Et l’Onu débarque…

Publié le 6 avril 2004 Lecture : 4 minutes.

Comment faire pour extirper la haine et la violence de la Côte d’Ivoire ? Cette question – essentielle et grave – taraude depuis plusieurs mois Albert Tévoédjrè, le représentant spécial de Kofi Annan sur place. Ces deux dernières années, l’ONU, l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la France – pas moins – ont été mises à contribution pour calmer les esprits et remettre sur les rails un pays naguère considéré comme le poumon économique de l’Afrique de l’Ouest. Avec un succès mitigé. Et pour cause. Les protagonistes de la crise ivoirienne attendent de la communauté internationale qu’elle impose la paix, mais uniquement telle que chacun d’entre eux la perçoit de son balcon. Dans ces conditions, que faire ? Ancien « compagnon d’aventure » de Léopold Sédar Senghor, ex-numéro deux du Bureau international du travail, à Genève, Tévoédjrè n’est pas homme à baisser les bras. Une fois passées les chaudes journées de la fin mars, il a donc repris son bâton de pèlerin, pour tenter, une nouvelle fois, d’amener les uns et les autres à faire preuve de mesure.
Reçu le 31 mars au palais de Cocody, le diplomate béninois a, selon nos informations, invité Laurent Gbagbo à lever l’interdiction de manifester, normalement en vigueur jusqu’à la fin avril, quitte à faire encadrer les processions sur la voie publique par des soldats ivoiriens et internationaux, pour éviter tout débordement. Il a également plaidé pour une indemnisation des victimes civiles et militaires des événements sanglants des 25 et 26 mars et de leurs ayants droit, et pour que l’enquête soit confiée à une commission internationale. Sur ce point précis, il convient de signaler que, dans trois correspondances adressées le 27 mars, respectivement à la garde des Sceaux, Henriette Diabaté (normalement en « grève » du gouvernement), au président de l’Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, et à Tévoédjrè, courriers dont Jeune Afrique/l’intelligent a obtenu copie, le président ivoirien réclame l’ouverture d’une triple enquête, judiciaire, parlementaire et internationale. Toujours au cours de l’audience du 31 mars, le représentant de Kofi Annan en Côte d’Ivoire a demandé au chef de l’État d’envoyer à l’Assemblée nationale, pour examen et adoption, tous les projets de loi, y compris celui sur la nationalité, de s’engager à soumettre rapidement aux députés le projet de réforme de l’article 35 de la Constitution du 1er août 2000 relatif aux conditions d’éligibilité du président de la République.
Deux jours plus tôt, le 29 mars, Albert Tévoédjrè s’était rendu à Accra en compagnie de son collègue James Aggrey-Orleans, ancien ambassadeur du Ghana en Grande-Bretagne. Au terme d’un long entretien avec le chef de l’État ghanéen John Kufuor, président en exercice de la Cedeao, il a été convenu de « relancer » sans plus tarder le processus de paix. Selon une source privilégiée, plusieurs schémas seraient même à l’étude au siège de l’ONU, à New York, pour tenter de renouer le contact entre le pouvoir, son opposition républicaine et les insurgés du 19 septembre 2002, qui contrôlent toujours la moitié nord de la Côte d’Ivoire. Première hypothèse de travail : une réunion « de haut niveau » permettant à la communauté internationale de sommer les uns et les autres de prendre leurs « responsabilités ».
Deuxième configuration : l’envoi d’une mission restreinte du Conseil de sécurité des Nations unies à Abidjan pour « une franche et urgente discussion » avec le président Gbagbo et les autres responsables politiques ivoiriens. Troisième approche, enfin : une réunion au sommet, limitée au secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, au chef de l’État français Jacques Chirac, parrain de l’Accord de Marcoussis, au président Gbagbo, à son homologue ghanéen Kufuor, ainsi qu’à l’ex-chef de l’État ivoirien Henri Konan Bédié, et à l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara.
En attendant une décision du Conseil de sécurité, une initiative locale, pour le moins originale, semble susciter des espoirs. Elle émane de 115 députés (sur un total de 209), toutes tendances confondues, regroupés sous le vocable « Mouvance parlementaire pour la réconciliation et la paix ». Ce groupe de pionniers, qui, avec l’aide du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), de la Suisse et du Canada, a organisé récemment un séminaire à Abidjan sur les principales lois découlant de Marcoussis en présence, entre autres, de l’ancien président de la Cour internationale de justice de La Haye, le Sénégalais Kéba Mbaye, a entamé une discrète négociation avec les élus du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir) et avec le président Gbagbo pour essayer de sortir la Côte d’Ivoire de l’impasse. Avec l’approbation du président de la Cedeao et, surtout, le soutien de l’ONU, qui a confirmé l’arrivée à Abidjan, le 31 mars, de l’état-major militaire de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Les premiers contingents de soldats et de policiers seront fournis par les troupes ouest-africaines de la Cedeao déjà sur place qui troqueront, à compter du 4 avril, leur couvre-chef habituel contre le béret ou le casque bleu. L’effectif total de l’Onuci (6 240 éléments, dont 200 observateurs militaires et 350 policiers, placés sous le commandement du général de division sénégalais Abdoulaye Fall) doit être atteint, par étapes, à la fin de juillet 2004. Si, bien entendu, le calendrier est respecté et que de nouveaux dérapages ne viennent pas remettre en question le déploiement des Casques bleus.

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