Lagos, la magicienne de la cote ouest

Le regard luisant des gamins fait peur. Il n’est pourtant pas agressif, simplement curieux, voire intéressé…

Publié le 6 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Lagos est une ville formidable, une ville où tout est possible, une ville qui ne dort jamais. Par certains côtés, elle me fait penser à l’ancienne New York, celle des tapineuses de Time Square, des rues défoncées aux trottoirs qui fument et des taxis pourris. D’ailleurs, les taxis de Lagos sont jaunes, comme en Amérique, et il y en a des milliers, pour répondre aux besoins incessants d’une population hyperactive. Que font-ils, où vont-ils ? Tout le monde a toujours son petit business en cours.
Voilà pourquoi, de jour, la ville trépigne d’impatience. Rien ne va jamais assez vite. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant, vu la pagaille incroyable qui règne partout. Comme le téléphone fonctionne mal, que la poste est inexistante, dès que l’on a quelque chose d’important à se dire, il faut se déplacer. Donc les gens marchent (un peu), prennent les transports en commun (quand il y en a) ou la voiture. Dans les gigantesques embouteillages, bien nommés go-slow, « va-lentement », on peut rester une heure sans bouger, avec le curieux sentiment de partager sa banquette avec les gens d’à côté, tant les voitures sont serrées. La nuit, seuls palpitent encore les quartiers pauvres, le fascinant Oshodi, avec ses maisons de carton et de chiffon où habitent près d’un million de personnes. Rien que sous le pont de l’autoroute vivent des milliers de malheureux, pelotonnés sous des sacs de jute raides de crasse. Le regard luisant des gamins fait peur. Il n’est pourtant pas agressif, simplement curieux, voire intéressé par le gonflement des billets dans la poche du passant. Mais à Ikoyi ou sur « Vi-aï », façon branchée de désigner l’île chic de Victoria Island, la peur s’installe avec le coucher du soleil. Les nantis craignent les attaques. Ils ont raison, car elles sont fréquentes et menées manu militari, comme des opérations commandos. Les bandits assassinent, souvent violent, toujours volent. Inutile d’appeler à l’aide, ni un voisin ni même la police ne se déplaceront. Trop risqué.
En revanche, un florissant commerce s’est développé autour de ce phénomène. On trouve à Lagos les plus jolis portails blindés de toute la sous-région. Il s’en vend jusqu’à Dakar, et les fonderies et les usines tournent à plein. Enchantés sont les fabricants de systèmes électroniques de surveillance, de détecteurs de mouvements, de tous les gadgets de domotique astucieusement copiés sur les Japonais. Quant au job de gardien, veilleur de nuit, garde du corps ou chauffeur, c’est un vrai filon.
Lagos m’a fascinée par son côté industrieux. C’est vrai que les rues sont des successions de fondrières, qu’il n’y a pas d’eau potable, que l’électricité est aléatoire et qu’il faut faire la queue trois jours pour un plein d’essence, mais les gens tirent profit de tout. Il y a un nombre incroyable de voitures et de bus, des dizaines de sociétés de transport d’eau douce, des usines de générateurs et de groupes électrogènes qui emploient des milliers de personnes, et des gens qui se font un argent fou en revendant de l’essence de contrebande sur le bord des routes, voire directement aux stations-service.
Lagos est magique. Le soir de mon arrivée, j’ai passé quatre heures dans un go-slow. La nuit était si noire que je n’avais même pas remarqué avoir roulé sur Third Mainland Bridge, « le pont le plus long du monde », une autoroute sur pilotis d’une vingtaine de kilomètres qui relie la grande terre à l’île d’Ikoyi. Naïvement, je supposais que l’orage de fin du monde que nous subissions était la cause de l’embouteillage. Eh bien non. En fait, un conducteur égaré par la nuit et la pluie avait pris l’autoroute à contresens, suivi par des dizaines puis des centaines d’autres. Aveuglés et effrayés par les véhicules arrivant à pleine vitesse… dans le bon sens, incapables de faire demi-tour et dans l’impossibilité de franchir le muret central, ces voitures avaient stoppé net, de guingois sur la chaussée. Quelques heures plus tard, au petit jour, tout avait miraculeusement disparu. Obatalà, dieu yorouba créateur de la paix et de l’harmonie, avait réorganisé le monde, enlevé les voitures, réparé les pannes et, qui sait ? balancé les carcasses les plus moches dans la lagune.

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