L’ANC en quête d’opposition

En dépit du chômage, de la criminalité, de la corruptionet du sida, aucun des onze partis en lice pour les élections du 14 avril n’esten mesure de contester l’hégémonie du parti au pouvoir.

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 5 minutes.

A Soweto, le célèbre township de Johannesburg, les affiches jaune, noir et vert de l’African National Congress (ANC) ont pris possession des murs, des lampadaires et des poteaux électriques. « Créez des emplois, battez-vous contre la pauvreté, votez ANC ! » Ce n’est évidemment pas un hasard : l’ex-ghetto noir du temps de l’apartheid reste l’un des endroits les plus pauvres d’Afrique du Sud. Les portraits du président Thabo Mbeki, tout sourires, sont si nombreux qu’on est presque étonné de découvrir, çà et là, une affiche du New National Party (NNP) ou de la Democratic Alliance (DA) de Tony Leon. Bref, dans cette « bataille des murs », la victoire de l’ANC est écrasante. En sera-t-il de même à l’issue l’élection présidentielle du 14 avril ? À quelques jours du scrutin, tout le monde en est convaincu.
Pourtant, Thabo Mbeki et ses ministres continuent de sillonner le pays en tous sens, de haranguer les foules dans des stades ou sous les préaux d’école, de faire du porte à- porte pour convaincre les indécis. Ils n’en ont pas vraiment besoin puisque tous les pronostiqueurs leur promettent plus de deux tiers des sièges au Parlement, mais il faut les comprendre : ce n’est que la troisième fois que les Noirs votent dans ce pays !
Chez les dirigeants de l’ANC, les spéculations vont bon train quant au taux de participation au vote des 20,7 millions d’électeurs inscrits sur les listes. Après l’enthousiasme qui a marqué les premières élections libres, en 1994, puis la succession de Nelson Mandela, cinq ans plus tard, ils redoutent que l’électorat ne se laisse peu à peu gagner par une certaine apathie. Comme en Europe ou aux États-Unis. Dans la nouvelle Afrique du Sud, les jeunes générations n’ont pas forcément une conscience politique aussi aiguë que les vétérans de la « lutte de libération » aujourd’hui au pouvoir.
« Je suis inscrit sur les listes, mais je ne sais pas encore si j’irai voter, car j’en veux au gouvernement de ne pas avoir tenu ses promesses », explique Eli, 26 ans, gardien de nuit de son état. Comme nombre de ses compatriotes noirs, il votera pour l’ANC ou s’abstiendra. Aucun autre parti ne trouve grâce à ses yeux. Ni la Democratic Alliance (DA), trop « blanche », ni le New National Party (NPP), qui n’arrive pas à se débarrasser de son image d’héritier du parti au pouvoir à l’époque de l’apartheid et ne séduit guère aujourd’hui que les métis. L’Inkhata Freedom Party (IFP), de Mangosuthu Buthelezi, n’a d’influence qu’ au Kwazulu-Natal. De surcroît, les violents affrontements qui, pendant la campagne, ont opposé ses militants à ceux de l’ANC, autour de Durban, devraient encourager le électeurs non zoulous de voter pour lui. Quant aux autres formations, leur audience reste confidentielle.
Le vote reste ici largement conditionné par l’appartenance raciale. Un sondage réalisé à la fin de l’année dernière par Human Sciences Research Council (HSRC) montre que l’ANC est soutenu par 94,4% des Noirs, la DA par 75,5% des Blancs et le NNP par 41,7% des métis. « Pendant la campagne, nous avons eu trop tendance à oublier les minorités, qui, du coup, se sentent déboussolées. Elles ont l’impression que le parti se déintéresse de leurs problèmes », reconnaît un ministre membre de l’ANC.
« Le vote pour l’ANC est quasi automatique chez les Noirs, qui constituent l’écrasante majorité de la population, explique Chris Landsberg, directeur du Centre for Policy Studies, à Johannesburg. Certes, les gens se plaignent du chômage, du sida, et de la pauvreté, mais ils se sentent beaucoup plus concernés par leur dignité et leur identité retrouvées que par les enjeux socio- économiques du scrutin. Pour eux, le parti reste associé à l’idée de liberté. Et ils continueront à lui accorder massivement leur confiance pendant au moins dix ou quinze ans. »
Tous les militants ANC du Cap ne sont pas de cet avis. L’élection nationale est certes jouée d’avance, mais il se trouve que les électeurs sont aussi appelés, le 14 avril, à désigner leurs dirigeants provinciaux. Or, dans la région du Cap occidental, où les minorités blanches et métisses sont importantes, c’est le NNP qui détient aujourd’hui le pouvoir. Et il pourrait bien le conserver, même s’il a dû pour cela s’allier à l’ANC. De même, au Kwazulu-Natal, dans l’est du pays, le parti de Mandela n’est pas assuré d’emporter la mise face à l’alliance entre l’IFP et la DA. Ces deux provinces pourraient échapper au contrôle de l’ANC.
« Tant mieux, plaide Adam Habib, un analyste du HSRC pourtant proche du parti au pouvoir. Ce qui manque à ces élections, c’est l’incertittude, garante de la démocratie. L’opposition est fragmentée et impuissante. Résultat : les élus n’ont aucun compte à rendre à leurs administrés. C’est cela qui doit changer. » « L’ANC a tout à gagner à l’existence d’une formation d’opposition forte », confirme un membre du gouvernement, qui, secrètement, souhaite que les minorités se prononcent en faveur du NNP.
Pourtant, le parti de Thabo Mbeki continue d’imposer sa toute-puissance. Et de tirer avantage de l’aura de Nelson Mandela, son leader historique. La date de la consultation n’a d’ailleurs pas été choisie au hasard. Le 27 avril, treize jours après le scrutin, l’Afrique du Sud fêtera le dixième anniversaire des premières élections libres et de la chute de l’apartheid. Simultanément, le nouveau président sera solennellement investi. De nombreuses festivités sont prévues à cette occasion, notamment à l’Union Building, à Pretoria, siège du gouvernement…
Pourvu d’une telle légitimité, Mbeki va pouvoir se consacrer sans arrière- pensées à ce qu’il considère comme sa mission essentielle, même si elle ne passionne guère ses compatriotes: la promotion de la « Renaissance » africaine et l’affirmation de la diplomatie de son pays sur la scène internationale. Dans l’immédiat, les ambassades à l’étranger ont été invitées à célébrer en grande pompe, le 27 avril, les « dix ans de liberté » retrouvée.
Mais c’est aussi ce jour-là que sera annoncée la composition du nouveau gouvernement. Pour l’instant, le chef de l’Etat entretient soigneusement le mystère sur ses intentions. « On ne sait pas encore à quelle sauce on va être mangés », confirme Aziz Pahad, le vice-ministre des Affaires étrangères. Il n’est pas exlu que le vice-président Jacob Zuma, impliqué l’an dernier dans une fâcheuse affaire de corruption, soit remercié pour prendre la tête de l’executif du Kwazulu-Natal. Pour le remplacer, certains avancent le nom de… son ex- épouse, Nkosazana Dlamini-Zuma, actuellement ministre des Affaires étrangères. D’autres, celui de Mosiuoa Lekota, le ministre de la Défense. A moins que Mbeki, qui songe dejà à sa succession, ne décide de le nommer tous trois vice- présidents. Ce qui serait une manière de ne pas afficher trop tôt sa préférence.

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