« La société civile du Sud devient adulte »

José Bové, Porte-parole de la confédération paysanne (syndicat agricole français).

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

L’ancienne ministre malienne de la Culture, Aminata Traoré, a réussi son pari : réunir les cotonniers africains à Bamako. Du 28 février au 4 mars derniers, le Forum pour l’autre Mali a défendu le coton local. Était également présent le leader de la Confédération paysanne française José Bové. Après avoir marché aux côtés de « ses amis » dans les rues de la capitale malienne au rythme du slogan « Arrêtons de piller les paysans », Bové, qui se veut désormais un maillon entre le Nord riche et le Sud fragile, s’est confié à Jeune Afrique/l’intelligent

JEUNE AFRIQUE/L’INTELLIGENT : José Bové en Afrique, pouvait-on s’y attendre ?
José Bové : Bien sûr ! Je suis paysan, et le sort de tous les opprimés m’interpelle. Ma place est autant aux côtés du paysan normand qu’auprès du sénégalais. Il y a deux ans, j’ai participé, au Burkina Faso, à la création du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa). J’avoue aussi que si la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce qui s’est tenue à Cancún en septembre dernier a marqué les esprits, par la question des subventions sur le coton qui détruit les capacité de ventes des locaux, c’est grâce à la pugnacité des Africains. J’avais admiré la ténacité avec laquelle ces paysans avaient tenu tête au conglomérat des riches industriels de l’Europe et des États-Unis.

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Qu’espérez-vous voir émerger de cette rencontre de Bamako ?
En France, notre slogan est « globalisons la lutte pour globaliser l’espoir ». Cette philosophie vaut pour le Mali et, plus largement, pour l’Afrique. Il faut que la voix des paysans de ce pays, qui a récolté cette année 260 000 tonnes de coton, soit entendue. Et si la chape de plomb de politiques néolibérales demeure ici, c’est parce que ces paysans ne sont protégés par personne.

Quelles sont les alternatives crédibles à ce système néolibéral au niveau local ?
De nouvelles stratégies s’inventent, susceptibles de mieux impliquer le citoyen qui n’a que son panier de coton pour survivre : ainsi, le Mali ne profite même pas du 1 % de ses productions, alors qu’il est un grand producteur. Le coton, ce n’est pas seulement une production de matière première, c’est aussi sa transformation. Et nous avons tous condamné le modèle de domination de la sous-traitance du coton en Asie. Il existe pourtant des solutions. Dans un premier temps, à travers des filages opérationnels dans les villages et la protection de l’artisanat local. Comme cela existe déjà avec des matières premières telles que le cacao ou le café dans le réseau du commerce équitable. J’ai été impressionné de voir dans les villages les uns filer, les autres transformer, les suivants teindre… J’ai vu aussi des gens habillés par des tisserands. Mais combien sont-ils ? Et ces artisans ont-ils seulement les moyens de mieux étendre leur clientèle ? Créer ainsi des circuits courts entre les producteurs, les transformateurs locaux et les citoyens des pays du Nord. Par ces moyens-là, on pourrait augmenter la plus-value du coton sans entrer dans la logique du circuit mondial tel que l’envisagent les grandes firmes. Il est nécessaire d’arriver à créer de l’emploi et de la plus-value à partir du savoir-faire local.

Comment les pays du Sud peuvent-ils se « défendre » au niveau international ?
Nous devons réussir à sortir de cette logique de fixation des prix qui ne sont pas liés aux coûts de production réels. Cela impose la création d’un organisme indépendant qui s’occuperait, sous l’égide peut-être de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), de fixer le prix des matières premières. On le sait, si le coton africain est dans la tourmente, c’est à cause des fortes subventions des pays riches à leurs producteurs. Le cas des filières cotonnières africaines, notamment celles de l`espace Uemoa, dont le marché est estimé à quelque 700 milliards de F CFA [1 milliard d’euros], est là pour témoigner de cette injustice opérée par l’Europe et les États-Unis. À Bamako, on a assisté à ce que je suis tenté d’appeler « une révolution des villages ». On se souvient que, même si cette action n’a pas abouti, ce sont quatre pays africains – le Tchad, le Burkina, le Bénin et le Mali – qui avaient déposé une plainte à l’OMC. Donc même si le dumping des pays riches reste fort, des espoirs de reconquérir quelques autonomies sont permis. Plus de huit pays cotonniers se sont exprimés à Bamako. Ce n’est pas rien. Ce qui prouve que la société civile du Sud devient adulte.

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