« Dans vingt ans, le Botswana et le Malawi n’existeront plus… »

Pour Richard Feachem, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, seule une plus grande mobilisation des gouvernements permettra de venir à bout du VIH.

Publié le 6 mai 2003 Lecture : 7 minutes.

En juin 2001, lors de la réunion du G8 à Gênes, en Italie, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, entérine la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Une structure internationale indépendante des Nations unies, qui a pour mission de collecter des fonds pour lutter contre ces trois fléaux et les distribuer aux gouvernements pour financer des projets élaborés selon un cadre très strict. À sa tête depuis avril 2002, Richard Feachem, médecin britannique dont la carrière a souvent été orientée vers la santé tropicale. Le terrain, il connaît ; la malaria, le sida et la tuberculose aussi. Et, sous ses airs de gentleman, il ne mâche pas ses mots.

JEUNE AFRIQUE/L’INTELLIGENT : En janvier 2003, un vent de panique a soufflé sur le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Il n’y aurait plus d’argent dans les caisses…

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RICHARD FEACHEM : Le Fonds n’a plus d’argent, mais c’est à cause du spectaculaire succès qu’il a rencontré depuis sa création en juin 2001. Il a besoin d’un « refinancement ». La première année d’exercice, nous avons reçu des centaines de demandes de très haut niveau : 60 % ont été rejetées, 40 % acceptées. Cent soixante programmes dans 92 pays sont désormais soutenus.

JAI: De quelle somme avez-vous besoin ?

RF: Nous disposons de 3,4 milliards de dollars de promesses de dons, mais étalées jusqu’en 2008. Pour fonctionner, il nous faut 1,4 milliard additionnel cette année et 3,5 milliards en 2004.

JAI: Beaucoup de pays riches tentent de réduire ou de contenir leurs dépenses de santé, et l’économie mondiale tourne au ralenti. Bien que le budget ne soit pas le même que celui de l’aide au développement, ne pensez-vous pas que ces circonstances auront des incidences sur les dons ? Pourquoi donner pour la santé des autres si on diminue ses propres dépenses de santé ?

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RF: Nous devons choisir. Certes, il n’est jamais facile de collecter d’importantes sommes d’argent. Mais il faut comprendre l’ampleur de l’épidémie de sida, particulièrement en Afrique subsaharienne, et surtout au Mozambique, au Malawi, en Zambie, au Swaziland, au Botswana et en Afrique du Sud. Ce n’est pas une maladie parmi d’autres, un simple problème de santé publique. Cette épidémie est dévastatrice. Si nous n’agissons pas maintenant, le Malawi, le Swaziland et le Botswana n’existeront plus dans vingt ans.
Bien sûr, l’économie mondiale est en panne, mais il y a des priorités. La guerre en Irak a coûté 100 milliards de dollars. Les dépenses de santé publiques des pays riches sont énormes. En France, elles représentent 10 % du PIB. Le Fonds mondial ne demande que quelques petits milliards d’euros pour combattre la plus grande épidémie – qui n’en est qu’à ses prémices – jamais affrontée dans l’histoire de l’humanité. En Afrique australe, cela va devenir bien pire. Les infrastructures sanitaires et le système éducatif s’écroulent. En Zambie, le sida tue deux instituteurs pour un nouvellement formé. Il y a des millions d’orphelins séropositifs, mais aussi séronégatifs. Ils n’ont pas de parents, pas d’enseignants. Ils vont devenir des millions d’adolescents, puis des millions de jeunes adultes. Que vont-ils faire de leur vie ?
L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale vont connaître la même évolution. L’Éthiopie également. Et aussi l’Inde, la Chine. L’Inde est déjà le pays comptant le plus grand nombre de séropositifs. Un nombre qui croît à une vitesse phénoménale. À la lumière de tout cela, les milliards du Fonds représentent-ils beaucoup d’argent ? Non.

JAI: Ne croyez-vous pas que le Fonds mondial devrait être le seul organisme donateur ?

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RF: Le Fonds doit devenir le principal fournisseur d’argent pour lutter contre l’épidémie. Mais pas le seul. D’autres actions doivent être menées en parallèle, qui se détermineront en fonction de ce que nous ne pouvons pas faire. Nous donnons de l’argent, mais rien d’autre.

Pourtant, vous financez aussi des programmes de formation de personnel médical et de mise en place d’infrastructures ?

RF: Oui, mais nous ne faisons que financer. Pour certains pays relativement développés, comme l’Afrique du Sud, l’argent peut suffire. Mais pour le Malawi, le Burkina Faso, le Niger, il y a d’autres besoins. Qui peuvent être satisfaits par l’aide bilatérale ou par des ONG. Ne conserver que le Fonds mondial serait une mauvaise idée. D’autant qu’à travers la coopération bilatérale s’établissent souvent des relations de confiance, qui facilitent le travail.

