Le tournant africain
Épuisé par les guerres coloniales jusqu’au milieu des années 1970, le Portugal s’est spectaculairement redressé depuis son adhésion à la Communauté économique européenne en 1986. Un retour sur le devant de la scène internationale qui pourrait bien profit
Ayant procédé à l’une des décolonisations les plus rapides de l’histoire – un million de citoyens portugais qui résidaient dans les provinces d’outre-mer sont revenus au Portugal dans les années 1970 -, le pays n’en continue pas moins à garder durablement et profondément l’empreinte de sa tradition coloniale. Un cinquième environ des parlementaires portugais sont nés en Afrique. La presse consacre aux événements survenus au Mozambique ou en Angola autant de place qu’aux « informations domestiques ». Les coups d’État advenus en Guinée-Bissau en 1998 et la tentative de renversement du président Fradique Bandeira de Menezes en juillet dernier à São Tomé e Príncipe ont fait pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, la une des journaux. Quant au football, sport national au Portugal comme dans la plupart des pays africains, les équipes portugaises les plus réputées, comme Benfica ou le Sporting, sont aussi populaires en métropole que dans les anciennes possessions.
Autrefois pays d’émigration (vers le reste de l’Europe occidentale, vers l’Afrique, vers le Brésil), le Portugal est devenu en quelques années un pays d’immigration, prospérité économique oblige. En 1996, les autorités ont donc créé un Haut-Commissariat à l’immigration et aux minorités ethniques. Actuellement, 5 % de la population totale, 10 % de la population active, sont des étrangers, soit environ 400 000 personnes. Presque 30 % viennent d’Afrique (52 400 du Cap-Vert, 24 800 d’Angola, 19 300 de Guinée-Bissau, 7 000 de São Tomé e Príncipe, 4 900 du Mozambique, auxquels il faut ajouter 6 400 ressortissants d’autres pays).
Parmi eux, on compte une petite communauté musulmane de 35 000 personnes environ (dont un tiers dans la capitale), essentiellement originaires du Mozambique. Il s’agit surtout des descendants de travailleurs agricoles déplacés d’Inde en Afrique au siècle dernier pour travailler dans des plantations. Les transferts financiers de ces communautés vers leurs pays d’origine sont importants. Ils atteignent 15 millions d’euros par an pour les Angolais, 9 millions pour les Cap-Verdiens.
Grâce à d’importantes mesures de régularisation, le nombre d’étrangers en situation irrégulière a beaucoup diminué, mais pourrait encore concerner plus de 100 000 personnes.
Inversement, on estime que les communautés d’origine portugaise établies durablement à l’étranger représentent près de cinq millions de personnes. Un secrétariat d’État aux communautés portugaises et un Conseil national ont été mis en place pour traiter leurs problèmes. L’Europe occidentale, l’Amérique du Nord et l’Amérique latine comptent les groupes les plus nombreux, mais des dizaines de milliers de Portugais vivent encore dans les anciennes possessions africaines ou en Afrique australe. Ainsi, ils sont 30 000 au Mozambique et leur nombre en Afrique du Sud est estimé entre 350 000 et 500 000.
La politique africaine du pays se traduit par une volonté de s’ouvrir de nouveau vers l’extérieur. En témoigne l’organisation de la grande Exposition universelle consacrée aux océans à Lisbonne lors de l’été 1998.
La création en 1996 de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) a permis de resserrer les liens de la famille lusophone. Elle présente également l’avantage d’associer le Brésil, fort de ses 200 millions d’habitants, de son remarquable potentiel et de son dynamisme. Le récent voyage en Afrique australe du président Lula a montré que l’impact de l’image du Brésil et l’engagement de son gouvernement en faveur de l’Afrique constituent un atout précieux pour la lusophonie.
Le Portugal reste toutefois vigilant quant à son rôle de parrain de la lusophonie. Lorsque la Guinée-Bissau a rejoint en 1997 la zone franc, Lisbonne a manifesté son irritation en lançant en 1998 avec le Cap-Vert une sorte de « minizone escudo », la monnaie portugaise garantissant la convertibilité de l’escudo cap-verdien. De même, au moment de la crise qui a secoué la Guinée-Bissau en 1998 et a amené le départ du président Vieira, Lisbonne a soupçonné le Sénégal – qui avait, comme la Guinée, envoyé des troupes chez son voisin du Sud – de servir en réalité les intérêts français dans la zone, ce qui a provoqué un refroidissement diplomatique de quelques semaines avec Dakar et Paris. Et lorsque l’année dernière Madrid a proposé des bourses de formation aux futurs diplomates de pays lusophones, Lisbonne a exprimé sa surprise, considérant un peu ce domaine comme une chasse gardée.
