La réconciliation par le foot

Hutus et Tutsis se serrent les coudes en équipe nationale : un symbole d’unité pour leurs nombreux supporteurs.

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Dix ans après la tragédie d’avril 1994, la réconciliation se joue sur la pelouse. « Quand nous sommes au stade, il n’y a plus de Tutsis ni de Hutus, nous sommes tous des Rwandais », aime à dire César Kayizari, le président de la Fédération rwandaise de football amateur (Ferwafa). De fait, l’équipe nationale, également appelée les Amavubi (« Guêpes » en kinyarwanda), qualifiée pour la première fois de son histoire pour la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), s’est présentée en Tunisie, en janvier dernier, dotée d’une composition symbolique. Parmi les 22 joueurs alignés, on trouvait « autant de Hutus que de Tutsis », affirme Jules Kalifa, secrétaire général adjoint de la Ferwafa. Des rescapés des massacres, comme Olivier Karekezi, dont toute la famille a été assassinée pendant le génocide, y côtoient des joueurs dont les proches ont pu être impliqués dans les tueries, comme Abdul Sibomana, dont le père attend son procès en prison. Pourtant, sur le terrain, la solidarité a remplacé l’animosité. Et même si les Amavubi ont été éliminées au premier tour de la CAN, pas le temps d’avoir le bourdon : elles ont reçu un accueil délirant dès leur retour à Kigali. Jusqu’au bout, les Rwandais se sont montrés unis derrière leur équipe.
« Personne n’aurait parié sur ce pays après le drame qu’il a vécu », expliquait en janvier dernier dans le magazine Africa Foot, Boniface Murutampunzi, un journaliste sportif rwandais installé en France. « Le football est un facteur de confiance et de rayonnement pour le peuple. Les Rwandais ont redécouvert que toutes les composantes sociales pouvaient vivre en symbiose. Ce sport est le nouveau ciment de notre société. » Même son de cloche du côté des autorités : « Les Amavubi sont le symbole de notre unité », déclarait Paul Kagamé en février dans une interview accordée à J.A.I. (n° 2249).
« Le président est toujours au stade, c’est très important pour les joueurs. Avant les matchs, il les rencontre pour les motiver moralement », explique Jules Kalifa.
Le gouvernement a débloqué 230 millions de FRW (335 000 euros) pour les préparatifs de la CAN et la quasi-totalité des financements publics accordés au sport va au football. Après la victoire contre l’Ouganda, en juin 2003, lors des phases éliminatoires, « le chef de l’État a affrété un avion spécial pour l’équipe. Nous sommes arrivés à 2 heures du matin, Paul Kagamé et sa femme, accompagnés d’une foule de supporteurs, nous attendaient. C’était incroyable », se souvient Jules Kalifa.
Depuis 1994, l’essor du football rwandais va de pair avec le regain d’assurance de sa population. « En tant que médecin, je crois beaucoup au sport. Il apporte la santé physique, mais aussi psychologique », indique le Dr Claude Rwagacondo, vice-président de Rayon Sport, l’un des trois clubs les plus célèbres du pays. « Dès sa création en 1966, le Rayon Sport a été très populaire, car il a toujours intégré des joueurs venant de l’ensemble du territoire, sans se soucier de leur origine ethnique. Pendant le génocide, le club est resté neutre et certains Hutus de l’équipe ont caché des Tutsis. Même les plus extrémistes ne pouvaient pas massacrer un « Rayon ». Quand ils en voyaient un, ils le laissaient vivre. » Les tueries ont balayé des équipes entières, comme les Panthères noires ou les Zèbres, mais le Rayon Sport a survécu. C’est lui qui a remporté, en 1997, la première compétition régionale après le génocide. Puis en 1999, il a décroché la coupe Cecafa (Championnat d’Afrique centrale et de l’Est). « Dès 1997, on s’est dit qu’il fallait foncer ! » explique le secrétaire général adjoint de la Fédération. « Avant le génocide, le Rwanda ne jouait qu’au niveau local. Le football rwandais n’était pas aussi structuré et ouvert qu’actuellement. Il y avait déjà 14 équipes de première division et 16 de deuxième division, mais pas les 42 équipes juniors que nous dénombrons aujourd’hui. Nous étions 194e au classement de la Fédération internationale de football association (Fifa) en 1994 et nous sommes passés 100e depuis. On organise des matchs, on invite des équipes d’autres pays. Et à la CAN, on a joué le match d’ouverture contre la Tunisie. Quelle visibilité ! » Plusieurs joueurs nationaux espèrent encore se faire remarquer lors de la prochaine coupe régionale des clubs Cecafa, du 25 avril au 9 mai prochains au Rwanda, parrainée par Paul Kagamé.
Ce dernier a d’ailleurs repoussé la date de l’événement pour cause d’anniversaire du génocide, la semaine du 6 avril. En espérant que les stades, qui ont parfois servi de lieux de massacres, n’accueillent plus que des amateurs de ballon rond, l’équipe nationale se veut plus que jamais l’incarnation du « nouveau Rwanda ».

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