Jean-Pierre Bemba : « La page de la lutte armée est tournée »

Publié le 5 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

Par Christophe Boisbouvier Chef du Mouvement de libération du Congo (MLC). Tour à tour homme d’affaires et chef rebelle, accusé par les uns d’être un ambitieux, salué par les autres comme un patriote, Jean-Pierre Bemba, 41 ans, est un personnage pour le moins controversé. Devenu respectable à la faveur des accords de paix de décembre dernier, le chef du Mouvement de libération du Congo (MLC) est, depuis le 24 avril, l’un des quatre vice-présidents chargés de conduire la transition démocratique en République démocratique du Congo. Un paradoxe quand on sait que les défenseurs des droits de l’homme multiplient les accusations à son endroit. Après six ans d’absence, son retour à Kinshasa est imminent. Et depuis son fief de Gbadolite, l’ancien rebelle au verbe haut tient désormais un langage policé et annonce qu’il remise les armes au vestiaire.

J.A./L’INTELLIGENT : Ne craignez-vous pas d’être marginalisé par Joseph Kabila quand vous serez l’un de ses vice-présidents ?
JEAN-PIERRE BEMBA : Non. Il ne faut pas voir l’accord sur la transition en termes de pertes et de profits. J’espère que cette période de deux ans sera apaisante, non conflictuelle. J’assure le président et les trois autres futurs vice-présidents de ma sincère collaboration. Nous devons apprendre à nous connaître et à nous apprécier. Pour moi, la page de la lutte armée est tournée.

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JAI : Vous êtes accusé de graves violations des droits de l’homme, notamment dans la province de l’Ituri. N’allez-vous pas en payer le prix politique ?
Accusé ne veut pas dire coupable ! À propos de l’Ituri, il y a eu enquête, procès transparent et condamnations des officiers et hommes de troupe qui s’étaient mal comportés. Le MLC est le seul belligérant qui a sanctionné des auteurs d’exactions. Je ne voudrais pas porter de jugement sur les autres, notamment le RCD Goma et les Forces armées congolaises (FAC), mais j’attends toujours le procès de ceux qui ont exterminé les Hutus à Tingi Tingi et à Mbandaka en 1997, et de ceux qui ont massacré des civils dans l’Équateur, à Zongo et à Libenge, en 1999. Il y a deux poids, deux mesures. On cherche à me diaboliser, mais le peuple congolais n’est pas dupe. Il sait qu’on ne jette des pierres que sur les arbres qui portent des fruits.

JAI : Pourquoi avez-vous perdu la bataille de Bangui ?
Je ne l’ai pas perdue ! Les troupes tchadiennes qui ont porté François Bozizé au pouvoir en Centrafrique ont simplement profité du retrait de mes combattants. Jusqu’à la fin février, j’avais 1 500 hommes sur place. Et ils n’ont jamais été défaits. Ils ont même donné une raclée aux Tchadiens à la mi-février. Mais, en mars, pour me conformer à la nouvelle Constitution de mon pays, qui confie la gestion de toutes les forces congolaises à un Conseil supérieur de la défense, j’ai rappelé mes hommes. Le 14 mars, ils n’étaient plus que 250 sur le territoire centrafricain, prêts eux-mêmes à décrocher. Et c’est à ce moment-là que les Tchadiens les ont lâchement attaqués en tirant quelques obus. Ne me parlez pas de victoire militaire tchadienne !

JAI : Ne vous êtes-vous pas aussi retiré de Centrafrique par lassitude à l’égard d’Ange-Félix Patassé ?
JPB : Je ne peux pas parler de lassitude. Certes, le président Patassé a commis des erreurs politiques. En décembre 2002, je lui ai conseillé d’amnistier ses opposants et de se réconcilier avec l’ancien président André Kolingba, dont j’avais organisé l’exfiltration pour raison humanitaire après le coup d’État manqué de mai 2001. Kolingba était d’accord. Malheureusement, le président ne m’a pas entendu. Mais je suis très attaché à lui, et je l’ai aidé jusqu’au bout. Simplement, je ne pouvais plus aller au-delà sans risquer de compromettre les accords que je venais de signer pour la paix au Congo.

JAI : Avez-vous eu un contact avec François Bozizé depuis son arrivée au pouvoir à Bangui ?
JPB : Non. Mais je souhaite une normalisation des relations entre le MLC et la Centrafrique. Je me suis demandé un moment si les nouvelles autorités de Bangui ne voulaient pas organiser une coalition anti-MLC. Mais aujourd’hui, mes doutes se sont dissipés. Je salue la volonté de réconciliation qui anime le président Bozizé. Nous partageons 1 200 km de frontière commune et nous devons avoir des rapports de bon voisinage. Le MLC encourage la reprise du trafic commercial transfrontalier.

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JAI : Comment faites-vous pour vous ravitailler, en carburant notamment, depuis que vous avez perdu la base arrière de Bangui ?
JPB : Nous achetons le carburant ailleurs, par exemple en Ouganda où il est trois fois moins cher qu’en Centrafrique. Nous ne sommes donc pas perdants. Et nous constituons des stocks plus importants. Comme vous l’avez remarqué, notre frontière avec la Centrafrique est coupée depuis un mois et demi, et cela ne nous empêche pas de vivre !

JAI : N’êtes-vous pas de plus en plus isolé diplomatiquement ?
JPB : Pas du tout. Le MLC est reconnu par l’ONU et l’Union africaine. Nous avons des rapports très étroits avec l’Ouganda depuis plus de quatre ans. Et nous avons dans la région d’autres alliés que je ne citerai pas pour ne gêner personne.

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JAI : Chacun sait que le président congolais Denis Sassou Nguesso est pour vous un ami…
JPB : Plus qu’un ami, c’est un père.

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