Un homme hors série
Comment Gamal Abdel Nasser est devenu un homme d’État. Histoire de sa vie privée et de son ascension politique.
Il y a des hommes qui rêvent de sa mort et le tueraient de leurs propres mains. D’autres, bien plus nombreux, mettraient en pièces celui qui oserait toucher à un de ses cheveux, pensent sincèrement qu’est vendue à l’impérialisme toute personne qui doute de lui ou, simplement, formule des réserves sur sa politique ou sa personne. Gamal Abdel Nasser est ainsi, à 45 ans, l’homme qui suscite le plus de passions dans le monde arabo-musulman et bien au-delà.
Ce n’est ni un penseur, ni un tribun. Il suffit pour s’en convaincre de lire sa « philosophie de la révolution », d’écouter ses discours. Ce n’est pas non plus, malgré les apparences, l’homme d’une idée. Sa politique, depuis dix ans, a été une suite de tâtonnements, et même l’idée force de l’Unité arabe lui est venue bien plus tard que le pouvoir. Il est contre tout programme, toute idéologie, pour un pragmatisme absolu. Avant le coup d’État qui l’a porté au pouvoir, il a tâté de tous les partis. Aucun ne l’a retenu et tous lui ont inspiré soit la crainte soit le mépris.
Comment expliquer alors que cet homme qui, lorsqu’il a pris le pouvoir à 34 ans n’avait ni expérience ni culture politique, ait pu devenir l’un des plus grands hommes d’État de notre temps, dépasser son pays et les problèmes du sous-développement, pour se poser en partenaire considéré des grands de ce monde ?
Servi par sa jeunesse, par un équilibre psychologique et une santé qui font en général défaut aux hommes politiques minés par la lutte pour le pouvoir, il a saisi d’instinct trois vérités qui sont le secret de sa réussite :
– Il a résolu, d’emblée, une fois pour toutes et remarquablement tous ses problèmes personnels : il a choisi une femme effacée qui s’occupe de sa maison, de ses enfants et ne joue aucun rôle politique ni de représentation. Il s’est fixé un train de vie d’une suprême sagesse, ni artificiellement modeste, ni scandaleusement somptueux. Un de ses frères ayant fait mine d’user de son influence pour faciliter ses affaires, il y a mis rapidement le holà.
– Il s’est admirablement organisé pour travailler. Cet homme, qui a voulu décider de tout, lui-même, tout seul, a compris que ce serait extrêmement dangereux de le faire sans une excellente information personnelle, sans qu’il soit entouré de collaborateurs de qualité dont le seul rôle est de préparer ses décisions.
– Calculateur, tacticien, il a fini par comprendre que le « héros » qu’attendent les Arabes et tous les humiliés de la Terre est celui qui dira non, hautement, clairement, virilement, à ceux qui ont été nos maîtres, nous ont humiliés, qui continuent à tirer les ficelles dans nos pays.
Tel m’apparaît l’itinéraire de Gamal Abdel Nasser : un homme hors série, né au bon moment, dans un pays qui, par sa place géographique, par son histoire, par sa démographie, était appelé à jouer un rôle de premier plan au Moyen-Orient et en Afrique. Le lot des personnages hors série est de finir leur règne d’une manière imprévisible, et le bilan honnête de Gamal Abdel Nasser ne pourra être fait qu’après lui.
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