Un pont sur la Méditerranée

La collaboration entre Barzakh et L’Aube, petites maisons algérienne et française, s’est rapidement révélée fructueuse.

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Deux titres en coédition et une traduction : c’est une partie de la collaboration entre les éditions L’Aube et Barzakh présentée cette année au Salon du livre de Paris. Fondée en 1987 par Marion Hennebert et Jean Viard, à La Tour-d’Aigues, dans le Sud de la France, L’Aube a fait le pari d’éditer des textes réputés difficiles, écrits par des résistants politiques comme Vaclav Havel ou des écrivains comme le Chinois Gao Xingjian, méconnu jusqu’à sa consécration, en 2000, par le prix Nobel de littérature. Avec un catalogue d’un millier de titres, L’Aube publie aujourd’hui quelque quatre-vingt-dix livres par an. Comme son aînée hexagonale, Barzakh (« l’isthme ») est née, à Alger, d’un acte de foi : « Dans un pays qui n’en finissait pas de sortir de la guerre, on a fait le pari d’éditer autre chose que des livres de cuisine ou des pamphlets politiques », explique Sofiane Hadjadj, cofondateur, avec Selma Hellal, de cette maison d’édition. Avec un catalogue d’une cinquantaine de titres et un rythme annuel moyen de dix livres, Barzakh vit en équilibre précaire. Pas facile, en effet, de vendre des livres d’auteurs peu connus, à petit prix, sans diffusion organisée. En attendant le regroupement espéré de petits éditeurs pour créer un groupe de distribution, les fondateurs de Barzakh livrent eux-mêmes leurs ouvrages à des « amis » libraires, en camionnette, à travers tout le pays.
La rencontre entre L’Aube et Barzakh remonte à 2001, dans la capitale algérienne. De l’amitié entre les uns et les autres sont nés le désir de coopérer et une première collaboration : l’édition par Barzakh du livre Algérie, 1956 – Livre blanc sur la répression, de Robert et Denise Barrat, paru chez L’Aube en 2001. Pour la maison d’édition française, trois raisons justifient le pari sur la jeune entreprise algérienne. D’abord, aux côtés de la Chine et du Vietnam, l’Algérie fournit une grande part des auteurs de fiction de L’Aube. Ensuite, Sofiane Hadjadj et Selma Hellal « sont de vrais éditeurs, qui ont le goût des textes et du travail sérieux », explique Hugues Nancy, conseiller éditorial de L’Aube. Enfin, Marion Hennebert s’est peut-être reconnue, plus jeune, dans ces deux trentenaires « prêts à soulever des montagnes ». Elle aura eu raison : en quatre ans, Barzakh s’est imposée dans le paysage éditorial et culturel algérien.
La collaboration entre les deux maisons d’édition a revêtu diverses formes. Plusieurs ouvrages sont parus en coédition, comme Sous le jasmin la nuit, de Maïssa Bey. L’achat de droits a permis à L’Aube d’acquérir un petit recueil de Rachid Boudjedra, Cinq fragments du désert et Je fais comme fait dans la mer le nageur, de Sadek Aïssat, paru en 2002 en Algérie et en 2004 en France. Enfin, L’Archipel des mouches, de Bachir Mefti, paru en arabe chez Barzakh l’an dernier, est la première traduction réalisée grâce à L’Aube.
La diffusion d’auteurs arabophones devrait devenir un axe essentiel de la collaboration entre Barzakh et L’Aube, et, avec elle, la traduction, comme l’explique Hugues Nancy : « Barzakh est une des rares maisons d’édition algériennes à aller chercher des auteurs en arabe. Or, souvent, des textes fabuleux demeurent inaccessibles car ils sont écrits dans cette langue ». Et ce, paradoxalement, pas seulement en France. En théorie, l’arabisation de l’école entraînée par la réforme de l’éducation nationale, en 1976, aurait dû développer le lectorat arabophone. Mais le désengagement de l’État algérien, dans les années 1980 a vidé les rayonnages des librairies et des bibliothèques et augmenté le prix du livre, dans un pays déjà handicapé par l’absence d’enseignement de la littérature et le « sourd mépris témoigné vis-à-vis de la production locale », selon les termes de Selma Hellal. Résultat : « Le lectorat francophone, l’élite intellectuelle, bourgeoise, souvent des gens de plus de 40 ans, minoritaire en nombre, mais au pouvoir d’achat supérieur », peut continuer à acheter des livres, explique Sofiane Hadjadj. Pas les autres. Parfois, le meilleur moyen, sinon le seul, de donner vie à un texte arabophone est donc de le traduire en français – à l’intention du public francophone, en Algérie… et en France.

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