Dans le domaine militaire, le Portugal a participé en juin dernier à l’état-major d’Artémis, la première opération de maintien de la paix de l’Union européenne, montée en République démocratique du Congo. Sur le plan diplomatique, Lisbonne et la Communauté des pays de langue portugaise ont demandé en juillet 2003 au ministre des Affaires étrangères du Timor, le Prix Nobel de la paix Ramos Horta, de se rendre à São Tomé en leur nom, ce qui a permis, en liaison avec d’autres médiateurs, comme ceux de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de mettre fin à la tentative de renversement du régime du président Fradique Bandeira de Menezes.
Les voyages de responsables portugais en Afrique se sont multipliés au cours des derniers mois, essentiellement pour dynamiser la coopération économique et culturelle. Le Premier ministre Manuel Durao Barroso, dont le prédécesseur avait fait une visite officielle de six jours au Mozambique en 1998, s’est rendu en visite officielle en Angola en octobre 2003, et y a effectué un séjour privé quelques semaines plus tard. Il a également fait le voyage de Tunis en décembre de la même année.
Le recteur de l’Université indépendante de Lisbonne a pour sa part effectué une visite à Luanda en décembre 2003 ; son établissement compte 3 000 étudiants, dont 400 angolais. Le gouvernement, qui vient d’obtenir que le portugais soit désormais langue officielle du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), à côté de l’anglais, du français et de l’arabe, encourage également les investisseurs privés à se montrer actifs sur le continent africain.
Tout en maintenant une réelle priorité pour ses relations avec les pays lusophones, le Portugal relance vigoureusement ses relations avec le reste du continent africain, et en particulier avec le Maghreb. Le gouvernement a renforcé, lors du sommet de Lisbonne, tenu en mars 2001, le dialogue « 5 + 5 », qui associe pour des activités en Méditerranée occidentale l’Espagne, la France, l’Italie, Malte et le Portugal, ainsi que l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie.
Le président de la République Jorge Sampaio a effectué une visite d’État en Algérie en décembre dernier, accompagné de plusieurs dizaines d’opérateurs économiques portugais. Plusieurs accords bilatéraux ont été signés à cette occasion (dont un de non-double imposition), et des projets industriels discutés dans les domaines de la production pharmaceutique, des travaux publics, de l’énergie, de la pêche, de la mécanique. Il existe déjà une coopération entre la Sonelgaz et Efacec – qui gère la quasi-totalité du réseau électrique portugais et qui est présente aussi en Tunisie. À la suite d’un accord signé en 1994 entre l’entreprise portugaise Transgas et Sonatrach, l’Algérie livre depuis plusieurs années 2,5 milliards de m3 de gaz qui transite par un gazoduc passant par le Maroc, Gibraltar et l’Espagne, ce qui représente un marché annuel de 150 millions d’euros.
Par ailleurs, le très important cimentier Cimpor-Cimentos de Portugal, présent également en Tunisie, au Mozambique, en Égypte et en Afrique du Sud, a annoncé le 4 février 2004 son intention d’investir 27,6 millions d’euros au Maroc, afin d’y porter la production de son usine de ciment de 840 000 tonnes à 1,2 million de tonnes. La reprise des relations portugo-marocaine remonte au début des années 1990, bien que certains milieux portugais, qualifiés de sébastianistes [NDLR : messianisme politique prôné encore par certains cercles portugais], n’oublient pas que c’est au Maroc qu’a disparu au début du XVIe siècle l’un de leurs brillants souverains, le jeune roi Sébastien, parti à la demande d’un allié maure conquérir un nouveau royaume.
Bref, dans les relations avec l’Afrique, il faudra désormais compter davantage avec le Portugal, qui est bien décidé à y développer sa présence politique, économique et culturelle, au-delà même de ses solides bases lusophones. Lisbonne a renouvelé son offre d’accueillir dès que possible le prochain sommet Union européenne-Afrique, dont la tenue avait été annulée en avril 2003 en raison de controverses sur l’invitation du président du Zimbabwe Robert Mugabe. C’est déjà à l’initiative de Lisbonne que s’était tenu au Caire en 2000 le premier sommet de ce type.
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