Wade face à ses promesses
Emploi, éducation, transports : les grands changements annoncés par le président élu il y a trois ans se font attendre.
«Que ceux qui cherchent un emploi lèvent la main ! » L’opposant Abdoulaye Wade interpellait ainsi la foule au cours de ses meetings de campagne électorale. Une forêt de bras se levaient. Celui qui allait détrôner Diouf lors de l’élection présidentielle de février-mars 2000 jubilait et promettait de donner du travail aux chômeurs. Dans ce pays de 10 millions d’habitants, on dénombrait alors 200 000 salariés – 60 000 dans la fonction publique, le reste dans le privé – et 100 000 demandeurs d’emplois en plus chaque année. Wade s’engageait également à trouver des débouchés pour les producteurs agricoles, à construire des écoles et des lycées, des infrastructures routières, des hôpitaux… Les caravanes bleues (couleur du parti du président) qui sillonnaient le Sénégal critiquaient les « quarante ans de gestion catastrophique du pays par le Parti socialiste [PS] » et charriaient les promesses d’un Sénégal du sopi (« changement » en wolof). « Je ferai rentrer dans le pays plus d’argent qu’il n’en a besoin », disait le candidat Wade.
Depuis le 1er avril 2000, il tient officiellement les commandes du pays, élu au second tour de l’élection présidentielle avec 58 % des suffrages, porté par une coalition, le Front pour l’alternance (FAL, « élire » en wolof), d’une quarantaine de formations politiques avec un dénominateur commun : la volonté de détrôner le président Diouf et de changer les choses dans le pays.
« Abdoulaye Wade ne s’aventure plus à demander aux chômeurs de lever la main. Il risquerait d’être confronté à la même situation que sous Diouf. Les exigences du Fonds monétaire international [FMI] laissent peu de marge de manoeuvre au gouvernement. Tout au plus, 11 000 personnes arrivent chaque année sur le marché de l’emploi pour remplacer les gens qui partent à la retraite. Au contact de la réalité, Wade est devenu plus humble. » Papa Babacar Mbaye, député du PS, est convaincu que lui et ses camarades vont bientôt revenir au pouvoir, « parce que, en quelque sorte, Wade travaille pour nous en montrant aux Sénégalais ses limites ».
Le 19 mars 2003, c’est en rangs dispersés que le camp présidentiel fête le troisième anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Wade. Parmi les absents : Moustapha Niasse, qui avait obtenu 17 % des suffrages au premier tour, avant de soutenir l’actuel chef de l’État au second. Madior Diouf, également, du Rassemblement national démocratique (RND), mais aussi Amath Dansokho du Parti de l’indépendance et du travail (PIT). Quant aux alliés de Wade qui lui sont restés fidèles, ils ne cachent pas leur déception : Landing Savané, leader d’And Jëf-Parti africain pour la démocratie et le socialisme, a déclaré publiquement que sa formation ne se sentait pas comptable de la gestion du pays, et s’est d’ores et déjà déclaré candidat à l’élection présidentielle de 2007.
La semaine précédant la commémoration des trois années d’alternance aura été chaude : en tournée dans le nord du pays, Wade est interpellé par des pancartes lui rappelant sa promesse électorale de construction d’un lycée. La veille, les populations de Bargny (à 40 km de Dakar) manifestent violemment, réclamant que leurs problèmes fonciers soient réglés. Le 18 mars, l’intersyndicale des enseignants organise un débrayage. Deux jours plus tard, ce sont les agriculteurs qui descendent dans les rues de Dakar. Au point d’excéder le président, qui, signe de ses nouveaux rapports avec les contestataires, menace de « retirer de la Constitution le droit à la marche que j’y avais inscrit ».
Wade voulait faire du Sénégal « un pays émergent », avec un taux de croissance de plus de 7 %, « voire à deux chiffres », disait-il. Ce taux, qui était de 5 % en moyenne entre 1993 et 2000 (selon les statistiques de l’ancien gouvernement, confirmées par le FMI), est tombé à 2,3 % en 2002. Une mauvaise pluviosité et une gestion désastreuse des campagnes agricoles de 2001 et 2002 (les paysans sont restés pendant de longs mois avec des bons impayés) ayant fait chuté de 20 % la production d’arachide, la première du secteur au Sénégal. Une situation telle que, selon les experts du Cadre de concertation des ruraux, « dans trois mois, le monde rural connaîtra une famine ». À cela, il faut ajouter les pluies de contre-saison en 2002 (janvier notamment) qui ont créé de nombreux dégâts : 70 000 têtes de bétail ont d’ailleurs été décimées. La dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger (52 % de la consommation), notamment pour le riz, dont les importations sont de l’ordre de 400 000 tonnes par an, et les pertes de devises qu’elles occasionnent, s’en trouvent accentuées. Le président Wade envisage notamment de mettre en place un système de pluies artificielles, grâce à l’aide d’experts marocains, pour palier les aléas climatiques. Mais dans un pays aux croyances tranchées – la pluie appartient à Dieu ! -, cette idée est parfois perçue comme un « blasphème ». Ou, le plus souvent, comme relevant des nombreuses « idées » dont le président a le secret, accueillies de plus en plus par l’opinion avec un sourire dubitatif.
Il en est ainsi de l’un des projets du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) : les habitants de la capitale ont du mal à comprendre la pertinence de la construction d’une route transsaharienne qui relierait Dakar à Casablanca. Cela au moment où les embouteillages leur font perdre des heures de travail, chiffrées à 108 milliards de F CFA (164 millions d’euros) par an, soit 4,7 % du PIB. Par ailleurs, le pouvoir est fier d’avoir créé une nouvelle société de transport dans la capitale, Dakar-Dem-Dick, pour combler le vide laissé par l’ancienne entreprise publique Sotrac, qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire sous l’ancien régime. Ses détracteurs mettent en avant le statut juridique flou de la nouvelle entité qui utilise le parc et le patrimoine de l’ex-société nationale : à savoir, des bus vétustes qui tombent en panne un à un.
« À Dakar, on ne raisonne plus en termes de kilomètres, mais en heures. Le problème des transports est préoccupant. » L’homme d’affaires français qui tient ces propos est formel : il existe une grand décalage entre les besoins immédiats de la population et les réponses du président, généreuses, mais irréalisables à moyen terme. « L’aéroport de Diass est, de tous les grands projets du président, celui qui a le plus de chances de voir le jour », affirme une source proche de l’Agence pour la promotion des investissements (Apix). « Il est censé faire transiter deux millions de voyageurs par an. Mais tous les calculs montrent qu’un tel projet n’est ni opportun – l’aéroport de Dakar répond largement aux besoins actuels – ni rentable. »
Et qu’en est-il des « Cases des tout-petits » construites par le gouvernement ? Il s’agit, en fait, de jardins d’enfants de luxe réservés à de rares privilégiés, nous confie un consultant. Et ce au moment où l’État se glorifie d’avoir fait passer le taux de scolarisation de 55 % à 71 % (selon ses propres chiffres). On est encore loin du nouveau système scolaire promis par Wade lors de sa campagne. Même si, fait notable, le gouvernement a procédé à une généralisation des aides scolaires. « En fait, l’enveloppe que nous destinions aux bourses a juste fait l’objet d’une nouvelle répartition », avise le député Mbaye. Un étudiant ivoirien témoigne : « Nos camarades sénégalais, pour la plupart, ont une bourse de moins de 75 000 F CFA par an (environ 112 euros) ! »
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