Tierno Monénembo : « Alpha Condé est responsable de sa chute »

L’ACTUALITÉ VUE PAR… Chaque samedi, « Jeune Afrique » invite une personnalité à décrypter des sujets d’actualité. Venu à Paris présenter son nouveau roman , « Saharienne Indigo », le romancier guinéen s’inquiète des intentions de la junte au pouvoir dans son pays.

Tierno Monenembo à Paris lors d’une séance de dédicace. © Eric Fougere/Corbis via Getty Images

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Publié le 29 janvier 2022 Lecture : 6 minutes.

Depuis dix ans, le romancier Tierno Monénembo vit dans son pays, la Guinée, dont il observe les soubresauts politiques. Prix Renaudot pour Le roi de Kahel en 2008, auteur d’une quinzaine de romans salués par la critique (L’aîné des orphelins, Peuls, Le Terroriste noir…), il est aussi un commentateur écouté qui ne garde pas sa langue dans sa poche.

Alors qu’il vient de publier un nouveau livre, Saharienne indigo, portant sur les exactions commises sous Sékou Touré, notamment dans le fameux Camp B. de sinistre mémoire, Tierno Monénembo, que Jeune Afrique a rencontré à Paris mi-janvier, ne se gêne pas pour donner son avis sur les premiers pas de Mamadi Doumbouya au sommet du pouvoir. L’auteur affirme ne pas craindre pour sa vie, citant un proverbe ivoirien : « Cabri mort n’a pas peur de couteau ».

Même s’il n’a pas été tendre avec ses opposants, je souhaite qu’Alpha soit bien traité

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Jeune Afrique : Selon vous, le renversement d’Alpha Condé était-il inéluctable ?

Tierno Monénembo : Je pense que oui. Il a tout fait pour ça, il est responsable de sa propre chute. Son arrogance, son penchant incompréhensible pour la tyrannie ont conduit à cette situation. C’est un monsieur qui n’a rien compris à l’histoire, à son peuple, à son époque alors que l’on espérait qu’il soit un démocrate.

Il a longtemps été opposant, en exil. Comment passe-t-on de l’autre côté, selon vous ?

Est-il passé dans l’autre camp ou était-il déjà dans ce camp-là ? Je n’en sais rien. Je l’ai pourtant bien connu, en France, en 1974. À l’élection présidentielle de 2010, il n’a fait que 18 % au premier tour et il y a eu cinq à six mois avant le second. Pour moi, il a été élu parce qu’il était l’ami d’enfance d’un ministre français [Bernard Kouchner, alors aux Affaires étrangères]. Dans nos pays, c’est souvent la France qui vote.

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Comment réagissez vous à son départ pour les Émirats arabes unis, où il est parti le 17 janvier pour se faire soigner ?

Je souhaite qu’il soit bien traité et qu’il bénéficie de tous les soins dont il a besoin. La Guinée doit rompre avec le système inhumain que Sekou Touré nous a légué. Alpha Condé n’a pas été tendre avec ses opposants, qui ont été interdits de voyager ou d’avoir accès à des soins convenables dans des établissements sanitaires dignes de ce nom. « Même si tu deviens aveugle, tu ne sortiras pas de Guinée », avait-il dit au Dr. Oussou Fofana de l’UFDG [Union des forces démocratiques de Guinée] qui souffre d’un déficit visuel avancé. Mais inutile de rendre les coups de pied de l’âne ! La démocratie doit profiter à tout le monde, même aux ennemis de la démocratie.

J’ai complètement changé d’avis à propos de Mamadi Doumbouya parce qu’il a réhabilité Sekou Touré

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Lors de l’arrivée au pouvoir de Mamadi Doumbouya, vous étiez plutôt optimiste. Il semblerait que vous ayez changé d’avis…

J’ai complètement changé d’avis parce qu’il a réhabilité Sekou Touré. Il a donné le nom de ce tyran sanguinaire à l’aéroport de Conakry. Je ne peux pas l’accepter. Pourtant, je l’ai applaudi lors de son arrivée au pouvoir. Dans ses premiers discours, ses premiers actes, il allait dans le bon sens. C’est ainsi : je soutiens ce qui est bon, je critique ce qui est mauvais. Ce n’est pas du manichéisme, c’est de la lucidité.

