Sandton, au-dessus du volcan

Publié le 6 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Le spectacle est tellement hallucinant que l’on a bien du mal à se croire en Afrique. À un jet de pierre du centre-ville de Johannesburg, voici Sandton, le cur de la puissance économique sud-africaine, avec son enfilade de sièges sociaux d’entreprises dont les noms laissent rêveurs : Sanlam, Nedcor, MTN, Cell-C, Old Mutual, Citibank, Standard, etc. Lors de mon dernier passage à Sandton, en avril 1995, un an après la fin de l’apartheid et l’arrivée de Nelson Mandela au pouvoir, ces poids lourds de l’économie locale étaient moins nombreux, et l’endroit avait plutôt un cachet résidentiel, très cosy. En une décennie, la métamorphose est spectaculaire, et elle s’est faite au détriment de la très fière Johannesburg.

Car c’est fondamentalement par crainte pour leur avenir que les entreprises puis leurs cadres ont délaissé le centre-ville pour se replier sur Sandton. Dans un mouvement quasi militaire puisque, à l’époque, la rumeur voulait que Mandela ne réussirait jamais à jeter les fondations de sa Rainbow Nation. Et que la majorité noire, confortée par son écrasante victoire aux premières élections multiraciales, allait réclamer des comptes aux anciens gouvernants et exiger immédiatement un partage plus équitable des richesses fabuleuses du pays.
Fort heureusement, rien de tout cela n’est arrivé. Les Sud-Africains de toutes origines et de toutes obédiences ont su de manière pragmatique commencer à se bâtir un avenir en commun et aller vers une société multiraciale où les énormes différences sociales seraient peu à peu gommées. Tout n’étant plus qu’une question de rythme, les Blancs trouvant bien évidemment que les choses changent trop vite alors que les Noirs ne cessent d’incriminer leurs représentants politiques pour la lenteur du processus. Et Sandton est là pour faire écho à cette doléance légitime.
Dans ce business district, si les Noirs se font (un peu) moins rares qu’auparavant, les Blancs restent étrangement omniprésents. Ils contrôlent toujours l’essentiel du pouvoir économique. Ainsi du Johannesburg Stock Exchange, qui a lui aussi émigré vers Sandton. Avec ses 185 milliards de dollars de capitalisation boursière, dont les Noirs ne contrôlent aujourd’hui que 6 %, il est le symbole profond de l’inégalité en Afrique du Sud. Difficile de croire lorsque l’on se balade dans les grandes artères de Sandton ou que l’on se rend dans les quartiers résidentiels environnants, aux noms californiens qui font rêver Morningside, Bryanston, Rosebank, Melrose Arch et aux demeures à l’opulence incroyable que dans ce pays près de la moitié de la population vit avec moins de 7 rands par jour (1 dollar).
D’où cette désagréable impression aussi, inévitable à Sandton, que l’Afrique du Sud évolue au-dessus d’un volcan qui peut à tout moment redevenir actif. D’autant qu’en huit jours passés ici, je n’ai jamais vu un couple mixte se promener dans les rues. Dans les night-clubs « in » comme le Kilimandjaro ou le Ranch, les deux principales communautés du pays s’évitent soigneusement. Même quand les nouveaux cadres noirs ont le pouvoir d’achat requis, ils évitent d’aller dans des endroits connus pour n’être fréquentés que par les Blancs.
Une coexistence pacifique certes, même si la vigilance est toujours de mise, car l’une des principales tares de la nouvelle Afrique du Sud, c’est l’insécurité. Dont les responsables sont très souvent les communautés défavorisées entendez noires quand il ne s’agit pas des immigrés africains. Zimbabwéens, Mozambicains, Congolais et Nigérians se voient ainsi régulièrement imputer la quasi-totalité des délits commis dans la province du Gauteng. Et à Sandton, on s’indigne déjà du fait que le gouvernement veuille assouplir les conditions d’immigration. Comme s’il fallait d’ores et déjà prévoir quelques centimètres supplémentaires aux grillages qui sont légion dans ce petit coin de paradis.

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