumar Kanté, journaliste et écrivain guinéen

Un refuge de douceur
– J’ai encore du mal à imaginer que je ne reverrai plus jamais cette silhouette nonchalante qui hantait les couloirs de la rédaction du journal. L’impression de fragilité qui émanait de sa démarche et de sa voix calme et posée n’avait d’égale que la force de ses convictions. Il aimait les mots, adorait les tripatouiller, savait manier la langue, et excellait dans l’art de transmettre aux autres, dans le respect de leur ego et de leur différence, le besoin permanent de rechercher la phrase juste. Elimane fut mon mentor à Jeune Afrique, un point d’ancrage, un refuge de douceur dans un monde qui pouvait se faire rude et paraître hostile à l’apprenti journaliste que j’étais. Il ne s’animait que pour partager son humour aux vertus thérapeutiques ou commenter, avec ce rare souci de la précision, le match de football de la veille. Paternel sans jamais être condescendant, pétri de culture et jamais mû par le désir de se mettre en avant, profondément respectueux des autres, fussent-ils jeunes et inexpérimentés, il a marqué de manière indélébile mon passage à J.A. Elimane était un homme bien, tout simplement. Mes condoléances à sa famille, à mes anciens collègues de la rédaction et à tous ceux qui ont eu la chance de croiser son chemin.
Gilles Olakounlé Yabi, analyste politique à International Crisis Group, ancien journaliste à J.A., Dakar, Sénégal

Dernier sourire
– La stupeur, le chagrin, la révolte. Voilà ce que provoque la disparition soudaine d’Elimane.
Mais on peut le compléter en évoquant l’humour d’Elimane. Il lui arrivait parfois, pendant les pauses, d’évoquer tel passage d’une des comédies d’Aristophane dont le contenu collait à l’actualité. Ou de vitupérer plaisamment l’ordinateur qui avait fait disparaître un long reportage sur lequel il avait sérieusement bûché. (Le reportage en question a été récupéré.)
Alors, cher Elimane, au revoir sur un dernier sourire.
Maud Sissung, ancienne collaboratrice de J.A.

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