Un tournant de l’Histoire

Publié le 5 mai 2003 Lecture : 5 minutes.

Le doute n’est plus permis : la guerre d’Irak qui vient de se terminer par la chute d’un régime d’oppression à l’intérieur et d’aventures militaires à l’extérieur est un tournant de l’Histoire contemporaine. Comme le 11 septembre 2001, dont elle découle.
Un barrage s’est écroulé, et ce qui était retenu s’engouffre dans la brèche :
les voyages de Tony Blair en Russie, de Donald Rumsfeld et de Colin Powell au Moyen-Orient, la nomination de Mahmoud Abbas au poste de Premier ministre palestinien, la publication de la « feuille de route », ultime avatar des tentatives de règlement du conflit israélo-palestinien, l’annonce par les États-Unis de l’évacuation de leurs bases militaires en Arabie saoudite, l’idée avancée par quatre pays européens (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg) d’une « mini-Otan » pour faire contrepoids à celle dominée par les Américains et dont ils veulent faire l’instrument militaire de leur politique en Afghanistan et en Irak… sont, parmi beaucoup d’autres, les signes d’une extraordinaire redistribution des cartes
En arrière-plan et parallèlement à cette effervescence, on note que les protagonistes des deux conflits régionaux africains semblent avoir opté pour l’apaisement :
– en Afrique centrale, la République démocratique du Congo et les autres pays de la région des Grands Lacs ;
– en Afrique de l’Ouest, la République de Côte d’Ivoire et ses voisins, en sont arrivés au stade où la discussion prévaut sur l’affrontement
L’énigme de la disparition de Saddam Hussein, les remous et les bavures – que suscite l’occupation politico-militaire de l’Irak, le retour de ce pays aux poisons et aux délices du jeu politique, la persistance des attentats suicide en Israël, les gesticulations du président égyptien Hosni Moubarak, le remaniement du gouvernement saoudien, l’effroi qui frappe celui de la Syrie, le silence-paralysie des autres régimes arabes, les vacillements diplomatiques de la France et de l’Allemagne confirment que chacun cherche à retrouver ses marques
Au milieu de ces sables mouvants, essayons de discerner quelques évolutions probables :

1- Le conflit israélo-palestinien
La « feuille de route » – élaborée par les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et l’ONU – prévoit des concessions réciproques et simultanées des deux belligérants qui conduiraient à l’arrêt de la violence palestinienne et à la fin de l’occupation israélienne, au gel de la colonisation de la Cisjordanie, puis à un État palestinien viable (aux frontières non définies dans le document !), à côté d’Israël.
C’est un arbitrage – non négociable – imposé aux Israéliens et aux Palestiniens, équitable et sérieux.
Yasser Arafat et Mahmoud Abbas ont dit l’accepter ; Ariel Sharon et son gouvernement en ont retardé la publication tant qu’ils ont pu et disent qu’ils veulent… le négocier pour l’amender.
Aucun observateur sérieux ne croit que MM. Bush, Cheney, Rumsfeld et Wolfowitz feront pression sur Sharon pour qu’il accepte ce qui ne lui convient pas. Et nul n’ignore que, de surcroît, George W. Bush est déjà en période électorale.
Quant aux trois autres membres du Quartet, on sait qu’aux yeux de l’actuel gouvernement israélien ils comptent pour du beurre…
Conclusion : la tentative est très sérieuse, digne d’être soutenue. Des progrès sont probables, mais rien de décisif ne se passera ni en 2003 ni en 2004 et, à mon avis, tant que le gouvernement en place à Tel-Aviv voudra toute la paix contre le minimum de territoires, moins de la moitié de ce qui est revendiqué par les Palestiniens.

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2- La Syrie
Là les choses sont encore plus simples.
Comme le Pakistan en septembre 2001, la Syrie de mai 2003 n’a aucune marge de manoeuvre. C’est ce que le général Colin Powell est allé dire à son président avec ce mélange de politesse et de brutalité qui lui a réussi au-delà de ce qu’il espérait quand il a mis sur le bureau du général Musharraf la liste de ce qu’il lui demandait : sans hésiter ni réfléchir – tétanisé -, le président pakistanais a tout accepté…
En un mot comme en mille, les États-Unis veulent que Bachar el-Assad fasse ce que Sadate a accepté de faire en 1978 : signer une paix séparée avec Israël en contrepartie de la restitution du Golan et, plus généralement, se mettre sous l’aile de l’Amérique, faire partie de son écurie.
Ce qui signifie, bien sûr, rupture avec l’Iran et abandon du Hezbollah, retrait du Liban, soutien de l’action des États-Unis en Irak et dans le reste du Moyen-Orient.
Si Bachar el-Assad et le régime dont il a hérité ne se plient pas aux exigences américaines, on leur rappellera qu’ils ne sont après tout qu’une branche de ce parti Baas que l’on vient de supprimer à Bagdad.
Plus généralement, les actuels dirigeants américains feront comprendre à leurs interlocuteurs arabes que les choses étant ce qu’elles sont, ils ne toléreront que des « alliés » dociles, du type Sadate, Hussein (de Jordanie), ou le fils de ce dernier, Abdallah, qui ont fait ou font ce qu’on leur demande, quoi qu’il leur en coûte
Mais dans quel cadre ces évolutions auront-elles lieu ? Vers quel monde ce « tournant de l’Histoire » nous conduit-il ? Comment et par qui sera-t-il dirigé ?
Là intervient l’extraordinaire clarification apportée par Tony Blair, le Premier ministre britannique, allié inconditionnel de G.W. Bush et, en fait, de tout président américain quelles que soient sa politique et sa manière de la conduire.
Je ne veux pas de ce monde multipolaire que réclament mes collègues Chirac, Schröder et Poutine, a-t-il déclaré. Il ne faut pas qu’il y ait des centres de pouvoir et de décision différents : ils deviendraient vite rivaux, et une telle rivalité conduirait justement à cet « unilatéralisme » américain que l’on dit craindre et vouloir combattre…
L’Europe ne doit pas se poser en rivale ou en contrepoids de l’Amérique. Il faut qu’elle soit en partenariat avec cette Amérique, un partenariat dirigé naturellement par les États-Unis
Traduit en langage plus concret, le monde dans lequel voudrait se mouvoir Blair serait comme le système solaire qui tourne autour de l’astre principal, se chauffe à lui et en dépend, ou comme un conglomérat d’entreprises chapeauté par un holding.
Celui-ci contrôle l’ensemble, et ses dirigeants prennent les décisions principales (après avoir écouté les désirs ou les doléances des dirigeants de leurs filiales), font remonter les bénéfices de la périphérie vers le centre.
Dans le cas présent, G. W. Bush, entouré et assisté de MM. Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz, Powell, est le président-directeur général du holding. Blair, lui, dirige la filiale préférée de ce holding, chargé d’expliquer aux autres, en langage subtil, les volontés du « patron ».

Libre à Tony Blair d’accepter le rôle de brillant second dès lors qu’il estime que lui et son pays y trouvent leur compte, ce qui est rien moins que sûr : il n’est pas seul dans le monde à penser que c’est en collant au patron, en lui disant des choses agréables qu’on l’influence et en tire des avantages.
Fort heureusement, il y a tous les autres, dont nous sommes, qui refusent de s’en remettre au tout-puissant (sur terre), jugent le pôle mondial unique de pouvoir aussi malsain et dangereux que le sont, au niveau national, le parti unique et, en économie, le monopole d’État.

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