Mostafa Ouezekhti

Premier député libéral d’origine maghrébine en Belgique, il Âoeuvre désormais pour la coopération Nord-Sud au sein de la société d’investissement BIO.

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

C’est au cinquième étage d’un immeuble de l’avenue Tervueren, dans l’Est bruxellois, que Mostafa Ouezekhti reçoit. Sourire radieux, costume élégant, yeux pétillants. L’homme est avenant. À l’aise. « Épanoui », dit-il. Comme si, après de nombreuses années passées à faire de la politique, il avait enfin trouvé sa voie. Comme si, dans sa – déjà – longue carrière, il ne s’était jamais senti aussi bien que dans le fauteuil qu’il occupe aujourd’hui. Mostafa Ouezekhti, 48 ans, dirige un fonds d’étude de faisabilité chez BIO, une société d’investissement parapublique dédiée aux PME des pays en développement. La coopération Nord-Sud, c’est ce qu’il a toujours aimé. Presque autant que le football, qu’il pratique en amateur. Sur le terrain, il est attaquant. En pointe, dit-on dans le jargon sportif. C’est d’ailleurs sa passion pour le ballon rond, vecteur d’intégration sociale selon lui, qui a conduit ce Belge d’origine marocaine à se lancer dans la politique.
Né à Tanger en 1959, Mostafa Ouezekhti grandit dès l’âge de 4 ans en région bruxelloise, où son père a décroché un job de mécanicien. « Je suis un produit d’importation forcée », rit-il. Son départ du Maroc coïncide avec ses premiers souvenirs de gosse : le voyage en train via l’Espagne et la France, l’arrivée, sous la neige, dans la commune de Schaerbeek, « le ruisseau en ciseau », en néerlandais. « Un long fleuve tranquille », préfère-t-il dire pour qualifier ses jeunes années. Deuxième d’une famille de huit enfants, Mostafa assure n’avoir manqué de rien. Ni avoir souffert du racisme qui gangrène parfois la société belge. Le jeune Marocain s’intègre très vite, apprend le français et le flamand. Mais parle arabe à la maison. Le trilinguisme, il l’a transmis à ses cinq enfants issus de deux mariages : l’arabe pour les racines, le flamand et le français parce qu’« on ne peut réussir aujourd’hui en Belgique sans maîtriser ses deux langues. Dommage que les immigrés ne fassent pas toujours cet effort »

D’un royaume l’autre
Mostafa Ouezekhti arrive sur le marché du travail avec une licence de sciences économiques en poche. Ses camarades de l’université décrochent rapidement un job. Lui, reste sur le carreau. « Frustrant », se souvient-il. Pas facile, en 1980, de trouver un travail en Belgique lorsqu’on est issu de l’immigration. Encore moins lorsqu’on n’a pas acquis la nationalité. « Mon père, qui avait fait le deuil de ses racines, refusait que je sois naturalisé. Il assimilait cela à une trahison », dit-il sans amertume.
Il décroche finalement un poste en 1981 à la Banque Bruxelles Lambert (BBL) puis entre en contact avec la banque marocaine Wafabank, qui lui propose un stage de deux mois à Casablanca. D’un royaume l’autre. « Ce fut un choc des repères. Je me suis senti comme un étranger dans mon pays d’origine », explique-t-il. De retour à Bruxelles, il crée les premières filiales de la Wafabank en Belgique, avant de rejoindre, en 1989, le siège de la banque à Casablanca. Bis repetita. Cette fois-ci, il s’y installe avec femme et enfants.
Mostafa Ouezekhti déchante vite. « Je voulais des responsabilités, on ne me proposait que des stages d’adaptation. En réalité, j’aurais dû prendre le temps de mieux comprendre la politique du groupe au Maroc, mais j’étais jeune et impatient », reconnaît-il aujourd’hui. Il claque la porte de la banque pour diriger le département marketing de la Compagnie marocaine de navigation (Comanav). Mais, sous la pression de son épouse, qui vit mal le « contre-choc culturel », il décide de quitter son pays natal en 1992.
Gérant d’une franchise de banque dans la capitale belge, il est invité à présider à la destinée du FC Atlas, un club de football principalement composé de jeunes d’origine marocaine. Mais Mostafa se heurte à l’impéritie des autorités locales, qui montrent peu d’empressement à mettre à la disposition de ses joueurs ne serait-ce qu’un carré de pelouse. Il décide alors de se lancer en politique, convaincu qu’il peut « rétablir la justice et se faire entendre ». Le défi n’est pas mince. Nous sommes en 1992, et la Belgique ne compte encore aucun élu issu de l’immigration.
Pas vraiment environnementaliste, il choisit toutefois de rejoindre les rangs du parti écologiste – sobrement appelé « Écolo ». En juin 1995, il est élu au Conseil régional bruxellois. En 1998, son départ très médiatique pour le Parti réformateur libéral (PRL), longtemps réputé xénophobe, déclenche un véritable tollé. « L’idée de vouloir changer les mentalités d’un parti où les personnes issues de la diversité n’étaient guère appréciées m’avait séduit », argumente-t-il.

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Trop de politique tue la politique
Son ascension est fulgurante. L’ancien dirigeant du FC Atlas devient le sherpa du président du PRL ; un certain Louis Michel promu chef de la diplomatie belge en 1999. Son rôle : ouvrir le parti au monde arabe. En mars 2000, Mostafa Ouezekhti accède à la vice-présidence du PRL. Un mois plus tard, il est réélu au Conseil régional bruxellois. En 2001, un ancien collaborateur d’Écolo l’accuse publiquement d’être l’émissaire du pouvoir royal marocain, d’éprouver de la sympathie pour les dirigeants du Parti pour la justice et le développement (PJD) et de bénéficier de soutiens islamistes. Les attentats du 11 Septembre sont passés par là « Je n’étais que l’artisan du rapprochement entre Bruxelles et Rabat. Et je me suis toujours impliqué dans la représentation du culte musulman en Belgique », explique-t-il. Quelques années plus tard, nouveau revers : la direction du PRL refuse de « placer un Arabe » à la tête du Parlement de la communauté française de Belgique. Battu aux élections de 2004, il se détourne de la politique.
Aujourd’hui, son engagement est intact. Mostafa Ouezekhti a encore des choses à dire, notamment sur les ondes de Contact Inter, la « radio beur » de Bruxelles qu’il a créée et qu’il préside. Revenu à la finance par le biais de BIO, il s’est trouvé un nouveau dada : le développement. En Afrique, mais aussi en Asie, deux continents où il se rend régulièrement. Mais sa plus grande fierté reste la signature d’une convention entre BIO et le Centre pour le développement de l’entreprise – organisme conjoint de l’Union européenne et des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). « Une des rares réussites » de l’Europe, selon lui, contrairement aux Accords de partenariat économique – les fameux APE – défendus par son ami Louis Michel. « Il connaît mon point de vue. Le négoce n’a jamais constitué le développement d’un pays, la production, oui. On parle de bonne gouvernance aux Africains, mais ventre affamé n’a point d’oreille. Il faut investir dans l’agro-industriel plutôt que dans les chambres de commerce. »
Vraiment fini la politique ? Mostafa Ouezekhti jure ses grands dieux qu’il ne s’y aventurera plus. Même s’il ne sait pas de quoi demain sera fait. Une certitude toutefois : ses vieux jours, il les passera quelque part sur la côte espagnole. Histoire de garder un Âil sur la Méditerranée qu’il chérit tant.

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