Demain, une révolution

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

Au milieu du XXe siècle, il n’y a donc pas si longtemps, les partis communistes, qui avaient alors le vent en poupe, voulaient imposer la dictature du prolétariat à toute la planète.
Aujourd’hui encore, les derniers tenants de cette doctrine politico-économique détiennent le pouvoir à Cuba et en Corée du Nord. Reliques d’un passé non révolu, coupés de la réalité, ils persistent à affirmer contre vents et marées que « le combat continue » et que « la révolution vaincra ».
On dirait qu’ils ont des yeux pour ne pas voir en pleine lumière.

Sous leurs yeux et les nôtres, pourtant, explose depuis vingt ans un phénomène extraordinaire dont je dirais que c’est l’effet le plus important de la mondialisation, et qu’il signe la deuxième mort du communisme. C’est, au sens le plus fort du terme, une révolution, et elle sera probablement la marque du XXIe siècle.
Ce phénomène, l’arrivée sur la scène économique, sociale et politique d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse, est mondial.
On le perçoit en Chine, en Inde, au Brésil, en Russie. Mais aussi dans les autres pays d’Europe, d’Amérique, d’Asie et d’Afrique dont l’économie est en croissance soutenue (4 % par an et plus) : ils sont de tous les continents, se comptent par dizaines et l’on y dénombre plus de la moitié de la population mondiale.

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Deux séries de chiffres mesurent l’ampleur du phénomène :
– Dans les douze années qui nous séparent de 2020, la population mondiale augmentera de un milliard de personnes, tandis que la classe moyenne croîtra, elle, de près de deux milliards.
– Dans le même laps de temps, la proportion de la classe moyenne dans la population mondiale doublera, passant de 25 % ou 30 % en 2008 à 50 % ou 60 % en 2020.
Dans la plupart des pays africains où existe déjà une classe moyenne (Afrique du Sud, Maurice, Botswana, Tunisie, Algérie, Maroc, entre autres), il y aura doublement.
En Chine, il y aura triplement ; en Inde, où la pauvreté est encore très répandue, la classe moyenne sera dix fois plus nombreuse en 2020 qu’aujourd’hui.

Les membres des classes moyennes des pays en développement n’ont pas aujourd’hui, et n’auront pas dans les dix années à venir, les mêmes exigences que ceux des pays industrialisés depuis plusieurs décennies : ils seront plus frugaux, moins sophistiqués. Mais disposant de revenus annuels situés entre 10 000 et 20 000 dollars, ils accéderont à une certaine aisance, à un niveau d’éducation plus élevé et à des dépenses de confort ou même de luxe : leurs besoins en nourriture seront plus variés et plus coûteux ; leurs logements seront plus vastes et leur mobilier plus élaboré ; ils utiliseront de manière courante la réfrigération, les appareils ménagers, l’air conditionné, la voiture et le transport aérien ; leurs dépenses de santé et d’éducation seront de plus en plus importantesÂÂ

Apanage jusqu’à il y a peu d’un demi-milliard de personnes – les riches et les classes moyennes des pays industrialisés (dont la population totale est de l’ordre du milliard) -, ces biens et services vont désormais être convoités et consommés par un nombre grandissant de personnes, qui passera en peu d’années de un à deux, puis à trois et quatre milliards.
Il s’agit, on le voit, d’une vraie révolution, de surcroît globale : culturelle, sociale, économique et politique.
Elle pose à l’humanité une série de problèmes qu’elle n’a jamais eu à résoudre. Et nous conduit à une série d’interrogations.

On se demandait jusqu’ici si notre planète Terre pourrait nourrir sa population, dont on prévoit qu’elle culminera à 9 milliards d’individus au milieu de ce siècle.
Et l’on répondait généralement par l’affirmative en évoquant une nouvelle révolution verte, les progrès de la recherche scientifique et les précédents historiques, qui montrent tous que l’humanité a toujours su, avec aisance, relever les défis.

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Mais la révolution décrite ci-dessus nous oblige à poser la même question, différemment, et en suscite quelques autres :
1) Serons-nous capables, dans les décennies qui viennent, non seulement de nourrir les 7, 8 ou 9 milliards d’êtres humains, mais aussi, et en même temps, de répondre aux besoins nouveaux : ceux qui auront été créés par l’aisance économique, la prospérité et le niveau d’éducation qu’auront atteint la moitié d’entre eux ?
2) Quelles conséquences auront les exigences des 4 ou 5 milliards de personnes que comptera la classe moyenne mondiale sur les biens, agricoles et industriels, les besoins en éducation et en santé, sur les produits rares comme l’eau, le bois ou certains métaux et sur leur prix, sur le tourisme (le nombre des touristes passera de 900 millions à 2 milliards en douze à quinze ans, et certaines destinations comme Venise ou Paris ne peuvent guère en recevoir plus) ?
3) Le « choc alimentaire » qui vient d’affecter les prix, et même la disponibilité de plusieurs produits agricoles (blé, riz, maïs, lait, viande), est-il conjoncturel et passager ou structurel et durable ?
Annonce-t-il le début d’une ère nouvelle ou n’est-il qu’une secousse indicatrice d’un déséquilibre qui ne tardera pas à disparaître ?

L’accès progressif de la moitié de l’humanité à l’aisance économique et au statut de classe moyenne est donc bien, on le voit, le phénomène marquant de ce XXIe siècle. Nous n’en sommes, pour l’heure, qu’au tout début du processus et n’en ressentons donc que les premières vibrations.
Mais sachons-le d’ores et déjà : difficiles à cerner parce que non encore étudiées, les conséquences de cet avènement sur la vie quotidienne de ceux qui le connaîtront risquent de les secouer comme un avion qui traverse une grande zone de turbulencesÂÂ

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Mais, fort heureusement, l’avènement d’une classe moyenne dense et nombreuse – la moitié de la population, en gros – dans une centaine de pays sur les cinq continents n’a pas que des conséquences économiques.
Dès qu’ils sont mieux éduqués et qu’ils disposent d’une aisance financière (fût-elle relative), les femmes et les hommes réclament – que dis-je, exigent – et ne tardent pas à obtenir plus de liberté.
De même qu’une hirondelle annonce le printemps, l’accession à l’éducation, à l’aisance économique (et pécuniaire) de plusieurs centaines de millions de femmes et d’hommes précède de peu le départ (volontaire ou forcé) des dictateurs et l’arrivée (discrète ou en trombe) des libertés démocratiques.

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