Elimane
Elimane, c’était un grand bonhomme, avec du coeur, de l’âme, de la générosité, c’était quelqu’un de bon, fondamentalement bon, pas une once de méchanceté, un peu perdu peut-être, efflanqué, fragile, la cigarette collée à la bouche, la cigarette qui tue probablementÂ
Elimane, c’était l’ami, le grand frère, le pote, le tonton, et finalement comme il le disait lui-même, Elimane, c’était « Papa ».
Elimane, c’était un vrai journaliste, un peu particulier aussi. Pas un fana des grands voyages, du grand reportage, pas un accro de l’aventure lointaine. Elimane, c’était l’école classique, le gars derrière le bureau qui prend en charge les gars sur le terrain. Elimane, c’était l’amour des mots, l’amour du texte. Avec le crayon à papier. Et la gomme. On nettoie l’article de ces journalistes un peu jeunes et un peu péremptoires. On soigne les phrases. On ponctue. On cisèle. On vérifie. On précise. On écrit français, sans fioritures inutiles, sans grandiloquence facile. Évidemment, tout cela pouvait provoquer des débats chauds, houleux, mais finalement toujours affectueux entre « Papa » et les auteurs.
Elimane, c’était le contact avec ces multitudes d’amis, de sources, de relations partout en Afrique, et même ailleurs. Le combiné sur l’oreille, le crayon main droite, la clope main gauche : « Alors papa, il se passe quoi ? » Elimane, il avait des « potes » de haut en bas de l’échelle, des humbles du quartier, et aussi des tout-puissants, des directeurs de truc, des vice-présidents de machin, des conseillers du chef, qui distillaient en chuchotant les secrets de l’Afrique.
Elimane, d’ailleurs, il n’aimait pas vraiment les présidents, les maréchaux, les généraux, les parrains. Elimane, fallait pas lui parler de VIP, de beau monde, de jet-set et de gens d’en haut. Ça le rendait mal à l’aise. Elimane, c’est l’un des rares de notre génération, je peux en témoigner, qui n’a pas cédé, d’une manière ou d’une autre, à la séduction du pouvoir africain.
Elimane, c’était une école de modestie. Jamais grande gueule. Pas autoritaire pour un rond. Les honneurs et le pouvoir sur les autres, c’était pas son adrénaline. Un vrai réd-chef, protecteur de ses troupes, prêt à faire écran, à encaisser les engueulades ou les coups de canon du grand boss.
Elimane, c’était une attitude qu’on devrait enseigner dans les écoles de journalisme.
Elimane, c’était l’enfant de Diourbel, l’Africain à Paris, l’intello broussard accroché à la fois à ses racines et à la ville.
Derrière ses airs de grand sage, Elimane a su faire la fête. Je peux vous en parler.
Derrière ses airs de macho tranquille, Elimane fut un vrai père, un vrai mari, un homme de famille, le cÂur de son petit clan.
Ceux qui le connaissaient bien le savaient. Elimane avait eu sa part de souffrances et de tourments. Mais il était là, « Papa », toujours souriant, protecteur, même lorsqu’on voyait passer dans son regard les ombres de sa propre vie.
Elimane nous a quittés vite, très vite. Comme s’il ne voulait pas imposer sa maladie aux siens. Il a éteint la lumière d’un coup, dans un geste ultime de discrétion, comme pour rester lui-même, Elimane vivant, dans notre cÂur et dans notre âme.
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