Tunisie : une consultation nationale inédite et déjà contestée

Les Tunisiens sont invités à s’exprimer sur l’avenir de leur pays. Les résultats de la consultation seront intégrés au futur projet de Constitution. Mais certains dénoncent des questions orientées et le manque d’inclusion du procédé.

« Votre opinion, notre décision » affirme la vidéo de présentation de la plateforme de téléconsultation nationale Istichara. © E-istichara

« Votre opinion, notre décision » affirme la vidéo de présentation de la plateforme de téléconsultation nationale Istichara. © E-istichara

Publié le 19 janvier 2022 Lecture : 4 minutes.

Après un report de deux semaines et une phase d’essai, la consultation nationale, première étape de la feuille de route du président Kaïs Saïed pour une refonte des fondamentaux de la Tunisie sur l’année 2022, est enclenchée depuis le 15 janvier. Ses résultats seront pris en compte dans la future Constitution. 

Les citoyens concernés, soit 65 % de près de 12 millions de Tunisiens, ont jusqu’au 20 mars 2022 pour se prononcer sur six axes : politiques et électoraux ; économiques et financiers ; social ; développement et transition numérique ; santé et qualité de vie ; éducation et culture.

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Chaque module comporte des questions ainsi qu’un espace d’expression libre, de quoi rappeler à certains le format des questions à choix double (QCD) des examens universitaires.

Approche participative

La plateforme Istichara, qui accueille la consultation, entend « selon un mécanisme non-conventionnel » et une « approche participative » permettre de dégager une conception commune de l’avenir de la Tunisie.

Le procédé de la consultation, exclusivement digitale, suscite un indéniable intérêt sur sa forme

Concrètement, les résultats de la consultation, qui a attiré 45 000 personnes en quatre jours, compléteront le projet de constitution actuellement élaboré par un comité de constitutionnalistes.

Une méthode décriée par les détracteurs de Kaïs Saïed. Au nom du « redressement de la transition démocratique », le président tunisien poursuit son objectif d’en finir avec la constitution de 2014 et d’impulser un changement radical du système politique pour aller vers un régime présidentiel et une démocratie directe.

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Première dans le monde arabe, le procédé de la consultation, exclusivement digitale, suscite un indéniable intérêt sur sa forme. Mais soulève aussi de nombreuses questions.

À commencer par celle des 2 millions d’analphabètes que compte la Tunisie, selon le ministère des Affaires sociales. Les Tunisiens résidant à l’étranger (TRE) se trouvent également et de fait placés à la marge de la consultation, dans la mesure où l’accès au questionnaire ne peut se faire qu’à partir d’un opérateur téléphonique local. Les autorités doivent prochainement annoncer la procédure à suivre pour les TRE.

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Des militants du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) estiment que le choix d’une consultation numérique pénalise 45 % de la population qui n’a pas accès à internet et crée des inégalités entre citoyens.

La question du pouvoir local n’est pas abordée, pas plus que celles des instances constitutionnelles

D’autres activistes de la société civile comme Mounir Fathalli fustigent un projet qui « ne reflète en rien la jeunesse ni ses ambitions » comme annoncé par le président de la République.

« La question du pouvoir local n’est pas abordée, pas plus que celles des instances constitutionnelles et du rapport de l’exécutif aux citoyens », assène Ibtihel, sa camarade de faculté qui s’irrite de questions surtout orientées pour soutenir le projet présidentiel.

La polémique enfle autour de la transparence de la démarche et de l’inclusion réelle de la population. « Nous ne pouvons donner encore une fois un chèque en blanc. Nous devons pouvoir suivre le dépouillement et savoir comment seront consignés et traités les résultats », réclame un étudiant de l’École nationale d’ingénieurs de Tunis (ENIT).

L’alerte avait déjà été donnée il y a quelques semaines par l’ONG I Watch qui appelle au boycott de la consultation. Elle tacle l’absence de garantie de protection des données personnelles, le manque de transparence quant aux volontaires qui ont conçu et développé les thèmes et les questions, la faible communication gouvernementale pour définir la plateforme, mais aussi l’exploitation des ressources de l’État pour un projet personnel du président de la République. D’autres s’inquiètent de finir dans l’une des plus importantes bases de données du pays.

« Votre opinion, notre décision »

Le bât blesse aussi en matière de contenu. Les citoyens sont invités à se prononcer sur des questions que beaucoup jugent au mieux superficielles, au pire clairement orientées. « Au vu du mécontentement général, personne ne s’opposera au principe de retrait de confiance à un député ou ne donnera un avis positif sur le bilan ses dix dernières années en matière de gouvernance. Y répondre sera une façon d’exprimer une colère mais ce ne sera pas un choix réfléchi. Et puis quand on demande des suggestions pour, par exemple, améliorer le système judiciaire, on sous-entend qu’il pose problème », analyse en substance l’universitaire Moez Attia.

Le slogan qui apparaît en fin de consultation fait grincer des dents

« Votre opinion, notre décision » : le slogan qui apparaît en fin de consultation fait également grincer des dents tant il « exclut les citoyens de la décision tout en leur faisant la charité pour qu’ils s’expriment », raille un diplômé chômeur qui tacle le fond et la forme du procédé. De son côté Ridha el-Mekki, dit Ridha Lénine, compagnon de route de Kaïs Saïed suggère certaines réponses au questionnaire sur sa page Facebook.

La consultation intervient quelques jours après la brutale répression de la manifestation du 14 janvier et la mise en résidence surveillée de personnalités pour lesquelles les juges n’émettent pas de mandat d’amener.

« Cette consultation a le mérite d’exister mais elle présente des lacunes et se déroule en plein malaise socio-économique avec des questionnements concernant les libertés. Elle ne peut en aucun cas remplacer un dialogue national », commente le sociologue Sami Nasr.

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