À quoi sert Karzaï ?

Incapable de tenir les promesses qu’il a faites lors de son élection en 2004, le président de la République islamique a vu sa légitimité se diluer peu à peu.

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

Réputés pour leur barbarie, les talibans savent également faire dans le cynisme. Pour revendiquer l’attaque à Kaboul, le 27 avril, de la tribune présidentielle à l’occasion d’une parade militaire en présence du chef de l’État, Hamid Karzaï, leur porte-parole, Zabihullah Moujahid, a tenu à préciser : « Nous n’avons ciblé personne en particulier. »
Une manière d’humilier davantage le « maire de Kaboul », comme le qualifient ses détracteurs. Retranché dans son palais à l’intérieur d’une sorte de zone verte à l’irakienne, Hamid Karzaï a confié sa garde rapprochée, sur injonction américaine, à des gorilles de la firme Black Water, tristement célèbre pour ses « hauts faits de guerre » contre de paisibles passants dans les rues de Bagdad. Cette décision conforte sa réputation d’homme des Américains, mais elle lui a permis de se sortir d’au moins trois tentatives d’assassinat commises par les talibans du Mollah Omar.
Cet aristocrate pachtoune, âgé de 50 ans, sans milice à ses ordres – précision importante dans un pays contrôlé par des seigneurs de guerre -, est élu président de la République islamique d’Afghanistan le 9 octobre 2004 pour un mandat de cinq ans. À quoi doit-il cette promotion ? À son profil d’homme de consensus. Issu de l’ethnie majoritaire, fils et petit-fils d’hommes politiques (son grand-père a occupé le perchoir de l’Assemblée nationale durant les années 1950), Hamid Karzaï a été le chef de la diplomatie de Burhanuddine Rabbani entre 1993 et 1996. Chassé du pouvoir par les talibans, il s’installe au Pakistan, mais entretient un contact avec le Mollah Omar, pachtoune et natif comme lui de Kandahar. Ce canal lui permet de devenir un lobbyiste au service de la compagnie pétrolière américaine Unocal, qui envisageait la construction d’un pipeline à travers l’Afghanistan pour évacuer les hydrocarbures des gisements de la mer Caspienne. Sa disponibilité, son pragmatisme et son élégance impressionnent ses patrons américains.
Quand la coalition mondiale contre le terrorisme chasse les talibans de Kaboul, la question de l’alternative se pose très vite. Vu son âge, le roi Zaher Shah n’est pas la bonne solution. Proche des milieux pétroliers américains, le vice-président Dick Cheney suggère le nom de Hamid Karzaï, dont ses amis lui ont dit le plus grand bien. Celui-ci est promu par les Américains lors de la conférence de Berlin, en décembre 2001.
L’homme est, il est vrai, séduisant. Éternelle toque d’astrakan sur la tête, chapan (sorte de manteau sans manche qui se porte comme un burnous) aux couleurs nationales cousu de fil d’or, Hamid Karzaï représente avec distinction son pays dans les capitales occidentales. Toutefois, sa légitimité se dilue peu à peu. Au fil des bavures des troupes de l’Otan, qu’il dénonce du bout des lèvres. Il avait promis de mettre au pas les seigneurs de guerre ; il les nomme aussitôt au sein de son gouvernement. Il s’était engagé à lutter contre la corruption ; jamais pouvoir à Kaboul n’a dilapidé avec tant de férocité les maigres ressources publiques. Il a affirmé être celui qui reconstruira le pays ; l’économie est toujours exsangue, livrée aux gros cultivateurs de pavot. Il voulait devenir l’unificateur de l’Afghanistan ; son autorité ne dépasse pas les quelques pâtés de maisons entourant ce qui lui sert de siège présidentiel, et des pans entiers du pays demeurent sous le contrôle des seigneurs de guerre, des talibans ou d’Al-Qaïda. Bref, Karzaï a échoué dans tout ce qu’il a entrepris.
À une année du terme de son mandat, Hamid Karzaï, porté à bout de bras par l’Otan et Black Water, sert de caution démocratique à la présence des troupes étrangères de plus en plus perçues comme une force d’occupation.

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