Blogs à part

Ils offrent un espace d’expression pour raconter sa vie, sa passion, ou « éveiller les consciences ». Certains s’en servent comme d’une arme politique. À leurs risques et périls.

Publié le 5 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

Se faire entendre, c’est l’objectif du blog, ce site Internet entre carnet de bord et journal intime qui permet à son auteur de (presque) tout dire sur (presque) tout. Et ses utilisateurs maghrébins ont des choses à dire. Les Marocains sont les plus « branchés » : ils totalisent 30 000 sites, quand l’Algérie en dénombre 6 000 et la Tunisie à peine 1 000. Estimé à 60 millions dans le monde par le moteur de recherche Technorati, leur nombre est en fait impossible à déterminer : la Toile s’enrichirait d’un « site perso » par seconde.
L’engouement des Maghrébins pour les blogs s’explique par l’absence d’un espace de liberté équivalent dans les médias locaux. La blogosphère se développe parallèlement à l’accès à Internet : fin 2007, le Maroc comptait 18 % d’internautes, la Tunisie 16 % et l’Algérie 8 %. Le pionnier marocain Larbi el-Hilali, qui a inauguré son blog fin 2004, a reçu 18 000 réponses aux 450 billets (« posts ») qu’il a édités ; il reçoit en moyenne 3 500 visites par jour. Stimulée par les progrès relatifs à la liberté de la presse et les ruses informatiques qu’elle déploie pour contourner la censure, la blogo­sphère marocaine – la Blogoma – fait preuve d’audace. Et propose l’éventail de thèmes le plus large : sujets de société, politique, poésie, chroniques du quotidien et même coquines, comme Casallywood Charnel (http://eshadesyr.wordpress.com), version casablancaise du feuilleton américain Sex and the City. « Nos commentateurs sont plutôt bienveillants, nous n’avons jamais reçu de menaces », témoigne l’une des trois plumes masquées.
Les Algériens, qui, malgré une presse quotidienne fertile en polémiques, pourraient trouver sur cette planète interactive un espace où aborder en profondeur les questions de société, ne disposent que d’une palette limitée. Le réseau Dzblog.com, créé en janvier 2006, n’a reçu que 2 millions de visites sur les 6 000 sites qu’il héberge. Hchicha.net, « Journal d’un Algérien installé à Paris pour le meilleur et pour le pire », dont l’auteur a mené sa propre enquête, montre, chiffres à l’appui, que la plupart des « blogs apparentés algériens » y sont agrégés. La page d’accueil de ce portail propose en « coup de cÂur » un site à la gloire du président Bouteflika, ce qui indique d’emblée sa tonalité favorable au régime.
Les « sites perso » maghrébins ne sont pas forcément édités ou consultés au Maghreb : « 55 % de mes visiteurs résident en France, le reste au Maroc », a calculé une célèbre contributrice marocaine. Avocate à la ville, elle a popularisé ladyzee.com en y prenant la parole sur des sujets inédits. Cette variété thématique lui permet de ratisser large et d’accueillir « des visiteurs de 7 à 77 ans ». Mais sur 103 000 visites reçues depuis novembre 2006, elle n’a recensé « que » 1 000 commentaires, dont certains par des invités réguliers, parmi lesquels de nombreux jeunes.

Cyberdissidence
Les blogueurs de ce type sont des rassembleurs : d’un écran à l’autre, les adresses des « vedettes » circulent. Et avec la notoriété vient le business. À 26 ans, Younes Qassimi, « consultant en management des technologies de l’information », est un professionnel. Il a monté sa société pour promouvoir ce nouveau support d’expression et organise des conférences aux quatre coins du Maroc via le Blogotour, que couronnent les Blog Awards (www.blogotour.com). L’entrée est gratuite, les déplacements financés par des partenariats commerciaux. Son site personnel est truffé de bannières proposant des vols vers Agadir à bas prix. Lady Zee, elle, dit refuser les offres publicitaires qui « gâcheraient l’authenticité de [son] site ». Son objectif : « Contribuer à la prise de conscience de [ses] concitoyens. »
Parce qu’ils ont davantage de liberté à conquérir, « les blogs du Maghreb sont plus militants que leurs pendants européens », constate Clotilde Le Coz, responsable de la cellule Internet de Reporters sans frontières (RSF). Mais quelle est vraiment leur influence au-delà de l’espace de parole qu’ils ont inventé ? Si rien ne prouve que leur mobilisation a des répercussions concrètes, les blogueurs aspirent en tout cas à jouer un rôle social. De plus en plus de justiciers se lancent sur les traces du « sniper de Targuist », qui avait filmé, en juillet 2007, dans cette petite ville du Rif central, des gendarmes en flagrant délit de corruption. En octobre dernier, son témoignage a été recueilli par la police : ses vidéos ont conduit neuf gendarmes en prison.
Le phénomène des blogs place les pouvoirs face à un dilemme : développer l’outil Internet tout en le contrôlant. Un cyberdissident tunisien a payé cher son insolence : Zouhair Yahyaoui, fondateur du journal en ligne Tunezine, qui publiait ses pamphlets contre le régime, a été condamné à deux ans de prison en 2002. Le symbole de la répression à l’encontre des blogueurs reste néanmoins l’Égyptien Karim Amer, condamné le 22 février 2007 à quatre ans de prison pour avoir « incité à la haine de l’islam » et « insulté » le président Moubarak. Depuis, les blogueurs arabes clament leur solidarité et appellent à sa libération. La « cyberdissidence » s’organise. Des plates-formes collectives, comme World United Bloggers, accueillent des membres de tous pays quand l’accès ne leur est pas interdit. « Ce que craignent surtout les gouvernants, c’est le partage d’informations, explique Clotilde Le Coz. Aussi des sites communautaires comme LiveJournal sont-ils interdits au Maroc, en Algérie et en Tunisie. » « Peine perdue ! s’amuse Lady Zee. Nous créons des liens au-delà des frontières : en cas de suspension de l’accès à un site, je contacte mes relais en Europe par courrier ou par téléphone. »

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« Journalisme citoyen »
Les blogueurs se prennent aussi au jeu du petit reporter. Sont-ils pour autant en train de créer un « journalisme citoyen » ? « Je suis plus crédible qu’un journaliste, car je n’ai rien à gagner ni à perdre », affirme Lady Zee, à qui journalistes et citoyens en mal de liberté d’expression enverraient des informations, mais qui en oublierait presque le fondement du métier : la fiabilité. En revanche, elle a mis sur pied le collectif Bloguons Utile !(http://bloguonsutile.wordpress.com), qui remplit déjà son objectif associatif. « Le 23 septembre 2007, on a tous écrit sur les mineurs en prison. Sans rien demander, l’association qui s’occupe d’eux a reçu 50 000 euros de dons et des messages de soutien du Maroc, de France, d’Algérie et de Tunisie. » Quant au jeune Younes Qassimi, il rêve que la Blogoma « suive le modèle de la France où même les élus ont des blogs ». Un rêve de démocratie, en somme. Presse et pouvoir devront compter avec.

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