L’adieu aux armes ?

Depuis la signature, le 17 mars, des « engagements croisés » entre le pouvoir et la rébellion, les redditions des combat tants Ninjas du « pasteur » Ntoumi se multiplient.

Publié le 5 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Il faut croire que même les plus endurcis se laissent gagner par la lassitude. Après des années passées dans les forêts du Pool, à vivre comme des bêtes traquées, à manger des racines et à se droguer à Dieu, les miliciens Ninjas du « pasteur » Ntoumi ont fini par saisir la main tendue des autorités de Brazza. Depuis la signature, le 17 mars, des « engagements croisés » entre le ministre d’État Isidore Mvouba, coordonnateur de l’action gouvernementale, et des représentants de la rébellion mandatés par Ntoumi, il ne se passe plus une semaine sans que des groupes de combattants n’opèrent de spectaculaires sorties de la forêt : 500 miliciens et leur chef, « Minkissi », spécialisé dans l’attaque des trains, ont ainsi refait surface, le 25 avril, à Mindouli, imités par quelque 800 autres à Missafou, le 28. À chaque fois, c’est la ministre du Commerce, Adélaïde Moundélé-Ngollo, elle-même originaire de la région du Pool, qui se charge de négocier les termes d’une reddition déguisée. « Il faut d’abord les convaincre de déposer les armes, c’est loin d’être évident, raconte un témoin de la rencontre de Missafou. Ce jour-là, l’ambiance était extrêmement tendue. Les commandos de l’escorte de la ministre, venus avec elle en hélicoptère, avaient le doigt sur la gâchette. En face, les Ninjas, avec leur arsenal hétéroclite de kalachnikovs, de fusils de chasse et de grenades, n’étaient pas moins nerveux. Souvent très jeunes, habillés en violet, la couleur de l’archange Michel, le patron des milices célestes qui, dans la mythologie biblique, ont terrassé le dragon, les Ninjas croient appartenir à l’armée de Dieu. Ils répondent en choeur « amen » ou « alléluia » pour dire oui. Et invoquent l’Apocalypse en préambule à chaque discussion. Le dialogue avec eux obéit à des subtilités qui échappent au commun des mortels. »
Le « pasteur » Frédéric Ntoumi était le seul chef rebelle à avoir refusé de quitter son fief de Vinza après les accords de paix de décembre 1999, dont il était pourtant signataire. Gourou exerçant un ascendant total sur ses fidèles, il a décidé de reprendre la lutte armée en mars 2002, sans jamais formuler de revendications politiques précises. Faisant régner la terreur dans le Pool, il a exposé les villageois qu’il n’avait pas enrôlés de force aux représailles de l’armée. De leur côté, les faucons qui ont quelque influence dans la hiérarchie militaire congolaise, et qui ont bien profité de la guerre, ne se sont pas privés de jeter de l’huile sur le feu. Les guérilleros, eux, ont multiplié incursions sanglantes et attaques de trains, privant la capitale d’approvisionnement en carburant.
« Les hommes de Ntoumi ont été maintenus dans l’ignorance, raconte un ministre qui les a côtoyés au moment de la signature des accords du 17 mars. Le « pasteur » leur a fait croire qu’ils allaient être massacrés s’ils sortaient de la forêt. Nous leur avions toujours répété qu’ils bénéficieraient de l’amnistie comme tous les ex-combattants, mais ils ne nous croyaient pas. C’est quand des petits groupes ont fini par sortir et constaté notre sincérité qu’un mouvement spontané s’est déclenché. Certains ont expliqué qu’ils voulaient simplement boire du coca ou manger du fromage, des denrées dont ils avaient oublié jusqu’au goût… »
Des initiatives individuelles, appuyées par le président Sassou Nguesso, puis relayées par le gouvernement, ont permis de débloquer la situation. Adélaïde Moundélé-Ngollo, ancienne directrice d’HydroCongo, nommée ministre en août 2002, a joué un rôle essentiel. « Maman Adélaïde » avait multiplié les contacts informels avec les commandants de la rébellion, et était la seule personnalité à bénéficier de la confiance des Ninjas. Animatrice de l’association Le Mbongui du Pool, elle a obtenu du président, le 18 novembre 2002, l’ouverture de couloirs humanitaires qui ont facilité la sortie des combattants. Ntoumi, dont le frère cadet, « docteur Gozardio », a directement négocié avec la ministre, a fini par se rallier au processus de paix. La trêve est depuis respectée.
Aujourd’hui, la réinsertion des Ninjas est à l’ordre du jour, mais elle risque d’être délicate, beaucoup n’ayant connu que la guerre. Les anciens militaires pourront réintégrer l’armée et être affectés dans le Pool. La Commission européenne, constatant l’avancée, a débloqué, fin mars, une enveloppe de 10 millions d’euros. Et Ntoumi lui-même envisage maintenant de refaire surface. Il pourrait rejoindre Vinza d’ici à la fin de la première semaine de mai, et, de là, négocier sa venue en hélicoptère dans la capitale. Où il devrait être reçu en audience par le chef de l’État, chose inimaginable il y a encore quelques mois.

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