Est-ce la seule de ses décisions qui vous ait énervé ?

Non c’est aussi le fait qu’il ait transféré la gestion des élections au ministère de l’Administration territoriale en supprimant la Commission nationale électorale indépendante (Ceni). C’est une mauvaise chose, car elle signifie que l’administration va dicter son choix à la place des électeurs.

Vous avez dit un jour que vous préfériez un coup d’État militaire à un coup d’État constitutionnel…

Oui, c’est plus honnête, c’est plus clair, c’est plus franc. C’est aussi plus barbare, mais je préfère que les choses soient claires. Un coup d’État avec une plume, c’est plus lâche qu’un coup d’État avec une mitraillette.

Je suis convaincu que mon pays va suivre le chemin du Mali

Que pensez-vous des sanctions imposées au Mali par la Cedeao ?

On ne comprend pas grand-chose à la Cedeao. Ce sont des gens ambigus, opportunistes, qui sont toujours au service des petits chefs du moment. Mais cela dit, sanctionner Assimi Goïta, qui veut s’octroyer une transition de cinq ans me paraît normal ! Une transition de cinq ans, ça n’existe pas. Cinq ans, c’est un mandat électoral. J’espère bien que la Cedeao fera la même chose en Guinée, car je suis convaincu que mon pays va suivre le chemin du Mali. Nos militaires vont faire exactement ce que sont en train de faire les militaires maliens, Mamadi Doumbouya veut créer une dynastie militaire.

Avez-vous un peu d’espoir ?

Oh la la ! En Guinée, l’espoir est une denrée bien plus rare que l’or ou le diamant. Il faut survivre, et la survie n’est pas basée sur l’espoir mais sur l’énergie de vivre coûte que coûte. L’espoir, c’est pour après. Nos enfants ou nos petits-enfants auront de l’espoir, mais pour nous ce n’est pas possible. Il nous a été arraché dès le début et il est très difficile de sortir d’une dictature, surtout quand elle est de type stalinien.

La Guinée a un peu copié l’Union soviétique et il faut du temps pour se débarrasser de ce modèle. La dictature, c’est une manière de penser, ce sont des êtres fabriqués pour. Elle crée ses propres commis, ses propres fonctionnaires, ses administrateurs. La Guinée est mentalement dictatoriale, l’État ne peut pas faire autrement que commander, exécuter, mentir, tuer.

Et le peuple ?

Le peuple est là, il se bat comme il peut, il n’a jamais rien gagné mais il se bat. Je ne connais pas de peuple qui se soit autant battu en Afrique. Il y a des morts tous les jours dans le pays, au moins une dizaine par jour, et ça n’empêche pas les Guinéens de sortir encore, de nouveau et de se battre. Ils gagneront. Il faut du temps, mais le peuple gagne toujours, à la fin.

J’espère que les partis de Cellou Dalein Diallo, de Sidya Touré et de Lansana Kouyaté vont se battre ensemble

Il faudra néanmoins s’alphabétiser et se politiser. L’assise de la dictature, c’est l’ignorance. Nos peuples sont peu alphabétisés, écrasés par plusieurs chapes – la tradition, l’islam… Il est très difficile de penser librement chez nous. La pensée, c’est celle du chef, du prêtre ou du marabout. Elle est toute faite : on la porte comme une camisole de force.

Le personnel politique et les partis peuvent-ils apporter du changement ?

Les partis sont là et je suis de leur côté car ils représentent l’opposition, même s’ils ne correspondent pas exactement à ce que je souhaiterais. Ils ne sont pas suffisamment organisés, pas suffisamment solidaires. Mais il faut bien qu’il y ait des formations politiques puisqu’elles représentent la courroie de transmission naturelle de l’expression populaire. On doit composer avec elles et travailler avec elles. J’espère que les partis de Cellou Dalein Diallo, de Sidya Touré et de Lansana Kouyaté vont s’améliorer et se battre ensemble. Ce n’est pas gagné mais on ne peut pas compter sur l’armée.

Vous écrivez déjà un nouveau roman ?

Oui, ce sera plutôt une espèce de satire sur les relations franco-africaines, un roman autour de la Françafrique.

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