Questions sur un putsch manqué
On se perd en conjectures sur l’identité des auteurs – et des commanditaires – de la tentative de coup d’État du 27 mars. Nostalgiques du mobutisme, services étrangers ou faucons du kabilisme ? Enquête.
C’est une histoire de corsaires en rupture de ban. Une de plus. Une aventure 100 % kinoise, même s’il faut traverser le fleuve pour remonter aux sources du complot.
L’affaire se déroule selon un scénario somme toute banal. Dans la nuit du 27 au 28 mars, vers 3 heures du matin, une quarantaine d’hommes en armes tentent de prendre le contrôle des points névralgiques de la capitale congolaise. Quatre sites militaires sont la cible d’attaques simultanées : les camps Kokolo et Tshashi, la base fluviale et la base aérienne de Ndolo.
Après deux heures de flottement, la riposte s’organise, et le régime mobilise ses troupes d’élite. Constitué d’éléments dont la fidélité au chef de l’État est avérée, le Groupe spécial de sécurité présidentielle (GSSP) dirige la riposte avec le soutien de la Police d’intervention rapide (PIR). Les combats se concentrent au nord de l’agglomération, à proximité du fleuve, puis se rapprochent progressivement du Beach de Ngobila, l’embarcadère pour Brazzaville. Comme si les putschistes espéraient trouver là une issue de secours. Pendant plusieurs heures, des détonations retentissent à intervalles irréguliers. Le dimanche matin, vers 11 heures, les armes se taisent enfin.
Menée par une mystérieuse « Armée céleste », l’opération Pentecôte ressemble plus à une bravade qu’à un vrai coup d’État. D’abord, en raison du petit nombre des assaillants, que les forces loyalistes sont parvenues à neutraliser rapidement. Une vingtaine d’entre eux ont été arrêtés, tandis que leurs complices parvenaient à s’échapper. Ensuite, parce que l’armement des mutins, dont une partie a été saisie, était apparemment très insuffisant pour s’assurer le contrôle d’une agglomération de six millions d’habitants.
Reste à savoir d’où venait le coup. Bien sûr, les regards se sont aussitôt tournés vers l’autre rive du grand fleuve… À quelques encablures de Kinshasa, le Congo-Brazzaville entretient les meilleurs rapports avec le régime de Joseph Kabila. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Au fil des crises successives, de nombreux opposants aux Kabila, père et fils, ont en effet trouvé refuge à Brazza. Les ex-FAZ (Forces armées zaïroises) sont les plus nombreux. Et les vétérans de la Division spéciale présidentielle (DSP), ces fidèles d’entre les fidèles de Mobutu, les plus dangereux. Leur nombre était estimé à près de quatre mille hommes lors de la chute du maréchal. Inévitablement, ils apparaissent comme les principaux suspects. D’autant que les hommes qui ont attaqué les casernes portaient au bras un bandeau rouge, comme les membres de la DSP lors de leur fuite précipitée de Kinshasa, en mai 1997.
La première hypothèse met donc en cause les mobutistes. Déçus d’avoir été écartés du processus de transition, plusieurs généraux de l’ex-DSP ont, il y a deux mois, adressé un mémorandum au Comité international d’accompagnement de la transition (Ciat). Pour protester contre leur « mise à la retraite prématurée » et réclamer leur intégration à la nouvelle armée nationale en cours de formation. Si l’implication de ces baroudeurs nostalgiques est quasi certaine, l’identité de leurs commanditaires l’est beaucoup moins.
Deuxième hypothèse : l’implication directe des autorités du Congo-Brazza. Le commando étant venu de chez elle, l’opinion kinoise a aussitôt suspecté une manoeuvre téléguidée par le régime congolais. Il est vrai que ce n’est pas la première fois qu’une menace se profile de ce côté. En mars 1999, un groupuscule inconnu, l’Union des nationalistes républicains pour la libération (Unarel), avait menacé de descendre sur Kinshasa par le fleuve, à partir de Brazza. Il était composé de quelque 1 500 membres de l’ex-garde prétorienne de Mobutu et commandé par le colonel Ndondo, ancien chef d’état-major de la DSP. Soutenue de l’extérieur par quelques généraux des ex-FAZ, cette offensive aurait bénéficié de certains soutiens à Libreville et à Brazzaville.
