Gros contrats et petits couacs
Les Tunisiens sont unanimes à propos de la visite d’État du président de la République française dans leur pays, du 28 au 30 avril : « C’était un Sarkozy show. » Si la plupart ont été séduits, voire conquis – et la présence de Carla à ses côtés n’y est sans doute pas étrangère – d’autres, sur certains de ses propos d’ordre politique, l’ont été moins. Mais tous se retrouvent pour dire que la visite a été un succès sur le plan économique. Tant pour la France, à travers les contrats signés et le renforcement de sa présence dans son ex-protectorat, que pour la Tunisie, à la faveur des accords-cadres et de la prochaine implantation stratégique d’une usine aéronautique française (voir p. 72). « Jamais visite d’un chef d’État français n’a été aussi prometteuse en termes de perspectives économiques entre les deux pays », commente un banquier de la place.
Fidèle à son style, adoptant une gestuelle et parfois même des intonations méditerranéennes, l’invité du président Zine el-Abidine Ben Ali a abreuvé les Tunisiens d’éloges et de promesses de lendemains qui chantent. Lors du dîner d’État offert en son honneur, le 28 avril, il a exprimé le souhait de « revitaliser » les relations entre les deux pays et de « bâtir ensemble un avenir meilleur ». S’agissant de l’Union pour la Méditerranée (UPM), Sarkozy a prêché des convertis. « L’approche par projets est séduisante », note l’universitaire Abdelmajid Bedoui. Les promesses relatives à l’émigration choisie et, surtout, à la formation des ressources humaines sont les gestes les plus appréciés.
Plus controversés, en revanche, sont certains de ses propos à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés blessants, qui rappellent, dans une certaine mesure, le discours de Dakar. Au Forum économique, il a opposé la « main-d’oeuvre » du Sud et « l’intelligence » du Nord, et même si c’est pour dire ensuite que leur alliance permettrait de faire front à l’Asie, d’anciens diplômés des universités et grandes écoles françaises se sont dits choqués. Sa prestation dans l’amphithéâtre de l’Insat (Institut national des sciences appliquées et de technologies) n’a pas non plus convaincu. Plusieurs étudiants interrogés ont même été outrés par les parallèles entre la civilisation arabo-musulmane et la « barbarie ». « Quel culot de venir nous parler de barbarie et de la mettre à plusieurs reprises en rapport avec la civilisation arabo-musulmane ! » s’insurge Hanane. « Je m’attendais à ce qu’on nous permette de poser des questions pour qu’il y ait débat, s’étonne Souha, mais il a prononcé son discours et il est parti. J’ai compris qu’on nous avait fait venir pour applaudir. » L’insistance sur la sécurité d’Israël, comme si les Palestiniens n’étaient pas ceux qui en avaient le plus besoin, a également irrité. « Je suis déçue », confie Dorsaf. « Au lieu des promesses, j’aurais préféré des mesures concrètes pour nous faciliter l’obtention des visas et nous ouvrir l’accès aux universités françaises », regrette Hela. « On était venus pour le côté people et pour Carla, reconnaît Fella. Elle est mieux que sur les photos. C’est surtout elle que nous avons applaudie. »
Vu de Tunis, les commentaires de Sarkozy sur la situation des droits de l’homme sont pratiquement passés au second plan, occultés par les retombées économiques de la visite. Il faut dire que les autorités tunisiennes n’ont pas, contrairement à leurs habitudes, pris des mesures susceptibles de détourner l’attention des vrais enjeux de la venue de Sarkozy. « Ne répondez surtout pas aux provocations », ont conseillé les Français à leurs interlocuteurs tunisiens, à la veille de la visite. Tout en affirmant que « l’espace des libertés progresse » en Tunisie, le chef de l’État français s’est dit « pleinement confiant » dans la volonté du président Ben Ali de le voir s’élargir davantage.
Rama Yade, la secrétaire d’État française aux Droits de l’homme, a, quant à elle, préféré l’écoute aux formules chocs. « J’ai consacré mes entretiens à parler des vrais problèmes, a-t-elle déclaré à Jeune Afrique. J’ai demandé à mes interlocuteurs qu’ils trouvent des solutions parce que c’est l’image de la Tunisie qui est en jeu. » Yade a fait état de réponses positives du gouvernement tunisien sur plusieurs questions soulevées par Sarkozy ou elle-même. Outre le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, et le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Rama Yade a rencontré le président du Conseil supérieur des droits de l’homme, Moncer Rouissi, et un groupe d’ONG de femmes. L’entrevue avec l’Association des femmes démocrates a en revanche été « reportée », le « contexte » de la visite ne s’y prêtant pas. Rama Yade s’est également entretenue avec le président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH), Mokhtar Trifi, mais pas avec les « dissidents » de l’organisation. « Nous demandons, a-t-elle déclaré, qu’une solution soit trouvée aux difficultés rencontrées par la LTDH à propos de l’accès à son propre siège et la tenue de son congrès. » La visite de Sarkozy aura au moins permis d’obtenir qu’un condamné à mort dans le procès des « salafistes » de Soliman ne soit pas exécuté. « Nous avons obtenu l’engagement que le moratoire sur la peine de mort serait maintenu, a indiqué Yade. Le président Ben Ali a clairement dit qu’il ne reviendrait pas dessus. Le ministre de la Justice et le secrétaire d’État aux Affaires étrangères me l’ont confirmé. »
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