Le mystère Saddam

Est-il mort sous les bombes ? A-t-il fui à l’étranger ? Ou bien se cache-t-il quelque part entre Tikrit et Bagdad ? L’incertitude sur le sort de l’ex-raïs est totale. Ce qui n’est pas sans arranger les Américains.

Publié le 5 mai 2003 Lecture : 5 minutes.

Saddam en Syrie, Saddam à Tikrit, Saddam à Bagdad, Saddam en Russie, Saddam dans le désert, Saddam au fond d’un tunnel secret, Saddam à la moustache rasée, Saddam déguisé en femme, en bédouin, en jardinier, en fellah, mais aussi Saddam mort, émietté, à l’ADN à jamais indéchiffrable… Mille et une histoires alimentent désormais le mystère : où sont-ils, lui, ses fils et ses principaux collaborateurs, un mois ou presque après l’effondrement du régime irakien ? Pour le président américain George W. Bush, interrogé le 24 avril sur la chaîne NBC, Saddam Hussein « pourrait être mort » depuis le 19 mars, veille de l’offensive, lorsque deux bombardiers furtifs et une vingtaine de missiles de croisière ont réduit en cendres le complexe des fermes de Dora, au sud de Bagdad. « Les renseignements concernant sa présence à cet endroit étaient extrêmement précis et, selon l’agent au sol qui a aidé à diriger les frappes, Saddam s’en est sorti au minimum grièvement blessé », ajoute Bush. Assez curieusement, le président ne fait aucune référence au second raid aérien destiné à tuer le raïs irakien, celui du 7 avril, lorsque deux bombes d’une tonne chacune ont écrasé un pâté de maisons dans le quartier d’Al-Mansour, pulvérisant au passage quatorze civils. « Je pense que nous l’avons eu, ajoute-t-il. Je dis simplement que je le pense, car nous ne souhaitons pas nous retrouver dans une situation où, après que nous avons crié victoire, Saddam réapparaît brusquement. Bien que, toujours selon notre témoin, il ne soit plus en mesure de réapparaître où que ce soit. »
S’agit-il, pour les Américains, de préparer l’opinion à une situation de type Ben Laden, où la chasse à l’homme s’éternise, puis se banalise au fil des mois ? Trouvent-ils, dans le fond, leur intérêt dans la persistance d’un climat de doute permanent « justifiant » leur présence et leur pression régionales à long terme ? Karl Rove, le « monsieur Élections » de George W. Bush, l’a-t-il convaincu de l’utilité de maintenir cette tension jusqu’à la présidentielle de 2004 ? La prudence ambiguë des responsables de Washington, dès que cette affaire est abordée, ne manque pas de soulever ces questions, tout comme le peu d’ardeur mis par l’état-major sur place à traquer les principaux chefs du régime déchu. Une bonne moitié, parmi les figures du fameux jeu de cartes, désormais aux mains des forces d’occupation, est ainsi constituée de personnalités qui se sont rendues d’elles-mêmes (Tarek Aziz et Amin Saadi par exemple) ou ont été arrêtées soit par les miliciens d’Ahmed Chalabi, soit par les peshmergas kurdes. À plusieurs reprises, les hommes des « Free Iraqi Forces » du même Chalabi – plus harkis que résistants, en tout cas supplétifs des G.I’s – se sont d’ailleurs plaints du manque de volonté de leurs commanditaires à exploiter les renseignements qu’ils leur ont fournis. Tout récemment, le New York Times racontait comment une opération des forces spéciales américaines, fondée sur des indications très précises fournies par un officier de l’armée irakienne, persuadé d’avoir localisé Saddam et son fils Qoussaï, avait été annulée in extremis et sans explications par l’état-major.
