Voix arabes à prendre

À sept mois du scrutin présidentiel, l’électorat arabe-américain ne semble pas disposé à renouveler son soutien à George W. Bush.

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 4 minutes.

Il y a quatre ans, George W. Bush avait sorti le grand jeu pour séduire les Arabes-Américains : rencontres avec les responsables d’association, dénonciation des discriminations à leur égard. Jamais dans l’histoire électorale des États-Unis un candidat à la Maison Blanche ne s’était autant intéressé à cette communauté en pleine expansion, qui accueille chaque année quelque 25 000 immigrés supplémentaires. Résultat du lobbying de l’équipe Bush : les citoyens américains d’ascendance arabe s’étaient largement exprimés en faveur du républicain, contribuant ainsi à sa victoire.
Mais aujourd’hui, à sept mois du scrutin présidentiel, les Arabes-Américains ont reçu si peu de manifestations d’intérêt de la part et de l’actuel président et de son concurrent démocrate, John Kerry, qu’ils se considèrent comme les grands oubliés de la campagne électorale et pourraient bien tourner le dos à leur favori de 2000. Il faut dire que la politique de l’administration Bush au Moyen-Orient et la guerre en Irak ne sont pas ce qu’on pourrait appeler de bons arguments de vente vis-à-vis d’une communauté qui s’estime de plus en plus marginalisée par une Amérique sur la défensive depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Le candidat-président a donc perdu de son crédit parmi les 510 000 électeurs arabes-américains qu’on dénombre en Floride, au Michigan, dans l’Ohio et en Pennsylvanie, quatre États clés. Selon un sondage réalisé par Zogby International pour le compte de l’Arab American Institute, les Arabes-Américains de ces quatre États ne seraient plus que 27 % à vouloir offrir leurs voix à George W. Bush lors de la présidentielle de novembre, contre 46 % en 2000. Leurs suffrages se reporteraient majoritairement sur Kerry, pour lequel ils voteraient à 54 %. À condition que Ralph Nader, le candidat vert, ne se présente pas. Car l’empêcheur de tourner en rond, outsider déjà crédité de 7 % des voix au plan national, est fort apprécié des minorités. Son origine libanaise a également l’heur de plaire aux Arabes-Américains : ils seraient aujourd’hui 20 % à le soutenir, contre 13 % en 2000. Dans le cas où Nader quitterait la course à la Maison Blanche, en revanche, l’institut de sondage indique qu’environ 30 000 anciens supporteurs de Bush se tourneraient vers Kerry. Des voix qui pèseront lourd dans la balance.
Séduire cet électorat n’est pourtant pas chose aisée. La communauté arabe-américaine est très diverse aux États-Unis : certains immigrés sont présents depuis cinq générations, d’autres sont arrivés pendant la dernière décennie. Les premiers sont majoritairement chrétiens, souvent libanais, les seconds, musulmans. Selon le sondage de Zogby International, le vote de ces derniers est plus volatil en raison d’une forte proportion de nouveaux immigrants dans leurs rangs. Dans les quatre États concernés, ils représentent 25 % des électeurs arabes-américains et comptent parmi les adversaires les plus virulents de l’actuel locataire du Bureau ovale. S’ils ont préféré Bush à Gore en 2000 (58 % contre 22 %), cette année, la tendance s’est totalement inversée : 78 % d’entre eux voteraient en faveur de Kerry.
Pour les membres de la communauté qui soutiennent encore le clan Bush, il devient urgent que leur poulain réagisse. « La Maison Blanche doit absolument rencontrer les Arabes-Américains et leur expliquer son point de vue », a confié Khaled Saffuri, président de l’Islamic Free Market Institute, un conservateur proche de Bush, au Wall Street Journal. Mais Washington est placé face à un dilemme : qu’arriverait-il si Bush se liait avec une organisation qui se révélerait par la suite proche d’un groupe extrémiste ? Comment rassurer les électeurs arabes-américains sur la Palestine, sans se brouiller avec les conservateurs pro-Israéliens, qui représentent une frange importante de l’électorat républicain ?
Les Arabes-Américains sont conscients de ces enjeux, mais s’étonnent tout de même du peu d’intérêt qu’on leur témoigne, voire du délit de faciès « institué » par l’administration Bush et dont ils font les frais. Dans un spot publicitaire républicain attaquant l’attitude de Kerry sur la lutte contre le terrorisme, ils ont cru revivre les plus belles heures de la guerre froide. En lieu et place de l’homme au couteau ensanglanté entre les dents, un individu « basané » censé représenter le « Grand Satan ». Difficile d’accorder du crédit à une équipe qui monte la population contre soi. Surtout quand on a déjà des doutes sur la politique menée lors du premier mandat.
Les Arabes-Américains sondés par Zogby désapprouvent à 80 % la politique américaine en Israël et dénoncent à 72 % la guerre en Irak. Sans compter qu’ils sont nombreux à considérer que la lutte contre le terrorisme a fait d’eux des boucs émissaires.
Le mécontentement de la communauté arabe-américaine serait donc un atout pour John Kerry. À condition que celui-ci daigne ouvrir la porte déjà entrebâillée par la désaffection de Bush. Seulement voilà, le démocrate a voté en faveur du Patriot Act de 2001, que les Arabes dénoncent comme une violation de leurs droits et de leurs libertés. Sa position floue sur le conflit israélo-palestinien n’est pas non plus pour les rassurer. L’attirance des Arabes-Américains pour Ralph Nader s’explique d’ailleurs en partie par leur rancoeur à l’égard d’un candidat démocrate muré dans un silence assourdissant. Il suffirait pourtant à ce dernier de se tourner vers eux en les assurant de son soutien pour les gagner définitivement à sa cause. Et Kerry serait bien inspiré de placer ses premiers pions au plus vite, avant que Bush ne se décide à reconquérir un électorat minoritaire, certes, mais loin d’être négligeable au regard d’un scrutin qui s’annonce serré.

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