Mais cette opération, dont les responsables n’ont jamais été clairement identifiés, est désormais de l’histoire ancienne. Laurent-Désiré Kabila n’est plus de ce monde, et la donne géopolitique de la sous-région a totalement changé. Pourtant, certains restent persuadés que Denis Sassou Nguesso ne serait pas chagriné par un changement de régime à Kinshasa.
Allié de l’Angolais José Eduardo Dos Santos, proche du Gabonais Omar Bongo Ondimba et « parrain » du Centrafricain François Bozizé, « l’homme des masses » a moins d’affinités avec Joseph Kabila qu’avec d’autres dirigeants kinois comme le vice-président Jean-Pierre Bemba. De quoi alimenter les rumeurs les plus folles… À Brazza, les autorités démentent avec énergie toute implication dans le putsch manqué.
De fait, l’éventualité d’une complicité brazzavilloise paraît peu crédible. À Kinshasa, le gouvernement d’union nationale bénéficie du soutien actif des puissances occidentales, Nations unies en tête, et toute tentative de sabotage du processus de paix pourrait se retourner contre son instigateur. En outre, la manière dont a été gérée la crise entre les deux capitales révèle une évidente coopération au plus haut niveau de l’État. « Les relations restent bonnes avec Brazza, personne n’ayant intérêt à jeter de l’huile sur le feu, et la communication entre les deux présidents n’a jamais été interrompue », confie un diplomate européen en poste dans la sous-région.
Quant aux conséquences de la crise sur la cohésion gouvernementale, elles semblent pour l’instant limitées. Aucun soupçon de complicité visant un membre de l’équipe de transition n’a été confirmé. « L’ « espace présidentiel » [structure qui regroupe le chef de l’État et ses quatre vice-présidents] a parfaitement fonctionné, poursuit un observateur. L’ensemble des dirigeants ont réagi dans la nuit, et la transition n’a jamais été remise en question. D’ailleurs, la commission d’enquête mise en place pour faire la lumière sur ces événements comprend les ministres de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice et des Affaires étrangères, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont de sensibilités différentes. » Même son de cloche chez Théophile Mbemba, le ministre de l’Intérieur : « La cohésion du gouvernement n’est nullement entamée ; nous continuons à travailler ensemble. »
Reste à savoir à qui profite le crime. Complot mobutiste ou tentative de déstabilisation orchestrée depuis l’étranger ?
En fait, une troisième thèse circule avec insistance dans les allées du pouvoir : et si les militaires de l’ex-DSP avaient été téléguidés de l’intérieur même de la maison Kabila ? Certains attribuent en effet la responsabilité de l’opération Pentecôte aux faucons du régime, amis de Kabila père, puis collaborateurs de son fils.
Compromis dans les scandales liés au pillage des ressources naturelles pendant le conflit, mis à l’index dans les différents rapports des Nations unies, ceux-ci ont été progressivement marginalisés. Parmi les radicaux, Augustin Katumba Mwanke, ex-ministre à la présidence, et ses collègues d’alors, suspendus, à titre temporaire en 2003, avant d’être limogés : Mwenze Kongolo (Sécurité) et Denis Kalume (Plan et Reconstruction).
Dernier épisode de cette épuration des kabilistes, la nomination comme conseiller spécial du chef de l’État en matière de sécurité, le 24 décembre, de Guillaume Samba Kaputo, dont la réputation de « colombe » est bien établie. Au moment où l’ONU s’associe étroitement à la transition politique congolaise, le maintien à leur poste de personnalités aussi controversées devenait franchement embarrassant.
Si la piste intérieure venait à se confirmer, l’opération Pentecôte ne pourrait que renforcer les inquiétudes de Kofi Annan. Cet épisode, aussi bref que violent, démontre en effet que la RDC est encore convalescente. Qu’elle est à la merci de nombreux agresseurs potentiels.
Le bilan de cette aventure, qui aurait pu avoir des conséquences extrêmement graves, n’est, officiellement, que de quatre morts et « plusieurs blessés » – sans autre précision. Pourtant, le 30 mars, le secrétaire général de l’ONU s’est ému du renforcement des factions au sein du gouvernement de transition : « La paix n’est pas encore irréversible, a-t-il indiqué. Si des progrès ont été accomplis, les prochains mois seront critiques. »
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