Présidence en trompe l’oeil

Qui détiendra la réalité du pouvoir à Moscou ? Medvedev, le nouveau chef de l’État, ou son prédécesseur, Poutine, qui deviendra Premier ministre le 8 mai ? La réponse ne fait guère de doute.

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

Vladimir Vladimirovitch Poutine, président de toutes les Russies, a réussi son coup. Le 8 mai, à 55 ans, il entrera à la Maison blanche, résidence des Premiers ministres russes, au terme d’une manÂÂuvre savamment conduite depuis l’automne 2007 pour conserver le pouvoir en dépit des apparences.
La Constitution lui interdisait de se présenter une troisième fois au Kremlin. Pas question pour lui de modifier la Loi fondamentale, comme le souhaitaient certains de ses partisans : la Russie n’est tout de même pas un de ces États du Tiers Monde qui changent leur Constitution au gré des caprices de leur président ! Pas question non plus de céder les rênes. Une métamorphose en cinq actes a donc été programmée.

Acte I : Poutine prend la tête de la liste du parti Russie unie aux élections législatives qu’il remporte, le 2 décembre 2007, avec 64 % des suffrages.
Les Russes lui savent gré de les avoir tirés des humiliations de la fin de l’URSS et des palinodies de feu le président Boris Eltsine. Ils le plébiscitent pour avoir fait rentrer dans le rang les oligarques qui avaient mis le pays en coupe réglée.
Le salaire mensuel moyen est passé de 80 dollars en 2000 à 550 en 2007. La croissance annuelle de 7 % ne se dément pas. Les réserves de devises atteignent 500 milliards de dollars.

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Acte II : dans la foulée de cette victoire, Poutine adoube Dmitri Medvedev, vice-Premier ministre et patron du géant Gazprom, appelé « le Vizir ». Ils se connaissent depuis le temps où ils travaillaient aux côtés du maire réformateur de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak.
Fin juriste, Dmitri a tiré son aîné d’une sombre affaire d’exportations bidons de métaux non ferreux portant sur 100 millions de dollars. Il a été son directeur de campagne en 2000. Le parfait exécutant qui tient un langage châtié, quand le maître du Kremlin se laisse aller à qualifier les articles de presse qui lui déplaisent de « morve étalée sur du papier ».

Acte III : le 12 décembre, c’est le renvoi d’ascenseur, car Medvedev propose à Poutine de devenir son Premier ministre afin d’assurer « la continuité de la politique conduite depuis huit ans ». Le 17 décembre, Poutine accepte la proposition de son dauphin, qui le vouvoie, mais qu’il tutoie et dont il dit : « Il a toute ma confiance. » En fait, c’est le futur Premier ministre qui choisit le futur président !

Acte IV : le 2 mars, Dmitri Medvedev est élu président avec 70,2 % des suffrages. Le patriarche Alexis II avait proclamé que son élection serait « une grande bénédiction pour la Russie ».
Ses adversaires ont été réduits au silence, comme l’ancien champion d’échecs Garry Kasparov, ou marginalisés, comme le communiste Guennadi Ziouganov et l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski.

Acte V : le 15 avril, Vladimir Vladimirovitch est élu patron de Russie unieÂÂ dont il ne fait pas partie. Il se dote ainsi d’un levier puissant, car ce parti détient plus des deux tiers des sièges à la Douma, ce qui lui donne la possibilité de démettre son président et ami si celui-ci s’avisait de lui chercher noise. Cela lui permettra de déménager un certain nombre de prérogatives du Kremlin vers la Maison blanche.
Tout est en place pour que, le 7 mai, Dmitri succède à Vladimir et que, le 8 mai, Vladimir soit nommé Premier ministre de Dmitri. Le monde éberlué voit une Russie hyperprésidentialisée muer en régime parlementaire de bon aloi, où le chef du gouvernement est automatiquement le patron du parti vainqueur aux élections. Comme au Royaume-Uni. D’innombrables observateurs se demandent si Poutine a été bien sage d’abandonner la verticale du pouvoir et si, l’appétit venant en gouvernant, Medvedev ne sera pas tenté de prendre le pas sur un Premier ministre qu’il a le droit de révoquer sans formalité ni préavis.
Ce scénario semble peu vraisemblable. Medvedev est un « libéral-conservateur » sans réseau et qui a pour adversaire le clan des redoutables « siloviki ». Ces « hommes à épaulettes », venus comme Poutine des services de l’ex-KGB et de l’armée, se sont approprié les trois quarts des postes à responsabilité du pays, selon Olga Krychtanovskaïa, directrice du Centre d’étude des élites. Poutine arbitrera les futures batailles entre eux, comme il le fait depuis toujours.
D’autre part, le tour de passe-passe poutinien renoue avec une vieille tradition soviétique, qui ne donnait pas la réalité du pouvoir au titulaire du poste théoriquement suprême. Qui se souvient de Mikhaïl Kalinine, président du praesidium du Soviet suprême, quand Staline était premier secrétaire du Parti communiste d’Union soviétique ? La France n’a-t-elle pas connu un attelage de ce type avec Louis XIII et Richelieu ?
Pour bien montrer qui sera le maître, Poutine a rendu public, en février, un programme de développement de la Russie valable jusqu’en 2020. Afin de disposer des courroies de transmission ad hoc, il va placer sous sa coupe de Premier ministre les gouverneurs et les représentants régionaux qui relèvent jusqu’à présent du président.

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Montrer les dents à l’Occident
Ceux qui rêvent de voir voler en éclats les poupées gigognes inventées par Poutine risquent d’en être pour leurs frais. Certes, Medvedev est mieux élevé que son mentor et, surtout, il place la liberté au-dessus de tout, mais il vient d’applaudir sans réserve la fermeture des centres culturels britanniques de province et de les accuser d’espionnage. Comme son maître, il estime que la Russie doit « montrer les dents » à l’Occident, sinon « on continuerait à nous traiter comme un pays du Tiers Monde ».
Il est une autre tradition russe avec laquelle renoue Vladimir Vladimirovitch : celle du faux-semblant. Le général Potemkine, amant de la Grande Catherine, faisait dresser des façades de pimpantes maisons sur le trajet de l’impératrice. Derrière, c’était le vide.
Aujourd’hui, sa rutilante économie n’empêche pas le plus vaste pays du monde de pointer à la 67e place mondiale pour le développement humain, juste devant l’Albanie. ?La Russie exporte massivement des matières premières, mais comme elle ne fabrique pas grand-chose, elle importe non moins massivement des pommes de terre, du papier ou des grues.
Même chose pour l’État de droit. Un dicton russe ironise en ces termes : « Nos lois sont très sévères parce qu’elles sont conçues pour ne pas être appliquées. » Cette hypocrisie a généré une impressionnante corruption, qui coûte 300 milliards de dollars chaque année à l’économie russe, selon l’institut Indem.
Que Poutine transforme le Kremlin – au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2012 – en institution de carton-pâte n’aggravera donc pas les dégâts.

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