Sur la piste des « diamants du sang »
Comment s’assurer qu’une pierre commercialisée par un grand joaillier n’a pas servi à financer un conflit armé à l’autre bout du monde ?
D’où viennent les « diamants du sang » ? À en croire les déclarations des bijoutiers de Los Angeles, Miami, Washington et New York interrogés par les enquêteurs de l’ONG londonienne Global Witness, personne n’en sait rien. « Je n’en ai jamais entendu parler », soutient l’un. « Il n’y a aucun moyen de contrôler leur origine, ce n’est pas comme les montres Rolex, qui ont des numéros de série », renchérit un autre. « Nous les importons d’Israël, mais nous ignorons leur provenance exacte », confirme un troisième.
Global Witness, qui s’est assigné pour mission de dénoncer le lien existant entre l’exploitation des ressources naturelles, les guerres civiles et les violations des droits de l’homme dans le monde, a interrogé, au mois de janvier, les responsables de trente grandes entreprises américaines. Logique, puisque plus de la moitié des ventes de diamants au détail ont lieu aux États-Unis.
L’ONG a tenté de découvrir si les entreprises en question avaient pris des dispositions pour exclure du marché les « diamants du sang ». Son diagnostic est sévère, comme en témoigne le rapport rendu public le 30 mars, à l’occasion de la réunion du Conseil mondial du diamant, à Dubaï, dans les Émirats.
Le négoce d’une partie non négligeable de ces pierres, symbole de pureté et d’amour, a en effet servi à financer de meurtriers conflits en Angola, en Sierra Leone, au Liberia et en RD Congo.
En 2000, à la suite d’une campagne lancée par une coalition d’ONG (dont Global Witness), un accord a été conclu. Le « Processus de Kimberley » – c’est son nom – impose une certification d’origine pour tous les diamants bruts commercialisés dans le monde. Entré en vigueur en 2003, il a été à ce jour ratifié par une soixantaine de pays, parmi lesquels les principaux producteurs africains : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Centrafrique, RD Congo et Sierra Leone.
Les grandes enseignes de bijouterie se sont associées au Processus en s’engageant à mettre en place un système de traçabilité des pierres, « de la mine jusqu’au point de vente ». Le client aura ainsi la preuve que le diamant qu’il vient d’acheter n’a pas servi à financer une sanglante guerre civile à l’autre bout du monde. Pour coordonner les efforts d’autocontrôle de l’industrie, un Conseil mondial du diamant a été créé, à Anvers (Belgique), il y a quatre ans.
Selon Global Witness, le bilan de cette organisation patronale est catastrophique, comme en témoignent les résultats de l’enquête menée aux États-Unis. Sur les trente enseignes interrogées, vingt-cinq ont en effet été incapables d’exposer les mesures prises pour éviter que les « diamants du sang » ne se retrouvent dans leurs vitrines. Parmi elles, des sociétés aussi prestigieuses que Bulgari (930 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2003), Cartier et Van Cleef & Arpels, propriétés du groupe Richemont (3,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2002), ainsi que les hypermarchés Federated Department Stores Inc., maison mère des magasins Macy’s et Bloomingdales (plus de 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2003). Sur les cinq entreprises qui affirment contrôler l’origine de leurs diamants, une seule, Tiffany & Co., a été en mesure de donner des détails sur le dispositif mis en place.
Matthew Runci, membre du Conseil mondial du diamant et de l’organisation professionnelle Jewellers of America (« Bijoutiers d’Amérique »), a qualifié le rapport de Global Witness de « parfaite ineptie », fondée sur « des impressions anecdotiques ».
L’ONG, qui, dans le passé, a déjà dénoncé les pratiques douteuses (destruction de l’environnement, corruption) des entreprises forestières et des multinationales du pétrole, n’en finit décidément pas d’élargir le champ de ses investigations. Et de se faire de nouveaux ennemis.
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