CAN : Le lion et le cœlacanthe

La Coupe d’Afrique des nations qui se déroule au Cameroun est peut-être l’occasion de s’interroger sur le bestiaire des équipes du continent. Et si ces noms d’animaux influaient sur les clubs qu’ils désignent ?

Salim Ben Boina des Comores, lors du match Maroc-Comores de la Coupe d’Afrique des nations, au stade Ahmadou Ahidjo, le 14 janvier 2022. © ULRIK PEDERSEN/AFP

Fouad Laroui © DR

Publié le 27 janvier 2022 Lecture : 3 minutes.

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Vendredi 14 janvier dernier, 17 heures : comme beaucoup de mordus de foot – j’avoue, un peu honteux, que j’en suis un –, je me trouve vissé devant mon poste de télévision pour assister au match Maroc-Comores, dans le cadre du groupe C de la Coupe d’Afrique des nations.

Pendant le blabla d’avant-match, le présentateur et son invité m’apprennent que la valeureuse équipe des Comores a adopté comme nom collectif les Cœlacanthes, avec une majuscule. Voilà de quoi faire dresser l’oreille à tous les férus de science et de darwinisme.

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Profonde rêverie

Le cœlacanthe, avec une minuscule, se prononce « cela, Kant! », comme si quelqu’un admonestait l’illustre philosophe. C’est – je ne vous apprends rien – un poisson dit « fossile » parce qu’il n’a pas évolué depuis 350 millions d’années. Allez dire ça aux benêts pro-Trump ou aux prédicateurs youtubiques qui affirment que la Terre a 6000 ans d’âge… Lorsque l’on pêcha ce poisson au large de la côte est africaine, en 1938, ce fut la stupeur générale et le ravissement chez les scientifiques. Le groupe le plus important de l’espèce vit dans les eaux territoriales de l’archipel, et il n’est que justice que nos amis des îles de la Lune – c’est la signification en arabe du mot Comores – se le soient approprié.

Qui est le plus fort, le lion ou le cœlacanthe ? Sur une pelouse, la réponse est évidente, mais si les deux équipes s’affrontaient en water-polo ?

Ces considérations d’avant-match me plongèrent dans une profonde rêverie. Ainsi, le match Maroc-Comores opposait les Lions de l’Atlas – le surnom de l’équipe nationale chérifienne – aux Cœlacanthes… Comme c’est étonnant… Qui est le plus fort, le lion ou le cœlacanthe ? Sur une pelouse, la réponse semble évidente. Mais que se passerait-il si les deux équipes s’affrontaient en water-polo?

Vous me dites : « Arrête tes élucubrations. Ce ne sont que des noms. Ça ne veut rien dire. »

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Comment ça, des élucubrations? Relisez le Cratyle de Platon ! Vous n’êtes quand même pas plus futé.e que Socrate ? Pour le sage athénien, les noms sont plus que des sons arbitraires, ils influent sur les choses qu’ils désignent. Quand on vous nomme lion, vous en devenez plus courageux ; éléphant, vous avez tendance à tout écraser sur votre passage ; renard, vous rusez, vous finassez, etc.

On n’a jamais vu un lion rugir dans les fonds marins, ni un cœlacanthe frétiller dans la savane

Le déroulé du match fut conforme à ce que Socrate avait prédit – c’est lui qu’on devrait embaucher pour commenter les matchs de foot au lieu de rémunérer grassement des « consultants » qui ne font que nous raconter ce que nous voyons de visu, comme dirait La Palice. Parce que la rencontre se déroulait sur la terre ferme, les Lions dominèrent outrageusement les vaillants Cœlacanthes qui firent preuve de résilience – c’est normal, ils sont là depuis 350 millions d’années…

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Science et religion

Pendant la mi-temps, l’interrogation – qui est le plus fort, le lion ou le cœlacanthe ? – m’obséda de nouveau, prenant un tour philosophique. Le poisson-fossile est une sorte d’icône de la science. Quant au roi des animaux (image de Dieu ?), il fut l’un des premiers à pénétrer dans l’arche de Noé. Ce match reflète donc une certaine façon de concevoir les rapports entre science et religion. Si la question est : qui dit la vérité ? Eh bien, c’est simple : chacun dit la vérité de son domaine, dans son domaine. Et les deux n’ont aucune raison de se rencontrer, ni de se faire la guerre, puisqu’on n’a jamais vu un lion rugir dans les fonds marins, ni un cœlacanthe frétiller dans la savane.

Retour sur le terrain. Les Marocains ont gagné assez facilement. En water-polo, les Comoriens ne feraient d’eux qu’une bouchée. Et c’est très bien ainsi.

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