Comment promouvoir le don d’organes ?
Les familles s’opposant souvent aux prélèvements sur des patients décédés, le nombre de malades en attente de greffe reste élevé.
La transplantation d’organes est devenue un geste presque banal en Tunisie. Depuis 1948, date de la première greffe de cornée, réalisée par le professeur Hédi Raïes, et plus encore depuis 1986, année où les professeurs Saadoun Zmerli et Hassouna Ben Ayed effectuèrent la première transplantation rénale, les opérations de ce type, facilitées par la coopération médicale avec l’Établissement français des greffes, se sont multipliées. Intervenant à l’occasion d’une soirée-débat organisée à Paris le 7 avril par l’ambassade de Tunisie en France, le professeur Mohamed Gueddiche, président de l’Association tunisienne du don d’organes, éminent cardiologue et médecin personnel du président Zine el-Abidine Ben Ali, s’est plu à le rappeler : « Avec 2 883 greffes de cornées, 443 greffes de reins, 213 greffes de moelle osseuse, 14 greffes cardiaques et 8 greffes de foies, le bilan est encourageant. Mais le nombre de malades en attente de greffe reste important. Les réticences des Tunisiens au sujet du don d’organes posent un vrai problème de santé publique. »
La collecte d’organes reste une entreprise difficile, et malgré des campagnes de promotion répétées, les résultats sont largement en deçà des attentes. En 2002, 135 morts cérébrales ont été constatées dans les hôpitaux tunisiens. Et seuls 11 prélèvements ont pu être effectués. Or, explique un médecin, « il est largement préférable de prélever des tissus sur des cadavres. Dans certains cas, à condition que la personne soit apparentée et en bonne santé, on peut prélever sur un rein ou une partie du foie d’un donneur vivant, mais il ne s’agit que d’un pis-aller, qui comporte des risques. Pour un coeur ou une cornée, c’est évidemment impossible. Il faut donc développer le don d’organes à partir de patients décédés. Près de 2 500 dialysés sont en attente de reins. »
La loi tunisienne s’est attachée, dès 1991, à encourager le don d’organes. Pour ce qui est des personnes vivantes, elle ne pose pas de restrictions significatives. S’agissant d’un prélèvement post mortem, elle s’en est d’abord tenue à la solution du consentement présumé. En gros, un prélèvement est possible si, de son vivant, le patient n’y a pas fait connaître son opposition, et à condition que les membres de la famille ne s’y opposent pas non plus.
En théorie, les médecins, s’ils envisagent un prélèvement, doivent en informer les proches du défunt et solliciter leur accord. En réalité, confesse un soignant, « les médecins ne s’acquittent pas toujours de cette « formalité », car ils savent que dans 99 % des cas les proches diront non. Ils peuvent essayer de ruser. Mais les familles sont bien au fait de la législation, et, quand bien même elles ne le sont pas, les personnels de l’hôpital se chargent de les avertir. Très souvent donc, les proches expriment spontanément leur refus. »
L’attitude des familles s’explique en partie par des facteurs comme la superstition ou les a priori religieux. Pourtant, l’islam est favorable au don, considéré comme « une action de bienfaisance ». Le mufti de la République, le plus haut dignitaire religieux du pays, intervenant en duplex depuis Tunis, lors de la soirée-débat du 7 avril, a d’ailleurs saisi l’occasion pour lever toute équivoque à ce sujet.
Mais les refus s’expliquent aussi – et surtout – par l’état d’impréparation des familles. Déjà sous le coup de l’annonce brutale du décès d’un fils ou d’un parent, elles ont beaucoup de mal à ne pas vivre comme un traumatisme supplémentaire l’éventualité d’une mutilation de la dépouille.
La promotion du don d’organes passe donc par un renforcement des actions de sensibilisation en direction du grand public, via des émissions radiophoniques ou télévisées. Des efforts ont été entrepris pour obtenir le consentement explicite des donneurs potentiels, le seul qui puisse faire obstacle à une opposition de la famille. Depuis 1999, les Tunisiens qui le souhaitent ont la possibilité de faire figurer la qualité de donneur d’organes sur leur carte d’identité nationale.
Autre volet, tout aussi indispensable, de l’action de promotion : l’amélioration de la prise en charge psychologique des familles dès l’admission d’un patient en unité de soins intensifs. Il faut pouvoir évoquer avec tact l’éventualité d’un prélèvement avant le décès du malade, au lieu de mettre les proches au pied du mur une fois que l’irréparable est survenu. C’est seulement à ces conditions que la collecte d’organes pourra, enfin, prendre son essor en Tunisie…
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