Pourtant, deux sources relativement proches du dictateur renversé – les plus proches en tout cas parmi les dignitaires détenus – continuent d’affirmer que Saddam Hussein a survécu aux bombardements. Tarek Aziz, qui assure l’avoir rencontré après le 19 mars, et Jamal Mustapha, beau-fils de Saddam (il est l’époux de sa fille cadette Hala) et membre de son cabinet. Certes, ni l’un ni l’autre ne sont en mesure de confirmer la réalité de sa dernière apparition publique, le 9 avril dans le quartier sunnite d’Al-Adhamiya, en compagnie de Qoussaï et de son secrétaire particulier Abed Hamid Mahmoud, trois heures avant l’arrivée des chars américains sur la place Al-Ferdaous, au centre de Bagdad. Mais la plupart des témoins sont formels : il s’agissait bien de lui et non pas d’un sosie. Interrogé à ce sujet le 24 avril, George W. Bush s’abrite prudemment derrière Condoleezza Rice, laquelle cite le patron de la CIA George Tenet, qui s’en réfère à ses experts, lesquels « n’imaginent pas que ce type ait pu ainsi se balader dans un quartier de Bagdad, le jour où sa statue allait être renversée ». Bref, les Américains reconnaissent qu’ils n’en savent rien, à moins qu’ils ne puissent rien savoir, à moins qu’ils ne veuillent rien savoir, à moins qu’ils sachent et le cachent. Saddam : mort ou vif ?
Considérée comme sûre par la majorité des Irakiens – ce qui ne signifie en rien, bien sûr, que cette certitude soit la bienvenue à leurs yeux -, l’hypothèse de la survie de l’ex-raïs n’a pu que se renforcer après la publication, le 30 avril, par le quotidien arabe de Londres Al-Qods Al-Arabi, réputé pour son sérieux, d’un message manuscrit attribué à Saddam Hussein. Annoncé la veille par un communiqué émanant d’une mystérieuse organisation, « Résistance et libération irakiennes », ce message apparemment signé de la main de son auteur se veut un appel à la lutte armée contre « les nouveaux Mongols » : « Ils ne vous ont vaincus que par la trahison ; ce n’est pas une victoire, tant que votre résistance durera […] ô fils de notre grand peuple, soulevez-vous contre l’occupant, n’ayez aucune confiance en ceux qui vous parlent parmi les sunnites et les chiites. Les traîtres et les valets se sont arrogé le droit de déclarer ouvertement leur traîtrise bien qu’elle soit une honte. […] L’Irak vaincra et avec lui les fils de la nation et les gens d’honneur. Nous récupérerons les pièces archéologiques qu’ils nous ont volées. Nous reconstruirons l’Irak qu’ils veulent morceler. » Ce texte présumé de Saddam Hussein n’oublie évidemment pas de s’en prendre aux États voisins, antienne favorite du raïs depuis des lustres : « Je vous dis que tous les pays qui vous entourent sont opposés à votre résistance. »
Force est de reconnaître dans le fond que, sur ce dernier point, Saddam – s’il s’agit bien de lui – n’a pas tort. Au cours de son entretien avec NBC, George W. Bush a été, en effet, on ne peut plus explicite à propos de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et de la Jordanie : « La chose importante à propos de ces pays, c’est qu’ils nous ont fourni l’aide que nous leur avions demandée. […] Nous avons demandé et ils ont donné. » Quant à la Syrie, les mises en garde martelées à Washington ont, semble-t-il, porté leurs fruits, si l’on en croit toujours George W. Bush : « Oui, les Syriens répondent maintenant. Ils font un meilleur travail. Leurs frontières paraissent plus étanches. Nous leur communiquons les noms des gens qui se sont enfuis de chez eux, et ils semblent devenus coopératifs. »
Le nouvel ordre américain au Moyen-Orient fait peur, au point que Damas, dit-on, aurait réexpédié vers l’Irak – sans toutefois les livrer directement aux forces d’occupation – la première épouse de Saddam Hussein et ses trois filles, Rana, Raghid et Hala. Détenu dans une petite cellule de l’aéroport international de Bagdad, le mari de cette dernière, Jamal Mustapha, ancien garde du corps de Saddam devenu « ministre des Affaires tribales » par la grâce du maître déchu, demeure encore persuadé que le phénix de Tikrit s’apprête à renaître de ses cendres. Sans doute existe-t-il aussi, dans les cages de Guantánamo, quelque sectateur d’el-Qaïda rêvant du même destin pour Oussama Ben Laden…

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