JAI: Ne faudrait-il pas mettre en place un système de cotisation obligatoire pour garantir le financement du Fonds ?

RF: La majorité de l’argent vient des pays riches, sur la base d’un don. Le 16 juillet prochain, à Paris, se tiendra une réunion sur le système de financement. Doit-on conserver cette formule, qui permet à un pays d’être très généreux et à d’autres de ne rien donner, ou le modifier en un mécanisme imposé, mais garanti ? La communauté internationale ne s’accorde pas sur cette question.
On parlera aussi des donateurs privés. Ils représentent une faible part du budget, mais en augmentation. Les entreprises peuvent faire encore plus, via des contributions indirectes. Par exemple, à chaque fois que vous utilisez votre carte Visa ou Mastercard, les banques pourraient fournir une contribution à la lutte contre le sida. Imaginez que, lorsque vous payez votre facture d’eau ou d’électricité, un tout petit pourcentage soit reversé au Fonds : on obtiendrait d’énormes subventions. En Angleterre, ce système s’applique pour l’eau. Chaque facture payée entraîne le versement d’une part infime en faveur de l’assainissement dans les pays en développement. Enfin, si une taxe minuscule, de 0,00001 %, était prélevée sur chaque mouvement boursier sur tous les marchés de la planète… Ces idées ne sont pas utopiques, elles doivent être considérées afin de financer la lutte contre ces trois fléaux. Tout le monde doit se mettre en tête que la lutte contre le sida est la Troisième Guerre mondiale.

JAI: Le Fonds est perçu comme une institution ne travaillant que sur le sida, mais il y a également le paludisme, un gros problème sur le continent africain.

RF: Un énorme même ! C’est, et de loin, le plus grand tueur d’enfants en Afrique. Il y a une quinzaine de pays africains qui, si rien n’est fait, vont subir de plein fouet l’impact du paludisme dans quelques années. Pourtant, nous savons comment diminuer sa prévalence, nous avons le savoir et la technique.

JAI: Mais quand les gouvernements africains changent leur protocole thérapeutique, ils n’optent pas pour l’artémisinine, médicament pourtant reconnu pour son efficacité. Ils la disent trop chère.

RF: Le Fonds mondial existe pour rendre accessibles les antirétroviraux (ARV), mais aussi pour permettre de se procurer des traitements efficaces contre la tuberculose et contre le paludisme. Petit à petit, les États devraient adopter l’artémisinine. Évidemment, elle est chère, mais plus les gouvernements la choisiront, plus les prix baisseront ! Toutefois, il faut une volonté politique sans faille. Et beaucoup de dirigeants africains ne sont pas assez énergiques dans la lutte contre le paludisme.

JAI: Les demandes venant d’Afrique sont-elles essentiellement destinées à lutter contre le VIH ?

RF: Oui, à 60 %. Car, comme vous le rappeliez, le Fonds a été initialement perçu comme une institution luttant contre le sida. Mais les gens commencent à savoir que nous combattons également le paludisme et la tuberculose. La proportion de projets sur ces deux maladies devrait donc augmenter.

JAI: Contre le sida, privilégiez-vous la prévention ou les traitements ?

RF: Pour la direction du Fonds mondial, la prévention ne va pas sans traitement, et vice versa. C’est aux pays de choisir leurs priorités. En Afrique australe, les deux doivent être financés à part égale. En Inde, la prévention a encore un rôle très important à jouer. Nous investissons dans tout ce qui est nécessaire. Donc également dans la formation et les infrastructures. Cela sera-t-il rapide ? Non. Simple ? Non plus. Mais c’est le début. La promesse du Fonds, c’est justement de permettre aux pays de commencer. Si la Zambie entame sa lutte en distribuant des ARV en zone urbaine, est-ce juste pour la population rurale ? Non. Mais il faut bien commencer quelque part ! Aux États-Unis, le schéma fut le même. La communauté gay de San Francisco a eu très vite des ARV. Le petit village du Nebraska, non.

JAI: L’Afrique est-elle la principale bénéficiaire du Fonds mondial ?

RF: Oui, 60 % des dons sont destinés au financement de projets émanant de pays africains.

JAI: Comment voyez-vous l’avenir du continent ?

RF: On peut vaincre le paludisme. Pour le sida, je suis très pessimiste. Si nous continuons à faire aussi peu de choses, le VIH tuera l’Afrique. Mais à travers le Fonds mondial et grâce à une plus grande mobilisation des gouvernements, nous verrons que des programmes d’envergure de prévention, comme en Ouganda, et de traitement pourront fonctionner. Avec l’apparition des ARV, les gens osent se faire diagnostiquer et la stigmatisation diminue. Si nous faisons tout cela à grande échelle et si nous continuons à investir dans la recherche, alors le futur pourra être différent.

JAI: Vous allez avoir besoin de beaucoup d’argent…

RF: Comparé à quoi ? À une guerre ?

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