Au chevet des droits de l’homme

L’Organisation internationale de la Francophonie a débattu à Brazzaville des moyens de défendre les libertés fondamentales. Sur fond de calculs et d’arrière-pensées politiques

Publié le 5 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

Organisée à Brazzaville du 25 au 28 avril, la Conférence des structures gouvernementales chargées des droits de l’homme dans l’espace francophone a rassemblé près de quatre cents délégués d’une cinquantaine de pays. Dont une écrasante majorité d’officiels. Au centre des débats : la mise en oeuvre des engagements de la Déclaration de Bamako (novembre 2000). Comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) n’est pas dotée de mécanismes de surveillance et d’alerte, les recommandations de Bamako sont restées pour partie lettre morte. La conférence de Brazzaville va permettre de commencer à remédier à ce problème. Un comité ad hoc, présidé par le Congo, et composé du Maroc, du Burkina Faso, du Sénégal, de la France, du Liban et du Canada, a été créé. Il devra présenter un rapport au secrétaire général de la Francophonie, l’ancien président sénégalais Abdou Diouf. Il lui revient, partant de ces recommandations, d’instituer un comité permanent de suivi…
Par-delà des interventions officielles très policées, « langue de bois » et terriblement abstraites, la rencontre de Brazzaville témoigne de la volonté de la Francophonie politique de placer les droits de l’homme au centre de ses préoccupations. Il est vrai que le respect scrupuleux des droits de l’homme n’est pas – loin s’en faut – la caractéristique principale de la majorité des pays de la famille francophone. « Le thème est risqué, concède Christine Desouches, directrice de la Délégation des droits de l’homme de l’OIF, mais notre approche volontariste veut créer un électrochoc. » Reste que l’OIF est une organisation encore assez jeune et à l’autorité politique incertaine. Pour gagner en crédibilité dans le domaine des droits de l’homme, elle devra se départir de réflexes de prudence diplomatique et faire preuve du même volontarisme que son alter ego anglophone, le Commonwealth, qui n’a pas hésité à sanctionner les cancres de la classe (le Nigeria du général Sani Abacha ou le Zimbabwe du président Robert Mugabe). En prend-on véritablement le chemin ? Mystère. Il est sans doute trop tôt pour juger. Mais le président Diouf, si tant est qu’il veuille agir, bénéficiera d’une écoute et d’une influence nettement supérieures à celles de son prédécesseur, l’Égyptien Boutros-Boutros Ghali. Imposé par la France lors du sommet de Hanoi, en 1997, contre l’avis de la majorité des pays du continent, l’ancien secrétaire général des Nations unies n’avait jamais véritablement été accepté par les dirigeants africains. De lui, ils n’auraient pas supporté une quelconque ingérence dans « leurs affaires intérieures ».
Pourtant, parmi certains délégués et nombre d’observateurs, on notait un certain scepticisme. La conférence a fait la part trop belle aux structures gouvernementales et semi-gouvernementales. Les ONG du Sud, sous-représentées, n’ont guère pesé sur les débats. « Nous n’avons pas eu le temps matériel de dresser une liste satisfaisante des ONG nationales à inviter, se défend Christines Desouches. Qui inviter ? Sur quels critères ? Comment présumer de la représentativité de telle association nationale par rapport à telle autre ? Comme nous n’étions pas dotés d’une charte indiscutable, nous avons préféré ne pas improviser. Notre prochaine réunion sera l’occasion de mieux associer les ONG de l’espace francophone à nos travaux… » La présence des ONG aurait toutefois permis une intéressante confrontation des points de vue. « Ce n’était peut-être pas le but de cette conférence, note Mabassa Fall, le représentant permanent de la Fidh (Fédération internationale des droits de l’homme) auprès de l’Union africaine. Nous participons sans être dupes, pour prendre date. Mais tentons le pari et prenons la Francophonie politique au mot. Si elle ne veut pas dilapider le crédit qui lui reste, elle doit mieux réussir dans le domaine des droits de l’homme. »
La conférence de Brazzaville à aussi permis de sceller la réconciliation de deux « amis de trente ans », Abdou Diouf et le président congolais Denis Sassou Nguesso. L’élection, à Beyrouth, en octobre 2002, de l’ancien président du Sénégal au secrétariat général de l’Organisation internationale de la Francophonie avait provoqué amertume et irritation en Afrique centrale. Et d’abord au Congo, pays qui soutenait la candidature d’Henri Lopès, son ambassadeur à Paris. Il fallait donc recoller les morceaux. Prévue depuis un an, donc bien avant la brouille, la conférence de Brazzaville offrait l’occasion rêvée pour faire du passé table rase. L’hôte comme les invités s’y sont employés pendant les quatre jours qu’ont duré les travaux. Le secrétaire général de l’OIF, reçu avec tous les honneurs, s’est entretenu plusieurs fois en tête à tête avec Sassou. Au cours de la cérémonie d’ouverture, il a rendu un hommage appuyé au président congolais, « homme de paix et de progrès, panafricaniste convaincu ». Sassou Nguesso lui a rendu la pareille, et a aussi profité de son allocution pour annoncer solennellement l’engagement de son gouvernement à ratifier la convention de 1984 contre la torture et à parachever la ratification du traité instituant la Cour pénale internationale, créée à Rome en 1998. Cette double annonce n’a cependant pas suffi à dissiper le malaise perceptible chez certains conférenciers. « En venant à Brazzaville disserter sur les droits de l’homme, l’OIF décerne un brevet de démocratie à un régime à la réputation sulfureuse », résume, gêné, un délégué.
Hasard du calendrier, au moment même de la clôture des travaux, la Cour internationale de justice de La Haye examinait une requête congolaise visant à dessaisir les tribunaux français de l’affaire des « disparus du Beach ». Une instruction ouverte en France met en effet en cause de hauts responsables congolais dans ce dossier. Plus de trois cents anciens miliciens hostiles au pouvoir, qui avaient fui en RD Congo, auraient été sommairement exécutés à leur retour à Brazzaville en 1999. Une simple campagne qui ne repose sur rien de solide, une « prétendue affaire », se défendent les autorités. « Nous ne sommes pas à la recherche d’un quelconque brevet de démocratie. Les faits parlent pour nous… », précise Alain Akouala, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires