Jacob Zuma « Il est logique que je succède à Thabo Mbeki »

Manifestement satisfait de son passage en Europe à la fin du mois d’avril, le président du Congrès national africain semble s’imposer comme le successeur de l’actuel chef de l’État. Interview.

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 6 minutes.

L’ancien vice-président sud-africain, élu à la tête du Congrès national africain (ANC) le 18 décembre 2007, compte bien succéder, en 2009, à celui qu’il a battu à plates coutures, le chef de l’État, Thabo Mbeki. Jacob Zuma, 66 ans, essaie de se refaire une image auprès de ceux qui raillaient sa malhonnêteté (il est encore aujourd’hui poursuivi pour corruption et doit comparaître en août devant le tribunal) ou ses mÂurs douteuses (il a été accusé de viol avant d’être blanchi). Et semble prendre sa revanche sur un Thabo Mbeki isolé, celui-là même qui l’avait limogé de la vice-présidence en juin 2005. Sur le plan économique, afin de rassurer les investisseurs du Nord sur sa volonté de poursuivre la politique de l’actuel président, il a effectué à la fin avril une tournée d’une semaine à Berlin, Londres et Paris. L’occasion, également, de marquer sa différence avec la « diplomatie discrète » de Mbeki sur le cas Robert Mugabe et de reconnaître, aux côtés du Britannique Gordon Brown, que la situation au Zimbabwe est inquiétante. Une opération séduction qui a porté ses fruits et laissé un Zuma confiant en son avenir.

Jeune Afrique : Votre tournée en Europe a été un succès. Les Britanniques, tout particulièrement, vous ont reçu comme un véritable chef d’État. Pensez-vous que l’intérêt qu’ils vous portent est sincère ?
Jacob Zuma : Ce n’est pas à moi de dire si les Britanniques ont été séduits. Il fallait, en tout cas, que je me rende en Grande-Bretagne pour y rencontrer le Premier ministre Gordon Brown. Nous nous sommes parlé franchement et il m’a compris, je crois.

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Thabo Mbeki est président de la République sud-africaine et vous êtes président de l’ANC. Comptez-vous infléchir dès maintenant sa politique ?
Thabo Mbeki ne mène pas sa propre politique. Et moi non plus d’ailleurs. Nous appartenons tous à l’ANC. Le parti décide collectivement de l’action à mener, et nous nous y tenons. Le fait que Thabo Mbeki soit le chef de l’État et que Jacob Zuma soit le dirigeant de l’ANC ne pose aucun problème. Ce n’est pas la première fois que le président du pays n’est pas celui de l’ANC. Nelson Mandela et Thabo Mbeki ont déjà expérimenté cette cohabitation avec succès.

Dans le cas du Zimbabwe, on a tout de même entendu deux sons de ­clocheÂ
Thabo Mbeki est médiateur dans la crise zimbabwéenne. Or un médiateur n’est en aucun cas autorisé à prendre position ou à s’exprimer publiquement sur le conflit qu’il doit arbitrer. Vous ne pouvez donc pas reprocher à Mbeki de s’être exprimé avec prudence. Si la question est de savoir s’il y a crise ou non au Zimbabwe, Thabo Mbeki s’est clairement exprimé à ce sujet. Et je peux vous dire que la position de l’ANC et celle de Mbeki sont les mêmes.

Lors de la Conférence de l’ANC en décembre, vous avez été élu à la tête du parti, contre Thabo Mbeki. Qu’est-ce qui, selon vous, a fait la différence ?
Les militants de l’ANC ont voté pour moi parce que le moment était venu pour Mbeki de quitter la présidence du pays et qu’ils ont jugé qu’il était également temps qu’il quitte celle de l’ANC. Il a cru qu’il pouvait encore diriger le parti. Ses partisans l’ont pensé aussi. Mais la majorité voulait du sang neuf.

Les militants semblent ne pas être restés insensibles à votre personnalitéÂ
Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que je suis un cadre de l’ANC depuis longtemps. J’ai été élu secrétaire général adjoint en 1991, directeur en 1994, puis vice-président en 1997. J’ai été reconduit à ce poste en 2002. Cela prouve que les membres du parti me font confiance depuis de nombreuses années. Après tout, j’ai été numéro deux pendant dix ans. Quand le numéro un s’en va, il est logique que ce soit son second qui le remplaceÂ

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Ce n’est donc qu’une affaire d’ancienneté ?
Non, pas seulement. Les militants pensent que je suis l’un de ceux qui peuvent diriger l’ANC.

