La guerre n’est pas finie

Publié le 5 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Le lundi 28 avril, à Fallouja, à 48 km à l’ouest de Bagdad, un détachement américain a ouvert le feu sur des manifestants irakiens. Bilan : quinze morts, dont des enfants, et soixante-quinze blessés. Que le IIIe régiment de cavalerie blindée ait été l’objet d’un tir venant d’hommes armés disséminés dans la foule, comme l’a assuré son chef, le capitaine Mike Riedmuller, ou qu’il se soit senti menacé, peu importe : l’implacable cycle occupation-résistance-répression, dont on avait déjà vu d’autres signes, est en marche.
C’est aussi une nouvelle preuve de l’erreur d’appréciation – fût-elle la seule – que les responsables américains ont commise dans leurs préparatifs de guerre quant à l’état d’esprit des Irakiens. Ils avaient prévu le soutien de la communauté kurde, y compris dans ses quartiers de Bagdad, et un accueil favorable, voire enthousiaste, de la communauté chiite, depuis la frontière du Koweït jusqu’à Bagdad. Mais, comme on l’a vu, l’action de retardement menée dans les villes du Sud a obligé le commandement américain à les contourner pour ne pas ralentir la marche de ses forces sur la capitale irakienne et à laisser derrière elles les effectifs nécessaires à la protection de leurs voies de communication, de sorte qu’approchant par le Sud elles étaient probablement insuffisantes pour l’encerclement de la ville sans les renforts venus du Nord, la Turquie s’étant opposée à leur passage sur son territoire.
Le président Bush, voulant que la guerre s’achève au plus tôt, a donc ordonné l’emploi de moyens massifs par l’aviation – qui a fait 30 000 sorties en vingt-trois jours de guerre et largué 24 000 bombes de 250 à 500 kg et 800 missiles de croisière – et, surtout, par les forces blindées, qui ont pénétré dans Bagdad en écrasant sous leurs tirs les débuts de guérilla urbaine, quitte à provoquer des pertes humaines et des destructions considérables, aggravant celles déjà dues à deux semaines entières de bombardements. Il n’y a naturellement pas d’autre raison à la dispersion dans la population et à travers le territoire des unités chargées de la résistance, comme en témoigne le fait que les troupes américaines n’ont fait à peu près aucun prisonnier.
Les responsables américains ont eu raison de croire que l’hostilité envers le régime du président Saddam Hussein était assez générale, tout en envisageant des réactions différentes de la part des diverses communautés du pays. Mais, tout simplement, ils n’ont pas voulu admettre que chez beaucoup d’Irakiens, et probablement chez la très grande majorité d’entre eux, c’est le sentiment national, le patriotisme, le rejet de l’invasion étrangère, avec son lot de destructions et de très lourds sacrifices en vies humaines, qui prévaudraient. Les événements l’ont montré : il n’y a pas eu de liesse générale à l’arrivée des troupes américaines, la résistance s’est longtemps poursuivie – les Britanniques ont mis quinze jours à prendre Bassora – et, aussitôt après la prise de Bagdad, les manifestations antiaméricaines ont commencé.
Un ultime démenti est ainsi apporté aux dernières affirmations de la propagande destinée à justifier la guerre. On a soutenu que le régime irakien était lié au groupe el-Qaïda : on n’a jamais pu le prouver. On a dit que l’Irak, suivant la formule du président Bush, était « un danger pour la région, pour ses voisins et pour le monde » : l’armée irakienne s’est révélée hors d’état de mener une lutte prolongée. On a fait état de l’existence d’armes de destruction massive : on n’en a trouvé nulle part, et si, plus tard, on en voit quelques traces, leur « découverte » n’aura aucune crédibilité. On a prétendu que l’objectif était l’établissement d’une démocratie : on constate aujourd’hui que la seule perspective est celle d’un « pouvoir chiite », dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne répondrait probablement à aucune exigence de liberté. On a dit, enfin, que l’occupation du pays ne devait pas durer : il est déjà clair que les militaires américains se sont durablement installés au Nord-Est pour éviter une intervention de l’armée turque contre les milices kurdes, pour occuper les champs de pétrole dont l’exploitation doit payer les firmes américaines chargées de la reconstruction – et peut-être aussi une partie des frais de la guerre – et pour prévenir une résistance plus active. De même se sont-ils installés à la frontière orientale pour faire échec à l’intervention de l’Iran en faveur des organisations politiques de la communauté chiite.
Au total, l’Amérique a gagné une bataille qu’elle ne pouvait pas perdre, mais elle n’a pas encore gagné la guerre puisque, de toute évidence, celle-ci n’est pas finie.

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