Pour l’amour de la nature

Vivre dans l’intimité des derniers gorilles de montagne : une prestation de luxe proposée par les agences de voyages.

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 5 minutes.

Un coucher de soleil au bord du lac Kivu, un gorille dans la brume, une bière fraîche dégustée dans un bar de la capitale… Quelques souvenirs intimes d’un voyage au Rwanda. Ces émotions cartes postales suffiront-elles à relancer l’intérêt des touristes, plus enclins à choisir le safari kényan ? Marqué au fer rouge par son histoire récente, le pays peine à attirer de nouveaux visiteurs. Aux images d’un génocide tragique s’ajoutent celles – plus actuelles – d’une région des Grands Lacs toujours troublée, même si la vérité est moins sombre qu’elle ne le laisse entrevoir. Et, pourtant, certains veulent encore croire en ce pays dont il faut redorer la devanture. À l’instar de Maurice Freund, fondateur de l’agence de voyages Point Afrique. Après avoir inauguré, au milieu des années 1990, une liaison entre Paris et Gao, au nord du Mali, il se lance aujourd’hui dans une autre aventure un peu folle, celle du Rwanda.
Le pari est certes ambitieux. Pour le moment, Brussels Airlines est la seule compagnie européenne à assurer des vols réguliers entre Paris et Kigali, via la Belgique. Profitant de son monopole, elle pratique des tarifs très élevés, avec un prix plancher qui se situe autour de 1 500 euros (aller-retour). À partir du 6 juillet, il faudra aussi compter sur le Boeing 737 du Point Afrique. Il volera une fois par quinzaine entre Paris et Kigali, via Marseille, à des prix très compétitifs, compris entre 500 et 650 euros.
« Nous prenons un risque financier énorme qui se chiffre à près de 70 000 euros pour chaque vol, reconnaît Maurice Freund. Mais nous sommes convaincus du potentiel touristique de ce pays. »
D’ailleurs, le gouvernement rwandais reprend l’argument à son compte. Et l’opération séduction est désormais bel et bien lancée : site Internet, plaquettes de publicité, participation aux plus grands salons internationaux. Le plus fervent défenseur en est le président Kagamé lui-même, qui espère faire du tourisme un véritable facteur de développement pour son pays. Les atouts sont visibles, immédiats : le lac Kivu, ses collines verdoyantes et ses parcs nationaux. Même si le parc national de l’Akagera – au sud-est – et la forêt de Nyungwe – au sud-ouest – sont deux espaces protégés, le parc national des Volcans reste le fleuron rwandais.
La zone est connue et reconnue pour abriter les derniers gorilles de montagne : sur les 650 répertoriés dans le monde, environ 350 vivent ainsi sur la chaîne des Volcans, entre la République démocratique du Congo, le Rwanda et l’Ouganda.
Plusieurs voyagistes ont même inclus un détour par le Rwanda, pour conclure un safari au Kenya ou en Tanzanie. Mais le potentiel d’accueil reste très limité : pas plus de trente personnes par jour sont admises à rendre visite aux primates, au tarif très prohibitif de 375 dollars par personne. La clientèle est donc très ciblée, constituée essentiellement d’Américains, d’Australiens, de Japonais et de quelques Européens (moins de 5 % des visiteurs). Si l’on rencontre quelques-uns de ces amoureux du trekking dans les très beaux hôtels de Ruhengeri, au pied des volcans, ou même dans ceux de Kigali, la plupart ne font que passer une journée dans le pays.
Les autorités désirent retenir ces touristes huppés et développer un accueil haut de gamme pourvoyeur de devises. L’inauguration de l’Intercontinental, le premier hôtel cinq étoiles du pays, a représenté à ce titre une étape décisive. Le moment était choisi : la capitale rwandaise s’apprêtait alors à accueillir les chefs d’État et de gouvernement à l’occasion du 9e sommet du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), le 13 et le 14 février 2004. Et les investissements à la hauteur de l’ambition affichée. Les murs – qui étaient ceux de l’ancien hôtel des Diplomates, détruit en 1994 – appartiennent au gouvernement rwandais, mais la gestion est assurée par la chaîne hôtelière sud-africaine Southern Sun. Tout comme pour l’hôtel de Gisenyi, rénové et rebaptisé Kivu Sun, inauguré ce mois-ci.
Bien que les stations balnéaires du lac Kivu ne puissent pas rivaliser avec les îles paradisiaques de l’océan Indien, ni avec les complexes touristiques du Maghreb, elles peuvent tout de même offrir de la douceur de vivre. Et laisser penser que les étrangers viendront plus nombreux au Rwanda. Ainsi de ce groupe d’hommes d’affaires rwandais qui a relevé le pari de réhabiliter l’hôtel de l’Akagera, renommé Akagera Game Lodge. Situé au centre du parc national éponyme, qui longe la frontière avec la Tanzanie, cet établissement, autrefois très prisé par les touristes, a été détruit pendant les violents combats qui ont secoué la région dès le début des années 1990. D’hésitations en reculades, le projet a tardé à voir le jour. Mais au début de 2003, la décision est prise et le montage financier bouclé. Au total, 1,2 milliard de FRW – soit près de 1,8 million d’euros – ont été investis dans le seul hôtel pour rénover et équiper ses soixante chambres, dont deux executive suites. Inauguré en décembre 2003, l’hôtel est géré par la compagnie sud-africaine GDB Hospitality & Leisure, une société spécialisée dans les structures intégrées aux parcs nationaux, notamment en Afrique australe. Le business-plan parie sur l’arrivée prochaine de touristes internationaux : « Sur les trois premières années, l’essentiel de notre chiffre d’affaires devrait être réalisé grâce au tourisme intérieur, explique Pipien Hakizabera, membre du conseil d’administration. Mais, à court terme, nous espérons attirer la clientèle qui fréquente la sous-région. » Comment ? « En créant un meilleur partenariat avec l’Office rwandais du tourisme et des parcs nationaux (ORTPN) », organisme chargé de la gestion des trois zones protégées. Concrètement, cela devrait passer par un meilleur entretien des pistes, une réfection des clôtures mais aussi par « l’importation » de nouveaux animaux. Créé en 1934 par les colons belges, le parc de l’Akagera n’occupe plus que 90 000 hectares, contre 285 000 avant la guerre. Les pertes animales ont été considérables, tant à cause du braconnage que de la réduction des zones protégées. Même si des troupeaux d’antilopes et de zèbres cohabitent toujours avec une vingtaine de girafes et des centaines de cercopithèques, la faune a été sévèrement décimée. Les lions, rhinocéros et éléphants ont été parmi les premières victimes. Il est actuellment impératif que des investissements financiers permettent la revalorisation et la réorganisation des structures actuelles, comme l’ORTPN. « On ne vient jamais au Rwanda par hasard », soutient Maurice Freund. Une autre façon de dire que, plus que partout ailleurs, il faut réussir à convaincre…

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