El Hadji Diagola contre Michel Houellebecq au tribunal judiciaire de Paris
Selon l’auteur d’origine sénégalaise, le best-seller « Soumission », paru en 2015, s’inspire beaucoup trop de son manuscrit « La chute des barbelés », déposé à l’accueil de Gallimard en 2013. Il poursuit donc en justice la star de la littérature et ses éditeurs.
Alors que la fanfare médiatique bat son plein, en France, autour de la publication du nouveau roman de Michel Houellebecq, Anéantir, un petit événement est passé presque inaperçu. Le mardi 18 janvier, à 10h30, dans la salle 6.42 du tribunal judiciaire de Paris, l’avocat des éditions Flammarion et Gallimard et celui de l’écrivain franco-sénégalais El Hadji Diagola étaient convoqués en audience publique pour incident devant la juge de mise en état.
La raison de cette procédure ? El Hadji Diagola poursuit Michel Houellebecq et ses éditeurs – appartenant au même groupe, Madrigall, avec la même directrice éditoriale à l’époque, Teresa Cremisi – pour contrefaçon. Selon l’auteur d’origine sénégalaise, le manuscrit de son livre, La chute des barbelés, aurait été partiellement utilisé par l’auteur des Particules élémentaires dans l’écriture de Soumission, roman paru le 7 janvier 2015 et dans lequel un président musulman est élu à la tête de la République française en 2022.
Pour l’auteur, l’antériorité de son manuscrit sur celui de Houellebecq ne souffre aucun doute
« Un musulman à l’Elysée »
C’est au moment de cette publication, accompagnée de l’habituel tapage médiatique bien orchestré qui entoure les livres de Michel Houellebecq, qu’El Hadji Diagola a été frappé par les similitudes avec son propre travail dont l’antériorité, pour lui, ne souffre aucun doute. C’est en effet en janvier 2013 qu’il a déposé son manuscrit à l’accueil de Gallimard, trois mois avant de recevoir une réponse négative, le 26 mars 2013. Après quelques changements mineurs apportés à son œuvre, il avait tenté de nouveau sa chance chez Flammarion en 2014, en vain, recevant aussi une réponse négative, par e-mail, en septembre.
Son livre, désormais titré Un musulman à l’Élysée, ne sera finalement publié qu’en septembre 2015 chez Édilivre, une maison d’édition à compte d’auteur). Entretemps, choqué par les ressemblances avec son ouvrage lors de la lecture de Soumission, Diagola a entamé une procédure contre Michel Houellebecq avec un premier avocat. Celle-ci va faire long feu, le juriste en question se focalisant sur le manuscrit envoyé chez Flammarion et non sur celui, quasi identique, envoyé bien avant chez Gallimard. Ce n’est que bien plus tard, le 6 janvier 2020 – soit la veille de l’expiration du délai de prescription – qu’El Hadji Diagola rencontre Me Jean-Baptiste Ngandomane du Barreau de Paris, qui accepte de prendre l’affaire en main, in extremis.
70 points de ressemblance sur le fond
Pour l’avocat, l’antériorité du manuscrit de Diagola sur celui de Houellebecq est claire : des envois par messagerie électronique prouvant l’existence du texte dès 2010 ont fait l’objet de constats d’huissiers. La question du plagiat, elle, est bien plus délicate. « J’ai relevé 70 ressemblances sur le fond, soutient l’avocat. Mais c’est surtout la structuration de l’œuvre qui est intéressante et qu’ils ont reprise. » Les références à Joris-Karl Huysmans et à son livre En route comme le séjour de Houellebecq en décembre 2013 à l’abbaye Saint-Martin de Ligugé ne seraient qu’une mise en scène pour dissimuler les ressemblances, selon Ngandomane, convaincu que La chute des barbelés a servi de base à la rédaction de Soumission.
Problème, l’œuvre de Diagola est elle-même truffée de citations, d’emprunts et copies serviles
Problème, le manuscrit d’El Hadji Diagola est lui-même truffé de citations, d’emprunts et copies serviles, parfois sourcés mais pas toujours. « Nos adversaires prétendent que le travail de Diagola contient 75 % de plagiat, ce qui est inexact, mais peu importe, balaie Me Ngandomane, il n’est pas possible de lui interdire d’agir sur les 25 % qui relèvent de sa création d’auteur. Ce d’autant plus que Houellebecq et consorts ne se risquent jamais à contester les ressemblances qu’on leur oppose ou à réclamer en être l’auteur. » L’affaire n’est pas sans rappeler, pour les connaisseurs de l’histoire littéraire africaine, le scandale qui entoura Le devoir de Violence, roman du Malien Yambo Ouologuem, prix Renaudot 1968, truffé de citations et collages non sourcés.
L’objectif de l’avocat ? Obtenir un jugement collégial, sur le fond. Ce que la partie adverse, le cabinet d’avocat Artlaw représentant Michel Houellebecq, Gallimard et Flammarion, veut éviter. Me Yvan Diringer, représentant Me Josée-Anne Benazeraf lors de l’audience publique du 18 janvier, considère que la plainte d’El Hadji Diagola n’est pas recevable. « C’est une action absurde qui convient d’être cessée immédiatement, a-t-il déclaré. Le plaignant ne démontre pas qu’il est l’auteur de son œuvre. »
40 % des droits de « Soumission »
La juge a renvoyé l’audience au 14 février à 15h30 : « Il faut que je compare – cela relève du fond – pour trancher une question de recevabilité. » L’idée de la défense, c’est qu’El Hadji Diagola ne serait pas l’auteur d’une œuvre originale puisqu’une partie de celle-ci provient de textes qui ne sont pas de lui, et que, d’autre part, il a cédé ses droits d’auteurs à la maison Édilivre.
Pour Me Ngandomane, le litige porte sur le manuscrit et, quoiqu’il en soit, la question de l’originalité d’une œuvre ne relève pas de la procédure. Diagola reste le propriétaire des droits patrimoniaux et moraux sur son œuvre. À ce titre, Ngandomane demande que 40 % des droits de Soumission lui-soit reversés. C’est un pourcentage élevé, mais pour lui la situation est particulière puisque l’éditeur serait commanditaire du plagiat. Michel Houellebecq étant lui même adepte des collages, notamment de Wikipédia, les débats promettent d’être passionnants – du moins si l’affaire est jugée recevable et débouche sur un procès en collégialité.
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