Le comité exécutif de l’ANC souhaiterait que votre allié, l’actuel numéro deux du parti, Kgalema Motlanthe, soit nommé vice-président du pays, ce que beaucoup considéreraient comme un aveu de faiblesse de Mbeki. Qu’en pensez-vous ?
C’est le chef de l’État qui nomme le vice-président du pays. C’est donc Mbeki qui décidera. Cela étant dit, c’est la première fois depuis 1994 qu’à l’approche de la présidentielle aucun poste clé du gouvernement n’est détenu par un haut responsable de l’ANC. En réalité, le comité exécutif du parti pense que Kgalema Motlanthe doit faire partie du gouvernement pour que la transition avec le nouvel exécutif se passe au mieux.

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Vos qualités de médiateur sont reconnues par tous, notamment depuis votre contribution à la pacification du conflit au KwaZulu-NatalÂ
Toute ma vie, j’ai été amené à négocier. Durant toutes mes années passées à l’ANC, j’ai appris quelle était la meilleure manière de régler les conflits. Pour être un bon médiateur, il faut comprendre la psychologie des différentes personnes qui s’opposent. Il faut les écouter et prendre le temps de comprendre d’où elles viennent.

Vous avez également été médiateur au Burundi dans les années 1990. Ne craignez-vous pas que le processus de paix soit en train d’échouer ?
Comme je ne m’occupe plus de la crise burundaise, je n’en connais pas les détails récents. Mais je sais que l’essentiel réside dans la manière dont on traitera le groupe rebelle qui n’a jamais voulu négocier. Le Burundi avait besoin d’être materné. Tant qu’on n’aura pas essayé de comprendre les Forces nationales de libération [FNL], on n’arrivera à rien.

Thabo Mbeki s’est opposé au projet des États-Unis d’Afrique, souhaité par plusieurs membres de l’Union africaine (UA). Quelle est votre position ?
Mbeki n’était pas en désaccord avec le projet lui-même, mais avec le calendrier proposé. Au vu des problèmes importants que connaît l’Afrique, il le juge trop rapide. Il semble difficile en effet de parvenir à une union cohérente alors que certains pays ne parviennent pas à mettre fin aux crises qu’ils traversent. C’est la position de l’Afrique du Sud. Et je suis sud-africain. J’étais d’ailleurs vice-président quand ce débat était discuté à l’UA. C’est donc aussi ma position.

Pourtant, vous n’êtes pas toujours d’accord en matière de politique étrangère. La crise au Zimbabwe le montre bienÂ
Je dis qu’il y a une crise au Zimbab­we. Et je vous répète que Mbeki dit la même chose. Lui aussi l’a reconnu.

Les relations entre l’Afrique du Sud et l’Angola sont souvent tendues. Allez-vous travailler de manière plus proche avec le président José Eduardo dos Santos ?
Certainement. Je perçois des signes de réchauffement entre nos deux pays. Et je souhaite que nous nous rapprochions davantage.

La situation sociale se dégrade en Afrique du Sud. Le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté a plus que doublé ces dix dernières années. Que comptez-vous faire ?
Il est évident que la population s’appauvrit. L’héritage de l’apartheid n’y est pas pour rien. Le système éducatif mis en place à l’époque, l’exclusion des Noirs de toutes les activités économiques ont eu de graves conséquences. Les ruraux qui n’avaient pas le droit de venir s’installer dans les villes sous l’apartheid s’y sont précipités avec l’avènement de la démocratie. L’ANC doit aujourd’hui porter le fardeau de cet héritage. Mais nous devons absolument traiter ces questions. Et nous le ferons.

Les contrats d’armement conclus par l’Afrique du Sud avec d’autres pays industrialisés posent un double problème : de par leur contenu et de par la corruption qu’ils engendrent. Comment y faire face ?
Le problème c’est qu’on ne s’est jamais assis à la même table pour réfléchir sur la meilleure manière de traiter ces contrats. Il est nécessaire d’organiser un forum international pour régler ces questions.

Qu’en est-il de votre procès, dans le cadre du contrat d’armement signé entre l’Afrique du Sud et plusieurs pays européens ?
La question des charges qui pèsent sur moi est en discussion en ce moment. Je ne peux pas vous en dire plus.

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